Du tourisme culinaire vers une gastronomie alternative ?
La septième édition du Prague Food Festival s’est tenue sur une durée de trois jours dans les jardins royaux du Château de Prague le week-end dernier. Cette nouvelle rubrique est une invitation non pas à sillonner les contrées de la Bohême, mais à parcourir les allées des jardins remplis d’odeurs et de sensations parfois nouvelles.
Dimanche dernier, dans les jardins royaux du Château de Prague, la musique bat son plein au Prague Food Festival. Malgré un temps pluvieux qui accompagnait le programme gastronomique de cette 7e édition, il n’a pu empêcher quelques milliers de visiteurs de venir savourer de nombreuses spécialités concoctées par vingt des meilleurs restaurants de Prague. Si l’équipe de Pavel Maurer, fondateur du festival, a su organiser une nouvelle fois un évènement unique en son genre en République tchèque, c’est notamment parce que le fondateur lui-même a publié la toute première édition du guide gastronomique des restaurants de Prague en 1997. Désormais connu sous le nom de « Grand Restaurant », ce guide, qui en est à sa 18e édition, donne des notes à environ 800 restaurants de toute la République tchèque.
« Chaque année nous publions le top 10 et le top 100 des restaurants, donc le guide influence réellement la gastronomie. Notre principe de fonctionnement est différent, dans la mesure où nous ne maintenons pas de relations d’affaires avec les restaurants. Nous n’acceptons aucune publicité de leur part et c’est pourquoi nous gardons une certaine indépendance. »
En effet, au milieu des années 1990, Pavel Maurer s’est inspiré des guides gastronomiques étrangers existants pour élaborer le sien, à l’instar du Guide Michelin en France ou du Feinschmecker en Allemagne, et ce par simple envie de vouloir rassembler avec ses amis les bonnes adresses pragoises. Or le domaine de la gastronomie tchèque est bien le domaine qui a le plus évolué depuis la chute du communisme. Quelle est l’opinion du dégustateur professionnel et ce notamment sur l’état actuel de la gastronomie en République tchèque ?
« J’y vois bien évidemment une évolution positive, car nous voyageons, nous observons comment cela se passe à l’étranger, et même si notre marché nous offre de mauvais ingrédients, il en propose également de bons, comme des épices par exemple. Aujourd’hui si vous voulez faire des sushis ou de la cuisine indienne chez vous, vous avez la possibilité d’acheter tous les ingrédients, ce qui n’était si simple il y a 18 ans. Donc ces options existent, mais on ne peut guère s’étonner que cela n’aille pas assez vite à notre goût. Car nous nous comparons continuellement à des cultures où l’évolution culinaire ne s’est pas interrompue. Mis à part le fait que nous n’avons jamais fait partie d’un paradis gastronomique, notre évolution gastronomique a été interrompue par le socialisme, très normatif. Il n’était pas question de qualité mais de quantité, qui imposait que tout soit pareil. »Les progrès au sein de la gastronomie tchèque résident également dans le courage de refuser un plat, une attitude qui a un effet boomerang sur le restaurateur, qui n’aura plus tendance à arnaquer ses clients, sans oublier le phénomène de plus en plus ancré des « gastronautes » ou des « foodbloggers ». Depuis peu, la nouveauté de cette colossale organisation qu’est le Prague Food Festival, est ce que Pavel Maurer appelle le « gastro-tourisme » :
« Nous avons commencé par organiser l’année dernière ce que l’on a appelé des ‘Miam Tour’. C’étaient donc des voyages organisés vers diverses destinations comme l’Andalousie ou la région des châteaux de la Loire, aux alentours de Chinon, où nous sommes allés à vélo. Cette initiative est née de la volonté de nos sympathisants culinaires qui voulaient découvrir encore plus le monde gastronomique avec nous. »
Si le menu était riche en émotions culinaires, s’alimenter autrement que ce que nous propose la vie quotidienne, était une des questions posées tout au long de ce festival. Après avoir déjà accueilli des insectes l’année dernière, le festival a présenté une dégustation de scorpions, préparée par Petr Ocknecht. Exerçant depuis 2002 le métier de cuisinier d’insectes comestibles, il nous a dévoilé ses débuts :
« J’ai commencé à cuisiner en 2002, il y a neuf ans. Tout a commencé lorsque j’ai assisté à mon deuxième colloque d’entomophagie, donc de consommation d’insectes, à l’Université Mendel de Brno. Le séminaire de la professeure Marie Borkovcová était formidable, mais côté cuisine, c’était une tout autre histoire. J’ai donc commencé à mettre mon grain de sel sur la façon de cuisiner, elle m’a demandé qui j’étais, j’ai dit que j’étais cuisinier, elle m’a donc demandé de cuisiner, et j’ai accepté. C’est donc depuis ce moment-là que je cuisine des insectes. Six mois auparavant j’étais revenu d’une croisière de bateau, où 47 nationalités étaient présentes, et j’ai découvert qu’on mange absolument de tout. Je n’avais donc plus d’opinions préconçues à ce propos. »Et pour avoir une petite idée de la chose, voilà à quoi ressemble le goût de chaque insecte :
