Dimitrij Slonim, le virologue tchèque qui a contribué à éradiquer la poliomyélite

Dimitrij Slonim, photo: ČT

Si le domaine de la science continue de captiver le grand public, les chercheurs restent souvent méconnus. Ce sont pourtant ces personnes de l’ombre qui contribuent à faire évoluer le savoir pour le bien-être de l’homme. Ancien professeur émérite et maître de conférences à la faculté de médecine de l’Université Charles, le chercheur Dimitrij Slonim est devenu un virologue reconnu au niveau international, notamment du fait de sa coopération avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il a rejoint la cour des grands de la science en ayant contribué à éradiquer la poliomyélite. Dimitrij Slonim est décédé le 3 janvier dernier à l’âge de 91 ans. Afin de rendre hommage à ce scientifique exceptionnel, Radio Prague vous présente quelques extraits de l’entretien qu’il avait accordé à la Télévision tchèque en 2007, un entretien qui vous initiera un peu plus à la virologie.

Dimitrij Slonim,  photo: ČT
Né en 1925 à Prague d’un père écrivain et journaliste russo-ukrainien et d’une mère originaire de la ville de Blatná en Bohême du Sud, Dimitrij Slonim s’est passionné dès son plus jeune âge pour la science et plus spécialement pour l’étude des microorganismes. Après avoir suivi des études secondaires à la faculté de médecine à l’Université Charles et couronnées par l’obtention d’un diplôme en 1951, il intègre l’Institut de microbiologie et d’immunologie de ce même établissement. Dans un entretien pour la Télévision tchèque en 2007, Dimitrij Slonim avait raconté d’où lui était venue cette passion pour la virologie :

« J’ai commencé à travailler dans la microbiologie au collège quand j’étais encore jeune garçon. C’est ce monde que l’on ne voit pas à l’œil nu qui a captivé mon attention. J’ai alors passé des heures et des heures sur mon microscope, car cet appareil me faisait vivre des moments magiques. Si vous observez, par exemple, de l’eau légèrement stagnante ou si vous grattez les pierres d’un lac, alors c’est magnifique. C’est un tout autre monde. »

Les mystères de la virologie

Photo illustrative: Stanislav.nevyhosteny 4.0 International
A l’Institut, Dimitrij Slonim se consacre essentiellement à la recherche et à la pédagogie en se spécialisant toujours davantage dans la microbiologie. Il y étudie différents virus de la grippe, d’oreillons mais surtout l’encéphalite à tiques, qui venait d’apparaitre en Tchécoslovaquie. Le mot « virus » est utilisé communément par nous autres profanes mais savons-nous quelle est sa réelle signification ? Dimitrij Slonim proposait un éclaircissement :

« Le sens original de ce mot ‘virus’ voulait dire ‘quelque chose d’indéfini qui nuit’. On connaissait les bactéries dès la moitié du XIXe siècle. Puis on s’est rendu compte de l’existence de maladies, où il n’était pas possible de trouver des bactéries. C’était donc quelque chose qui nuisait. Mais ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que l’on a découvert qu’il était possible de réaliser une colature à partir de ces maladies, qui étaient d’abord des maladies des plantes. On a donc pressuré, par exemple, le liquide des feuilles de tabac atteintes du virus de la mosaïque du tabac et on a découvert que ce liquide contenait des agents infectieux, mais il ne contenait aucune bactérie. Car les filtres étaient faits d’une telle façon qu’ils pouvaient retenir les bactéries. On a donc commencé à parler de ‘virus ultrafiltrés’. Et c’est de cette façon qu’est apparu le nom de ‘virus’. »

Voilà qui permet à Dimitrij Slonim d’amorcer la suite de son explication :

