Du « virus de la couronne de Bohême » à la « Mor » de Camus
Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague ! Coronavirus par-ci, coronavirus par-là, on entend désormais plus parler que de lui. Au sens propre comme figuré, l’épidémie s’est propagée jusque dans nos bouches et sur toutes les langues. Mais quid de la langue tchèque ?
A moins d’une catastrophe plus grande encore d’ici-là, lorsque, en décembre prochain, viendra le moment d’élire le mot de l’année 2020, il ne fait déjà plus aucun doute que « coronavirus » l’emportera haut la main et succèdera, en République tchèque, au mot « klima », qui avait été retenu, comme de tradition, par la rédaction du quotidien Lidové noviny. Pour leur part, les lecteurs du journal avaient préféré le mot « motýle » - « papillons » en référence à une déclaration de leur Premier ministre, pour qui, on le sait, la protection du climat et de l’environnement n’est pas la principale priorité.
Souvent moqué pour sa façon de parler et son « tchécoslovaquisme » qui est un mélange à la fois de tchèque et de slovaque, Andrej Babiš, Slovaque d’origine faut-il le rappeler, avait en effet déclaré dans un élan environnemental et dans son style très personnel : « Nous, en Tchéquie, nous aimons la nature. Nous en voulons. Nous avons un programme colossal pour l’eau. Nous voulons planter dix millions de feuillus. Le scolyte nous bouffe nos forêts. Nous voulons de nouveau des papillons. Et les abeilles aiment le colza, les journalistes peuvent raconter ce qu’ils veulent. Elles l’aiment, c’est la vérité. J’ai été à une exposition à Lysá nad Labem. » Et si les Tchèques ont retenu plus spécialement ce mot « papillons » - « motýle », c’est précisément parce qu’Andrej Babiš l’avait alors décliné en slovaque, et non en tchèque, ce qui aurait alors donné « motýly ».
Quelques mois seulement plus tard, toutes ces gentilles préoccupations semblent très lointaines. Malgré le retour des beaux jours et du printemps (y avez-vous prêté attention cette année ?), ce n'est malheureusement plus le sort des papillons, que ceux-ci soient tchèques, slovaques ou autres, qui nous préoccupe. C'est désormais le coronavirus qui monopolise, ou presque, l'ensemble de nos pensées.
Une maladie inquiétante pour les ravages qu'elle fait, alors qu’il s’agit d’un bien joli mot désignant un « virus à couronne » à partir du substantif latin « corona ». On l'a appelé Coronavirus car les chercheurs qui l’observent au microscope ont remarqué qu’il était de forme ronde et qu'il était entouré de protubérances, comme donc une couronne ou comme, avec un peu d'imagination, – nous sommes quand même en Tchéquie, hein - une capsule de bière. Le coronavirus est un type de virus donc, et il n'y en a pas qu'un seul, puisque après le SRAS en 2003 notamment, on parle désormais d’un nouveau coronavirus, version 2019 avec le Covid-19. Sur ce point, les Tchèques n’ont rien inventé de particulier, si ce n’est qu’un « K » remplace le « C » - « koronavirus » - de manière à prononcer le mot comme il se doit puisque, en tchèque, le « c » se pronone « ts ».
En 2013 déjà, le « virus de la couronne de Bohême »
Décomposer le mot n’est cependant pas inintéressant. En effet, on remarque d’abord que « koruna », à savoir le mot tchèque qui sert à désigner une couronne - dans le sens du cercle de métal précieux qui enserre la tête d’un chef d’Etat ou d’un roi – se rapproche beaucoup lui aussi du latin « corona », dont il tire son origine.
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Et puis, si le mot « virus » existe en tchèque également, on se souvient aussi qu’il y a quelques années, en 2013, le mot de l’année en République tchèque avait été « viróza » - littéralement « virose », qui désigne une maladie provoquée par une infection virale. Dans le contexte tchèque, ce mot avait alors servi à désigner un curieux virus dont l’identité n’a jamais été dévoilée mais dont avait souffert le nouveau président de la République lors de l’ouverture de l’exposition des joyaux de la couronne (tiens, tiens...) de Bohême au Château de Prague. Un Miloš Zeman qui venait d’être fraîchement élu dans ses nouvelles fonctions mais qui n’était franchement pas très frais pour le coup et était apparu titubant au sortir d’une réception à l’ambassade de Russie dont tout laisse à penser qu’elle avait été un peu trop arrosée.
