En Tchéquie aussi, le difficile réapprentissage de la cohabitation avec le loup

Photo: Le centre touristique de Srní

Le loup est de retour depuis quelque temps en République tchèque, et comme dans d’autres pays en Europe, sa réapparition dans la nature n’est pas perçue d’un bon œil par tous. Si d’un côté, ses défenseurs se réjouissent de revoir le canidé en termes de biodiversité, de l’autre, éleveurs et chasseurs crient au loup et manifestent leur opposition à la politique de protection du prédateur. Ce mardi, une table ronde consacrée à la problématique se tenait à la Chambre des députés.

Photo: Le centre touristique de Srní
Selon la dernière Liste rouge des espèces menacées publiée par l’Agence de protection de la nature et des paysages (AOPK ČR), plus d’un tiers des quelque 80 000 espèces végétales et animales recensées en République tchèque sont actuellement en sursis et risquent à terme de disparaître. D’ores et déjà, plusieurs centaines d’entre elles ont été rayées de la carte, victimes essentiellement des activités humaines. La biodiversité continue ainsi de s’appauvrir et la situation d’ensemble de se dégrader.

Pourtant, quelques grands prédateurs se portent plutôt bien. C’est le cas notamment du loup qui avait été complétement éradiqué de Bohême et de Moravie au tournant des XIXe et XXe siècles mais qui, depuis quelques années, élargit progressivement son aire géographique, comme l’explique Jan Andreska, spécialiste de l’interconnexion disciplinaire entre la biologie et l’histoire :

Jan Andreska,  photo: Khalil Baalbaki,  ČRo
« Ces loups sont arrivés chez nous par une voie relativement compliquée en provenance de la Lusace, région frontalière entre l’Allemagne et la Pologne qui se situe juste au nord de la République tchèque. Une population de loups y est apparue dans les années 1990 et s’y est progressivement renforcée. On en compte aujourd’hui plusieurs dizaines, ce qui a poussé les plus jeunes loups à migrer sur notre territoire. Nous savons qu’il s’agit d’une population d’origine balte, ce qui signifie que ces loups ont d’abord traversé toute la Pologne où il existe une vieille voie migratoire qui relie les forêts primaires de Białowieża et d'Augustów, dans le nord-est de la Pologne. Mais aujourd’hui, cette population vit à l’autre bout du pays, c’est-à-dire dans le sud-ouest de la Pologne, des deux côtés de la Neisse, la rivière qui marque la frontière avec l’Allemagne. Et c’est donc de là que les loups migrent dans nos régions montagneuses du nord de la Bohême. Et il est fort probable que ces mêmes loups aient poursuivi leur migration vers le sud et qu’on les trouve aujourd’hui aussi dans le massif de la Šumava et même en Haute-Autriche. »

Miloš Fischer,  photo: ČMMJ
Pour l’heure, cette expansion du loup n’a encore rien de dramatique. On estime qu’une dizaine de meutes et cinq couples sans louveteaux vivent sur l’ensemble du territoire, très majoritairement dans les massifs qui forment les frontières naturelles de la République tchèque. Leur population s’accroît néanmoins, ce qui inquiète éleveurs et chasseurs qui établissent à 300 % l’augmentation au cours de ces trois dernières années du montant des dommages causés par les loups. Responsable de l’Union des chasseurs de Bohême et de Moravie (ČMMJ), Miloš Fischer regrette la légèreté avec laquelle le problème est abordé et ce qu'il considère comme un laisser-aller :

« Les dommages causés par les loups sont déjà relativement importants et il y aura forcément de plus en plus de bêtes tuées si l’on ne fait rien. On nous parle de biodiversité et de la nécessité de protéger celle-ci. Je suis entièrement d’accord, mais la réapparition du loup dans nos forêts ne signifie certainement pas qu’il y a une amélioration. L’état de la nature dans notre pays n’a jamais été aussi désolant qu’il ne l’est aujourd’hui. C’est pourquoi, en ce qui concerne les loups, nous voulons que l’Etat prenne des mesures adaptées avant qu’il ne soit trop tard et que la situation devienne trop compliquée à gérer. »

Concrètement, la ČMMJ demande à ce que toutes les populations de loups soient dûment recensées - comme le stipule déjà la loi -, à ce que des limites en nombre soient arrêtées, à ce qu’un cadre soit défini pour pouvoir tuer les loups en cas de situation de crise ou pour prévenir des dommages importants et enfin à ce que des zones géographiques à l’intérieur desquelles le loup serait entièrement protégé et ne pourrait pas être chassé soient dessinées. La commission en charge des questions environnementales de la Chambre des députés prévoit de présenter un « Plan loup » durant le premier semestre de cette année. Mais selon František Pelc, directeur de l’AOPK, les chasseurs feraient mieux de changer leur fusil d’épaule :

« Je pense que les chasseurs devraient plutôt se réjouir du retour de certains prédateurs, et plus particulièrement de celui du loup. C’est un prédateur très efficace et très intelligent. C’est le seul sur notre territoire qui puisse réguler les populations de gibier, et notamment celle du sanglier, beaucoup trop importante. »

En attendant que des décisions satisfaisantes pour toutes les parties intéressées soient prises, le remboursement des dommages causés sur les élevages et les troupeaux ovins est pris en charge par l’Etat tchèque, qui contribue également aux investissements entrepris notamment dans l’électrification des clôtures et l’utilisation de chiens de berger.