« Les vers de farine ont un goût de pain complet, les grands vers de farine, les Zorphobas brésiliens, ont une consistance et un goût similaires au popcorn, les grillons ont un goût de noisettes, les crickets ont un goût de lard fumé, et les cafards ont un goût de rillons chauds. Le scorpion, j’ai tendance à l’appeler une double frite, parce qu’il contient beaucoup de chitine. Vous avez beau le mâcher, mais vous ne goûtez rien. Le scorpion c’est tout simplement de l’adrénaline. »
Les insectes font partie des protéines les plus fraîches, et donc des aliments les plus frais servis au festival. Car si le bœuf ou le gibier doivent « mûrir » pendant au moins trois ou quatre semaines, les insectes se retrouvent sur un plat en moins de 5 minutes. Petr Ocknecht nous informe également de l’état politique actuel des choses concernant cette nourriture pas si alternative que ça :
« L’Union européenne a versé la somme de 20 milliards d’euros à la recherche des insectes les plus nutritifs sur une période de vingt ans. Quant à l’ONU, elle a déclaré lors d’une conférence au mois de mars dernier que l’Europe devait apprendre à manger des insectes, car le monde entier, à l’exception de l’Europe, mange des insectes, à commencer par le Mexique, l’Asie, l’Afrique ou l’Australie. Les autochtones les mangent de façon courante, contrairement aux immigrés. Mais ces derniers apportent leurs propres habitudes, donc par exemple l’Amérique est un grand importateur d’insectes comestibles, et ce spécialement d’insectes en conserve, déshydratés ou confits. Les plus grands importateurs d’insectes sont le Japon et la Corée du Sud qui les considèrent comme des produits d’épicerie fine ».
Récemment, un chef étoilé de Nice a décidé de mettre des grillons et des vers dans son menu, mais le premier à avoir créé un plat composé d’insectes au niveau européen reste bel et bien Petr Ocknecht de la ville de Brno. Petr Ocknecht dévoile aussi comment il est possible d’incorporer facilement ces petits insectes à notre cuisine quotidienne, disons plus « traditionnelle » :
« Nous avons décidé de créer avec Marie Borkovcová notre propre livre de cuisine avec des goûts tchèques et d’Europe centrale. Donc un grillon cuisiné avec un peu de beurre et de sel est un régal. Ce sont tout simplement nos goûts locaux : du beurre et du sel, les Français peuvent même utiliser leur beurre salé, c’est une alliance géniale. Cette année, j’ai voulu mettre une pointe de cuisine italienne, mais le chef cuisinier de l’hôtel Yasmin avec lequel je coopère a préféré insuffler une aspiration asiatique, donc nous avons fait du boulgour, du chutney de mangue et de la pancetta aux cafards. »
Si une telle explication paraît simple à première vue, les premières impressions des visiteurs étaient parfois mitigées au Prague Food Festival :
« L’année dernière, notre première dans la présentation d’insectes a remporté un succès fou. Aujourd’hui les gens savaient que nous allions être sur place, donc certains sont venus juste pour goûter des cafards. D’autres bien évidemment avaient des réactions classiques et refusaient de goûter, en disant que c’est dégoûtant. Mais après quelques explications, ils ont goûté et ils ont fini par admettre que c’était bon, et que le seul problème réside dans la tête. Ce n’est qu’une question de préjugés. »
Notre parcours ne s’arrête pas ici. Parmi les visiteurs, nous avons eu la chance de croiser l’eco-designer Jan Sterec. En relation avec la nourriture dite alternative, il nous alerte sur la possibilité d’utiliser des plantes sauvages peu connue :
« À part les plantes toxiques, les plantes sauvages sont en fait toutes comestibles. Mais même parmi les plantes vénéneuses, on en trouve certaines, par exemple l’if, qui est entièrement toxique, à part sa vésicule qui est comestible. Nous nous trouvons de nouveau face à des préjugés et des ignorances. Mais ces plantes peuvent élargir l’éventail de nos aliments, et ce, surtout pendant les saisons où les légumes sont chers. »
La palette des aliments comestibles est vaste, ce qu’ont apprécié ces deux visiteuses pragoises :
« J’ai beaucoup apprécié le fait que tout le monde soit serviable et sympathique malgré le mauvais temps, et que tous les cuisiniers aient été prêts à nous fournir des informations sur n’importe quel plat ».
« Moi je ne peux qu’être d’accord, mais je crois que le festival pourrait être plus ouvert à l’égard des étrangers, car il n’y a rien en anglais. C’est ce qui pourrait être amélioré pour l’année prochaine. »
Un petit bémol linguistique peut-être pour cet évènement par ailleurs très réussi. Et qui n’entame pas l’ambition du festival : penser internationalement, manger localement, le message à retenir de notre plongée dans l’univers gastronomique tchèque actuel.