A l’époque, à en croire les sources officielles, Miloš Zeman, victime donc de cette mystérieuse « viróza » ou « virus », s’était « senti tout drôle », comme on dit parfois en français Cette année, beaucoup de Tchèques n’ont pas manqué non plus de remarquer qu’à l’exception d’un discours préenregistré diffusé à la télévision, leur président, à la santé fragile et confiné dans sa résidence de Lány, se fait particulièrement discret depuis la découverte, début mars, du premier cas de contamination au « virus à couronne » en République tchèque.
En tchèque, une étymologie semblable pour la grippe et le ronflement
Depuis son apparition et sa propagation progressive dans le monde, on a souvent comparé le coronavirus à l’épidémie de grippe espagnole – « španělská chřipka » - qui avait fait des dizaines de millions de victimes il y a un siècle. Ici, aucune étymologie latine pour ce mot pas facile à prononcer de « chřipka », qui pourtant - si on y regarde d'un peu plus près - n'est pas sans posséder une certaine ressemblance avec le mot « grippe » tel que nous le connaissons en français.
En fait, « chřipka » provient du vieux tchèque « chřípěti », à savoir « chraptět » - « être enrouillé » ou encore « grailler », « graillonner », donc parler d’une voix enrouillée. Plus amusant est de constater qu’en tchèque, le mot « chřípí », qui possède la même origine, désigne les « narines », et « chrápání » le « ronflement » qui, certes, n’est pas une maladie, mais en est quand même un symptôme.
La « mor » d’Albert Camus
On entend aussi souvent dire qu’il faut profiter du confinement actuel entre autres pour lire et réfléchir (ou même écouter Radio Prague). Et parmi les ouvrages qu’il nous est conseillé de relire, figure bien entendu La Peste d’Albert Camus – « Mor » en tchèque -, un roman évoqué dans à peu près tous les médias ces derniers temps. Nous connaissons tous également l’appellation de « peste noire » mais aussi de « mort noire » - « černá smrt » - donnée aux historiens à la pandémie principalement de peste bubonique qui a sévi en Europe et dans une partie de l’Asie au Moyen-Âge. L’adjectif « noire » a ici un sens figuré - terrible ou affreux - sans allusion médicale et parce que cette peste a placé les populations, plusieurs années durant au milieu du XIVe siècle, dans une situation de deuil continu.
Si nous évoquons cette « peste noire » et l’idée de deuil qui s’y rattache, c’est parce que le mot tchèque qui désigne la peste est donc « mor ». Inévitablement, pour les francophones, ce mot nous fait penser à la mort – « smrt » (prononcez « smeurt ») (cf. : https://www.radio.cz/fr/rubrique/tcheque/quand-la-main-noire-fait-des-siennes ou encore https://www.radio.cz/fr/rubrique/tcheque/la-mort-smrt-et-ses-expressions-idiomatiques).
De ce tout petit mot « mor », nous pouvons dire qu’il provient de la racine indo-européenne « mer- » que l’on retrouve par exemple dans les mots « zemřít »– « mourir », « mrtvola »– « cadavre » ou encore « umořit »– « faire mourir, épuiser, exténuer ».
Nous savons aussi qu’au Moyen-Âge, à une époque où la mort était omniprésente et était considérée comme un aléa de la vie, les gens avaient pour habitude de désigner les épidémies avec des mots très simples. Ainsi donc, si certaines maladies contagieuses entraînaient de nombreux décès, elles étaient désignées sous le terme générique de « mor », et il importait assez peu que leurs symptômes puissent être très différents. En un mot, « mor » et « mort » sévissaient...
On retrouve d’ailleurs très exactement cette idée de « mort qui se répand » dans le mot « hladomor », qui désigne la « famine » et est composé du mot « hlad » - « faim » et donc « mor ». Ainsi donc, la « famine » devient littéralement une « peste de la faim » ou en quelque sorte une « épidémie de faim » qui, autrefois - ne serait-ce qu’en Europe -, semait la mort au sein des populations.
Que cette conclusion ne nous empêche cependant pas de vous souhaiter de vous porter du mieux possible autant que faire se peut – mějte se co nejlíp!, portez plus que jamais le soleil en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !