Design: à la pure suite du diamant vert à Prague
Elle, Elle décoration, Dolce Vita, des magazines de compagnies aériennes étrangères ou même l’une des publications du prestigieux Monocle anglais – la manière dont a été récemment rénové un immeuble du centre de Prague a attiré l’attention de regards avisés et de spécialistes du design. Nombreux sont aujourd’hui les photographes qui choisissent un des appartements de ce bâtiment du début du XXe siècle situé rue Žatecká pour leurs shootings. Trader de son état, le Français Pierre-Emmanuel Dionnet est à l’origine de ce projet qui porte le nom d’une pierre précieuse :
Combien d’appartements en tout dans cet immeuble ?
« 13 appartements et on est en train d’en rajouter trois dans le grenier, dont un avec une grande terrasse avec vue sur le château, ce qui n’est pas négligeable. Il y a cinq étages : chaque étage correspond à un design et tous les appartements ont une atmosphère différente. »
« Ici on est au premier étage, qui s’appelle Basho et est d’inspiration japonaise. Le design est d’inspiration wabi, ce qui signifie que d’asymétries en imperfections ont créé une atmosphère zen. Il y a un code qui mélange la pierre, le béton et le vieux bois. »
« L’idée est de créer une atmosphère et de conserver les matériaux d’origine en les mettant en valeur. »
Vous avez conservé les défauts aussi – au plafond on voit les fissures, qui font donc désormais partie du design c’est ça ?
« Oui, absolument. Lorsqu’on a commencé cet étage je savais que je voulais m’inspirer du design wabi. Quand j’ai vu les craquelures au plafond, je me suis tout de suite dit que c’était finalement le sol de la forêt, avec la connotation végétale de cet appartement qui commence par le plafond et ses craquelures.
« Ensuite il y a sur les murs de la végétation qui pénètre dans l’appartement par un jeu de différentes boisures pour créer cet atmosphère où le strict minimum est nécessaire. »
Et où le maximum de matériaux originaux ont été laissés, le cadre de ces portes notamment…
« Le cadre des portes, les fenêtres, les poignées et une partie du parquet sont d’origine. Ensuite tout ce qui a été apporté en design est customisé, fait par nous et non acheté, que ce soit les tables, les fauteuils, tout. »
Tout ce qu’on voit a été trouvé ici sur place ?
« Oui, tout a été trouvé en République tchèque – c’était très important pour moi parce qu’on a un budget à respecter. Je peux faire la même chose en faisant venir les matériaux de France mais ça me coûterait quatre fois plus cher. »Alors cette table basse par exemple, elle vient d’où ?
« On a acheté ce morceau d’ardoise dans un chantier à 200 km de Prague. Quand je l’ai vu j’ai tout de suite su ce que je voulais en faire. Mes grands-parents avaient un toit en ardoise en France. Je voulais créer une table avec – une pièce comme ça pèse 250 kg ; on en a fait également une partie du sol mais comme l’ardoise est très lourde on l’a mélangée à du béton. Pour moi les matériaux sont très importants parce qu’ils ont une histoire et c’est intemporel. »
Il faut préciser que vous avez travaillé avec des architectes et des designers tchèques.
« Oui. Pour réaliser un projet comme ça il est très important d’avoir une équipe. Il y a d’abord une amie agente immobilière qui m’a aidé à trouver l’immeuble. Après la négociation du prix et l’achat, on est passé au design. J’avais mon idée de business-plan et de concept et j’ai collaboré avec des architectes tchèques à qui j’ai expliqué mes idées et montré de nombreuses photos. »
« Ensuite ils ont commencé à dessiner leur projet – à la main. Au fur et à mesure de la rénovation on a trouvé des pépites à chaque étage. Par exemple pour l’appartement dans lequel on se trouve, on a mis un an parce que des idées venaient au fur et à mesure et de nouvelles idées s’imposaient. »Alors nous sommes en plein centre de Prague, à une cinquantaine de mètres de la Place de la Vieille-Ville. Cet immeuble date du début du XXe siècle. Avez-vous une idée de son histoire ?
« Oui il date de 1906 et était la propriété de la famille Rauchenberg depuis le début. L’Etat a restitué l’immeuble à cette famille après la chute du communisme. L’héritier était un psychiatre résident à Londres. Il ne s’occupait pas de cet immeuble où habitaient des locataires à long-terme. Ce qui m’intéressait ici, c’est que rien n’avait été touché. »
« Sous le communisme, ils avaient tendance à cacher les moulures au plafond ou à mettre des faux parquets. Mais quand on les enlève… »On peut découvrir ces ‘pépites’ dont vous parliez…
« Exactement, découvrir aussi les peintures d’origine. J’ai tout de suite vu ce potentiel de ce bâtiment historique. »
Vous parliez de projet sous les combles, avec 400m² de surface. Est-ce compliqué d’obtenir des autorisations quand on fait des travaux dans un bâtiment historique du centre de Prague où les normes sont relativement strictes ?
« Oui les normes sont très strictes. C’est une affaire de communication et de contacts. Sur des projets comme ça on a toujours une société d’ingénieurs mandatée pour négocier en notre nom auprès des autorités locales. Ces gens-là ont des connexions, ce qui permet d’obtenir des autorisations. Après, il y a toujours des discussions, on fait jamais exactement ce qu’on veut parce qu’il y a des normes assez logiques à respecter. Cela nous a pris environ un an et demi pour avoir le permis de construire dans le grenier. »
Vous parliez aussi de la couleur de la façade de l’immeuble…
« C’est un peu plus compliqué… Il y a des codes de couleur. Comme l’immeuble s’appelle the Emerald on aimerait du vert émeraude donc il faut expliquer, négocier avec les autorités, et si ce n’est pas possible on partira sur une autre couleur en essayant d’avoir quand même le cadre des fenêtres vert émeraude. »Vous louez ces appartements à court-terme. Beaucoup de voix s’élèvent ce moment, à Prague et dans d’autres capitales européennes, contre le dépeuplement des centre-villes à cause du phénomène AirBnb. Est-ce un phénomène inexorable selon vous ?
« Non, moi je suis assez optimiste pour Prague. Quand je suis arrivé en 2007, la moitié du centre-ville était vide. Personne n’habitait ici et les immeubles étaient laissés à l’abandon. On peut dire ce qu’on veut d’AirBnb mais cela a quand même apporté un business économiquement viable, du coup les propriétaires ont décidé de rénover leurs immeubles, alors qu’avant ils étaient de plus en plus délabrés. Le centre de Prague est donc redevenu un vrai bijou, grâce à AirBnb je dirais. Prague a besoin de AirBnb, parce qu’il y a un grand nombre de touristes, attirés non seulement par la beauté de Prague mais aussi par son côté ‘safe’, pas dangereux. »