Deux collaborateurs de Jean-Luc Godard parmi les invités du Festival du film documentaire de Jihlava
Un soleil radieux, des salles combles, une ambiance jeune et très cinéphile rappelant le festival d'Uherske Hradiste ou le côté « people » de Karlovy Vary... C'est le Festival du film documentaire qui s'est déroulé, fin octobre, dans la très agréable ville historique de Jihlava, aux confins de la Bohême et de la Moravie, fête qui s'est imposée comme un panorama du cinéma documentaire d'Europe centrale. Coup de projecteur sur sa 9e édition...
Dans une des sections parallèles, le festival a présenté les documentaires du cinéaste français Jean-Luc Godard. Un de ses collaborateurs, le cameraman tchèque Stepan Benda, membre du jury lui international à Jihlava, a partagé avec les festivaliers ses souvenirs du tournage de « L'Allemagne neuf zéro », un film réalisé par Godard après la chute du mur de Berlin. Stepan Benda :
« Oui, j'ai assisté au tournage de ce film comme opérateur, mais comme beaucoup de gens le savent, notamment en France, Godard est, lui-même, un excellent opérateur. Donc j'ai été plutôt son assistant... Aujourd'hui, quinze ans après la chute du mur de Berlin, je dis que c'est le meilleur film sur la réunification de l'Allemagne qui ait été fait ! Jean-Luc Godard en sait beaucoup sur l'histoire, la littérature et la philosophie allemandes et ce film, c'est en fait une sorte de réflexion ou... peut-être de méditation à ce sujet-là. Il s'interroge sur le passé de l'Allemagne, sur la période du IIIe Reich, etc...Mais en même temps, il se pose la question de l'avenir du pays. C'est un film intellectuel, qui fait réfléchir... un film que j'ai toujours voulu faire. »
« J'ai quitté la République tchèque dix jours après l'invasion russe en août 68'. A l'époque, j'était étudiant en lettres. J'ai d'abord passé une année et quelque en France, à Paris et à Besançon, où j'ai suivi des cours de français. J'ai aussi travaillé sur un bateau de pêche en Bretagne... Ensuite, j'ai voulu continuer mes études et j'ai décidé de m'installer en Allemagne. Depuis, je vis à Berlin. »
Formé à l'Académie du cinéma de Berlin, Stepan Benda réalise aussi ses propres films. Il a débuté par une adaptation de « La lettre volée » d'Edgar Allan Poe, tournée avec une vieille caméra. En tant que cameraman, il a collaboré, par exemple, au documentaire slovène « Foto Film 2001 » de Maja Weiss et Peter Braatz. De son métier, il en parle avec l'humour qui est le sien...
« Vous savez, il existe deux types de chefs opérateurs. Il y en a qui sont toujours polis, qui ne posent pas de problèmes. Ils ne se mêlent pas du travail du réalisateur, ils font leur job et puis c'est fini. Ils sont assez appréciés des cinéastes ! Et puis, il existe des cameramen comme moi, qui ne sont pas toujours très polis, mais qui réfléchissent pendant le tournage. Mais je crois que les deux sont importants. »
Pour revenir à Jean-Luc Godard, rappelons qu'à Jihlava, le public tchèque a pu voir pour la première fois son film « Pravda », tourné en 1969 à Prague. Un autre cinéaste de renom, proche de J.-L. Godard, est venu au festival : le réalisateur franco-américain Jean-Pierre Gorin, auteur de documentaires comme « Routine pleasures » ou « My Crazy Life ». Il a débuté en réalisation après Mai 1968, en fondant, avec Godard, le Groupe Dziga Vertov. Jean-Pierre Gorin :
« Le Groupe, c'était à la fois une parodie et une utopie de groupe. C'était un groupe de deux personnes qui rêvaient d'être un groupe... Ce qui a différencié le travail que Jean-Luc et moi avons fait, c'est qu'on s'intéressait d'abord et avant tout au cinéma. C'était en partie parce qu'on savait très bien qu'il y avait d'autres gens, sans doute plus qualifiés que nous, pour faire ce que le cinéma militant traditionnel avait fait, c'est-à-dire de suivre les luttes et d'enchanter lyriquement les louanges, ce qui nous intéressait assez peu. Nous, ce qui était notre obsession, c'était ce sens qu'il n'allait pas de soi de faire un cinéma qui se disait 'de gauche', sans questionner sa grammaire, ses stratégies, etc. Donc le Groupe Dziga Vertov, c'était une manière de questionner le cinéma, les images et les sons, et la manière de les utiliser. »
Vous vous êtes ensuite installé aux Etats-Unis et vous avez réalisé vos documentaires « en solo ». Ils parlent de l'Amérique ?
« Oui, absolument. Ce sont des films authentiquement américains et authentiquement populaires. Ils sont à la fois modestes et arrogants, ils ont l'arrogance de leur modestie, parce qu'ils veulent parler d'un sujet quand même assez énorme qui est ce que c'est que d'être Américain. Ils ont cet espèce de statut un peu bizarre que les critiques américains ont bien reconnu : ils sont à la fois complètement à l'intérieur et à l'extérieur de ce qu'ils décrivent. Ce sont des films sur des gens ordinaires qui font des choses ordinaires mais qui sont des choses profondément américaines. »
L'Amérique est souvent critiquée en France... Ça vous touche ?
« Ecoutez... ce qui me touche, c'est que j'ai l'impression que d'une certaine façon, ce sont deux pays qui vivent dans une ignorance mutuelle. Ce que les Américains disent sur les Français et l'Europe en général est assez comique. Et de la même façon, ce que disent les Français de l'Amérique est assez retardataire. Donc, ce qui m'intéresse, ce sont ces mécanismes d'incompréhension. Et puis aussi, d'une manière plus positive, j'essaie de donner, dans mon travail de cinéaste et d'enseignant, dans des conversations, des écrits, etc., des indications d'endroits à visiter, de textes qu'il faudrait lire, pour mettre un peu les pendules à l'heure. »
Le Festival international du documentaire de Jihlava, c'est aussi un marché du film - chose importante, car le cinéma centre-européen, aussi intéressant soit-il, a sans doute un déficit en matière de production et de diffusion de films dans le monde. Ainsi, un forum de présentation de projets est organisé à chaque fois en marge du festival, par l'Institut tchèque du film documentaire, où les spécialistes de toute l'Europe aident les jeunes cinéastes et producteurs à trouver quelques bonnes pistes... Un atelier a été animé par Serge Lalou de la société de production Films d'ici. Promouvoir un film centre-européen aujourd'hui... ?S. L. : « Ce n'est pas facile. D'abord, il y a un apprentissage du marché international du documentaire qui est assez compliqué, parce qu'en fait, il y a des marchés du documentaire, des modes de distribution. Avoir l'énergie pour à la fois faire les films, arriver à trouver les moyens de les faire et avoir ensuite une possibilité financière et aussi le temps pour faire ce travail-là, ce n'est pas facile... »
Il y a un intérêt pour le cinéma est-européen au niveau international ?
« Oui, il y a un intérêt qui n'est pas encore aussi fort que pour des cinématographies asiatiques ou autres. Mais il y a un intérêt, un travail, une école forte du documentaire qui est connue. Simplement, il faut se réorganiser. »
La réalisatrice Marta Hruba, venue à Jihlava avec son film sur les petits jardins privés des Pragois, m'a dit ce qu'elle attendait de ce forum de présentation de projets...
M. H. : « Je viens de terminer mes études à la FAMU, l'école de cinéma de Prague. Je présente ici mon premier projet que j'ai réalisé en tant que cinéaste professionnelle. J'espère trouver ici un soutien financier pour un nouveau film, négocier un contrat... »
En fin d'année, on pourra voir en salles un documentaire que cette jeune cinéaste a tourné en fin d'études à la FAMU :
« Il s'agit en fait d'une soirée composée de quatre films réalisés par les étudiants de la FAMU. Mon film s'appelle 'Les choses'. Il parle d'une société qui s'occupe des objets abandonnés, trouvés, par exemple, dans des domiciles des gens qui sont morts ou dont quelqu'un a voulu se débarrasser en déménageant. J'ai essayé de voir comment on peut leur donner une nouvelle vie. »
Et puisque, à part Marta, nous avons un peu laissé de côté cette fois-ci les femmes cinéastes, la semaine prochaine, vous pourrez en rencontrer deux, qui ont présenté leurs films à Jihlava : Helena Trestikova et Jana Bokova.