Droits de l’Homme : l’opposant russe emprisonné Vladimir Kara-Murza reçoit le Prix Václav Havel du Conseil de l’Europe

Yevgeniya, femme de Vladimir Kara-Murza a reçu, à Strasbourg, le Prix Václav Havel  au nom de son mari

Récemment inculpé de « haute trahison » par la justice russe, l’opposant Vladimir Kara-Murza a reçu, lundi, le Prix des droits de l’Homme Václav Havel, décerné chaque année par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. 

Ancien journaliste, leader de l’opposition russe et cofondateur du Comité anti-guerre créé pour protester contre l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine, Vladimir Kara-Murza a d’abord travaillé pour l’association Open Russia (Russie Ouverte), fondée en 2001 par l'oligarque en exil et détracteur du Kremlin, Mikhaïl Khodorkovski. Ce groupe d’activistes, qui militait pour des élections ouvertes, la liberté de la presse et pour des réformes favorables aux droits civils, a annoncé l’année dernière qu’il cessait ses activités en Russie, par crainte de poursuites contre ses membres.

Et pour cause : son membre Vladimir Kara-Murza a survécu à deux tentatives d’empoisonnement. Lorsqu’en 2017, il est tombé malade pour la deuxième fois, et a dû être hospitalisé pour une « grave défaillance organique », l’opposant effectuait une tournée en Russie pour projeter un documentaire consacré à son ami Boris Nemtsov, assassiné en 2015.

Vladimir Kara-Murza | Photo: Tomáš Roček,  ČRo

« Tout peut arriver à ceux qui résistent à Poutine », avait alors constaté sa femme Yevgeniya dans une interview pour la BBC. Ce lundi, elle a reçu, à Strasbourg, le Prix Václav Havel doté de 60 000 euros, au nom de son mari, emprisonné depuis avril 2022 après avoir critiqué les autorités de Moscou et leur offensive en Ukraine notamment.

Vladimir Kara-Murza a été inculpé de haute trahison, ainsi que d’autres chefs d’accusation, qui pourraient le maintenir derrière les barreaux pendant vingt ans, voire davantage.

« Malgré les risques, Vladimir Kara-Murza a eu le courage de retourner dans son pays pour poursuivre son combat, alors même qu’il aurait eu la possibilité de rester en sécurité. (…) Il faut un courage incroyable dans la Russie d’aujourd'hui pour s'opposer au pouvoir en place. Aujourd’hui, M. Kara-Murza fait preuve de ce courage, depuis sa cellule de prison », a déclaré le président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, Tiny Kox.

Pour sa part, Yevgeniya Kara-Murza a déclaré au cours de la cérémonie qu’elle ne pouvait être plus fière de son mari. Ce dernier a dédié ce prix aux milliers de Russes qui ont exprimé leur opposition à la guerre en Ukraine :

Tiny Kox et Yevgeniya Kara-Murza | Photo: Jean-Francois Badias,  ČTK/AP

« Selon les organisations de protection des droits humains, près de 19 000 personnes ont été arrêtées par la police russe lors des manifestations anti-guerre organisées depuis février dernier. (…) Près de 4 000 personnes ont fait l’objet de poursuites administratives pour s’être exprimées contre la guerre ; des dizaines de personnes, dont moi, sont aujourd’hui emprisonnées pour cette raison. Journalistes juristes, enseignants, prêtres, artistes, politiciens et militaires, des personnes issus d’horizons différents s’engagent comme moi, même s’ils risquent leur liberté personnelle, car ils ne peuvent pas rester indifférents face à cette guerre atroce », a dit Vladimir Kara-Murza dans une déclaration lue par son épouse.

Vladimir Kara-Murza s’était rendu à Prague pour recevoir le prix de l’Institut pour l’étude des régimes totalitaires en 2019 | Photo: Facebook de Vladimir Kara-Murza

En 2019, Vladimir Kara-Murza s’était rendu à Prague, pour recevoir le prix de l’Institut pour l’étude des régimes totalitaires. Invité au micro de la Radio tchèque, il avait expliqué pourquoi il avait fait le choix de rester en Russie, alors que son épouse et ses enfants vivaient aux Etats-Unis, pour des raisons de sécurité :

« Si l’opposition se dispersait et abandonnait ce qu’elle fait, ce serait le meilleur cadeau pour le gouvernement de Poutine et le Kremlin. Je suis convaincu qu’en tant que politicien russe, je n’ai aucun droit moral de quitter la Russie. Je crois devoir partager les mêmes risques que mes concitoyens. (…) Selon la propagande des médias officiels, les Russes soutiennent massivement la politique de Poutine. C’est absolument faux. Après tout, si le régime de Poutine était aussi populaire, pourquoi aurait-t-il si peur des élections libres ? Pourquoi les candidats de l’opposition ne peuvent pas y participer ? Contrairement à ce que dit la propagande, il y a beaucoup de gens en Russie qui comprennent tout et critiquent le régime autoritaire de Poutine. Ils veulent voir la Russie comme un pays européen normal, libre et civilisé. »

Michael Žantovský | Photo: Lukáš Hurník,  ČRo

« Je ne peux imaginer un meilleur lauréat pour le Prix Václav Havel des droits de l’Homme en cette période tendue », a déclaré, pour sa part, Michael Žantovský, directeur de la Bibliothèque Václav Havel de Prague qui attribue cette récompense, avec le Conseil de l’Europe et la Fondation de la Charte 77.

Les deux autres nominés pré-sélectionnés pour ce prix, dont le premier lauréat était en 2013 le nouveau Prix Nobel de la paix Ales Bialiatski, étaient la coalition hongroise Arc-en-ciel qui milite pour les droits de la communauté LGBTQIA+ et la Coalition Ukraine 5 AM, un regroupement d’organisations ukrainiennes de défense des droits humains.