Le virus de la variole
« Le principal signe taxonomique des virus était leur petite taille. Ils n’étaient pas visibles au microscope optique ordinaire et réussissaient à passer à travers les filtres bactériologiques. Mais il existe aussi de grands virus, qui peuvent même avoir la taille de petites bactéries. Ce sont par exemple les virus qui engendrent la variole, une maladie désormais mondialement éradiquée. Le virus de la variole est aussi grand que de petites bactéries. Et au contraire, il existe de tous petits virus, comme par exemple le virus de la poliomyélite. Afin de vous donner un ordre de grandeur, le virus de la grippe est quatre fois plus grand que le virus de la poliomyélite. Nous mesurons donc les virus à l’échelle des nanomètres. »

Le virus de la poliomyélite,  photo: F.P. Williams,  U.S. EPA
Suite à un accident survenu en laboratoire en 1953, Dimitrij Slonim passe sous le ressort du ministère de la Santé. Il sera alors la tête de l’Institut de recherche en immunologie pendant trente longues années. C’est pendant cette période, c’est-à-dire entre 1956 et 1985, qu’il y participe à la mise au point de sept importants vaccins viraux et de vingt-sept préparations. Aux côtés de ses collègues, il participe au développement majeur du vaccin contre la poliomyélite, cette maladie infectieuse aiguë et contagieuse spécifiquement humaine causée par le poliovirus sauvage et essentiellement présente chez les enfants. Son équipe de scientifiques de l’époque participe également à l’élimination de la rougeole et à une réduction considérable de la résurgence des oreillons. Dans l’entretien accordé à la télévision tchèque, Dimitrij Slonim s’est arrêté un instant sur cette question de la poliomyélite :

« Grâce aux techniques de laboratoires, grâce aux connaissances de la génétique, de la virologie et de la biochimie, nous sommes capables de faire d’un méchant virus, un gentil virus. Nous pouvons le ‘rééduquer’. Le virus de la poliomyélite chez l’enfant en est un parfait exemple. Il existe deux vaccins. Le premier a été créé à partir du mauvais virus, quand ce dernier a été tué. Mis à part ce premier vaccin, un deuxième vaccin a vu le jour. Il a été développé notamment par le docteur américain Albert Sabin et il s’agit d’un vaccin administré par voie orale ou aussi appelé ‘vaccin vivant ou atténué’. Dans ce cas-là, le virus, qui était méchant à l’origine et qui provoquait la poliomyélite, a été en quelque sorte ‘apprivoisé’ en laboratoire à l’aide de méthodes génétiques. Lorsque nous administrons ce vaccin par voie orale, alors le virus se multiplie dans le corps de l’homme, il immunise, mais il ne provoque pas les maladies, la poliomyélite redoutée. »

Vaccin contre la poliomyélite, une « découverte » majeure

Jonas Salk,  photo: The Owl / University of Pittsburgh Digital Archives
Même si Dimitrij Slonim n’aime pas utiliser le mot « inventer », ni celui de « découvrir » en parlant de vaccin, il mentionne tout de même que le premier chercheur à avoir « inventé » de façon réussie le vaccin à injection contre la poliomyélite a été l’Américain Jonas Salk en 1954. Mais Jonas Salk n’a jamais déposé de brevet afin que le vaccin soit accessible au plus grand monde possible. Huit ans, plus tard ce sera l’Américain Albert Sabin qui développera un vaccin administrable par voie orale et conçu à partir d’une forme affaiblie du virus. Chose curieuse, aucun de ces deux scientifiques n’a été récompensé pour sa contribution. Sachant qu’il n’y avait encore aucune réglementation internationale à l’époque dans ce domaine, les chercheurs tchèques, qui ne pouvaient que deviner le procédé de la fabrication du vaccin, ne pouvaient être surs d’obtenir un résultat sans danger.

Néanmoins, grâce au travail acharné de l’équipe de scientifiques menée par Dimitrij Slonim et Karel Žáček, la Tchécoslovaquie a fait partie en 1957 des cinq premiers pays dans le monde à avoir développé la fabrication du vaccin poliomyélitique inactif, et à l’avoir appliqué dans tout le pays. Dès 1960, la fabrication et l’administration du vaccin contre la poliomyélite par voie orale a démontré son efficacité, avec des résultats d’éradication du virus très satisfaisant. Les expériences des scientifiques tchèques ont servi par la suite de base à l’élaboration des premières conditions minimales établies par l’OMS pour la fabrication et le contrôle du vaccin contre la poliomyélite administrée par voie orale. A Genève, Dimitrij Slonim a été l’un des trois experts qui ont établi ces conditions minimales, ainsi que l’un des membres du groupe de travail qui a donné la forme finale à ce manuel afin qu’il puisse être utilisée à l’échelle mondiale. Dimitrij Slonim est resté membre du Comité de conseil des experts en maladies virales de l’OMS pendant trente ans.

Le virus de l'encéphalite à tiques
Si comprendre la virologie s’avère être une tâche peut-être bien compliquée, Dimitrij Slonim avait le don d’expliquer de la façon simple des choses qui l’étaient moins. Il aimait également combattre les idées préconçues. A propos de la mutation d’un virus, Dimitirj Slonim précisait par exemple :

« Je crois, et je ne suis pas le seul, que de la même façon qu’il existe un développement dans les plus hautes sphères de l’organisation vivante, alors de la même manière il existe un certain développement chez les virus. Après la Seconde Guerre mondiale, nous avons assisté à l’apparition de l’encéphalite à tiques. Jamais par le passé, cette maladie n’était apparue dans notre pays. Après la guerre, on s’est donc demandé d’où provenait ce virus. S’il était né ici, s’il s’était développé ici ou bien s’il avait été amené ici ? Ce virus avait probablement été importé chez nous depuis l’Est, car il existait en Sibérie, dans la Taïga dans une forme similaire sous le nom d’encéphalite verno-estivale russe. »

Une reconnaissance internationale pour une profession à risques

La profession de Dimitrij Slonim lui a offert de grandes opportunités de voyager dans le monde entier, et ce non seulement pour ses travaux de recherche mais aussi à l’occasion de diverses conférences, à Copenhague, Stockholm, Moscou, Toronto ou Washington. Dimitrij Slonim a peut-être tout de même payé le prix de ses succès. Et ce dès ces débuts, en 1953. Etre en contact toute sa vie avec des « mini-tueurs » représente un certain danger et le virologue exerce donc une profession à risque :

« La professionnalisation mène parfois à une certaine inattention. Lorsque j’ai travaillé sur le virus de l’encéphalite à tiques, en maniant des cerveaux de souris contaminées – ces cerveaux contenaient une quantité colossale de ce virus–, j’ai manié donc ces cerveaux à l’aide d’un mixeur, comme celui qu’on utilise en cuisine. Même si l’appareil servait très bien, c’était justement uniquement un mixeur de cuisine. Afin de me protéger, je portais des masques phénoliques, mais cette protection s’est malheureusement défaite à un moment et j’ai inhalé le contenu. Je suis tombé gravement malade de l’encéphalite à tiques. J’en ai gardé comme séquelle à vie une paralysie de l’épaule droite et un dommage auditif. Mais je m’en suis sorti. »

Le vaccin contre la poliomyélite,  photo: USAID
En 2007, année où cet entretien a été réalisé, il n’y avait plus que 1 400 cas de poliomyélite recensés dans le monde, et Dimitrij Slonim croyait fortement dans l’éradication complète de cette maladie. Toutefois, il avait notamment soulevé la question d’une autre problématique, celle de la prochaine étape liée l’éradication des vaccins eux-mêmes, car ils contiennent eux-aussi le virus. Si le continent africain a réussi à éradiquer le virus de la poliomyélite depuis quelques années maintenant, le Pakistan et l’Afghanistan sont à l’heure actuelle les deux derniers pays au monde, où la poliomyélite reste endémique.

Dimitrij Slonim a été le premier scientifique tchèque sans appartenance politique à recevoir une distinction d’Etat dans la Tchécoslovaquie communiste, et ce à deux reprises, en 1962 et 1983. Distingué de plusieurs prix nationaux et internationaux tout au long de sa carrière, notamment de l’OMS en 1976 pour sa participation à l’éradication mondiale de la variole, Dimitrij Slonim a été décoré de la médaille d’argent du Sénat en 2014.