Européennes – comparaison des programmes : le droit de veto en question

Lorsqu’à l’automne 2023, à Bruges, le président tchèque Petr Pavel avait ne serait-ce qu’esquissé l’idée d’un débat sur la façon de rendre plus efficace l’Union européenne, y compris celle d’une extension du vote à la majorité qualifiée dans certains domaines, au détriment du droit de veto, sa sortie avait fait l’effet d’une douche froide en Tchéquie. Dans un pays où un certain sentiment eurosceptique subsiste en sourdine, à divers degrés, l’attachement au droit de veto comme moyen d’exercer une influence reste fort dans certains partis.

Les discussions sur le droit de veto vont bon train ces derniers temps au sein de l’Union européenne, a fortiori dans l’optique de son élargissement à de nouveaux pays. Le droit de veto d’un État membre de l’UE ne peut s’exercer que lors des votes du Conseil européen faits à l’unanimité - et non pas à la majorité qualifiée, deuxième mode de scrutin du Conseil. Les votes à l’unanimité ne concernent qu’un nombre restreint de sujets, mais particulièrement importants : la politique étrangère et la sécurité commune, la citoyenneté, l’adhésion à l’UE ou encore la fiscalité.

Dans ces domaines-là, faute d’unanimité, la décision ne peut pas être adoptée : c’est le fameux « droit de veto » qui a parfois passablement ralenti les discussions. Ce genre de blocage est devenu plus fréquent en raison de l’électron libre qu’est devenue la Hongrie qui a, par exemple, bloqué une nouvelle aide financière à l’Ukraine. Le projet de supprimer ce droit de veto suscite l’approbation de plusieurs acteurs européens. Récemment, le président français Emmanuel Macron a défendu le projet de « généraliser le vote à la majorité qualifiée ».

Qu’en est-il de la position des cinq principaux partis et coalitions tchèques en lice pour les européennes ?

STAN : éviter qu’un seul Etat bloque l’UE

Du côté du parti des Maires et Indépendants (STAN), l’ancienne candidate à la présidentielle et tête de liste du parti pour les élections européennes, Danuše Nerudová rappelle que le droit de veto peut ainsi être un instrument de chantage redoutable :

Photo: Barbora Němcová,  Radio Prague Int.

« Ceux qui disent que nous ne pouvons pas abolir le droit de veto et qui disent en même temps vouloir que l’UE s’élargisse à trois ou quatre pays supplémentaires mentent. Chaque élargissement majeur de l’UE a conduit à une renégociation des traités. Je pense que nous avons ouvert un débat sur la nécessité de discuter de l’efficacité du droit de veto au sein de l’UE lorsqu’il est utilisé à des fins de chantage, par exemple pour bloquer l’aide à l’Ukraine. Nous devons nous demander si nous ne devrions pas réduire les domaines auxquels le veto s’applique. Personnellement, je pense que nous devrions certainement discuter de la politique étrangère, mais il y a d’autres domaines, tels que la fiscalité, la politique sociale… Nous devons discuter de la manière de changer le système afin que nous n’en arrivions pas au point où un seul État bloque tout un processus. Pour rendre l’UE plus efficace, nous devons donc ouvrir ce chapitre. Il ne s’agit certainement pas de renoncer à la souveraineté nationale. Au contraire, nous devrons démontrer notre capacité à coopérer, à rechercher des alliances. C’est le cœur de ce qu’est l’Union européenne : la recherche d’alliances pour faire avancer les choses et non pas le blocage sans fin d’une proposition qui ne mène nulle part et qui, de facto, lie les mains de l’UE. »

Pirates : pour une modification du processus de décision au sein de l’UE

Tête de liste du Parti pirate pour les européennes, Marcel Kolaja abonde dans le sens de la candidate STAN mais veut aller plus loin en élargissant le vote à la majorité qualifiée :

Marcel Kolaja | Photo: Le Parti Pirate/Flickr,  CC BY-SA 2.0 DEED

« Les Pirates préconisent depuis longtemps de modifier le processus décisionnel au sein du Conseil de l’UE. Après tout, la plupart des décisions à la majorité qualifiée, par exemple, sont prises dans le domaine du marché intérieur, et cela fonctionne très bien précisément grâce à ce système. Je pense que ce système de prise de décision devrait être étendu à d’autres domaines, comme la politique étrangère, par exemple, car c’est précisément parce qu’un pays, un Premier ministre, peut bloquer les avancées de l’ensemble de l’UE que cette dernière est terriblement lourde et inefficace. D’un point de vue géopolitique, c’est un gros désavantage. Comme nous souhaitons que l’UE s’élargisse, qu’elle devienne une région du monde beaucoup plus importante sur le plan géopolitique, nous devons également revoir le système de prise de décision, car plus il y a de pays dans la communauté européenne, plus le problème de la capacité d’un pays à bloquer l’ensemble de l’Europe se pose avec acuité. Un exemple révélateur, c’est le cas de notre position à l’égard de la Russie et des sanctions européennes à son encontre. Dans certains de ces paquets de sanctions, Viktor Orbán, le Premier ministre hongrois, a abusé de son droit de veto pour bloquer l’ensemble de l’UE. Toute l’Europe en souffre, y compris la Tchéquie donc. Le seul à en bénéficier est Vladimir Poutine. »

ANO : un outil pour forcer les Etats à se mettre d’accord

Dans sa campagne, le mouvement populiste ANO insiste particulièrement sur la nécessité de maintenir le droit de veto dans les domaines où il s’applique encore, comme le détaille le numéro 2 de la liste du parti, Jaroslav Bžoch :

Jaroslav Bžoch,  photo: Archives de Jaroslav Bžoch,  CC BY-SA 4.0 | Photo: Archives de Jaroslav Bžoch/Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0

« Le droit de veto est souvent quelque chose qui pose problème aux grands Etats. D’un côté je peux les comprendre car plus il y aura d’Etats au sein de l’UE, plus le compromis sera difficile à trouver. Je continue à penser que le droit de veto est un peu un épouvantail : si nous regardons ce qui s’est passé avant l’adoption du traité de Lisbonne, la grande majorité de ces décisions sont désormais prises à la majorité qualifiée. Parfois, bien sûr, certains États sont plus enthousiastes, d’autres moins, mais c’est ainsi. Le droit de veto concerne vraiment un petit nombre de domaines, ceux qui sont importants pour ces États membres, tels que la fiscalité, la sécurité et, bien sûr, la politique étrangère. La question du droit de veto, disons le ouvertement, est liée à la souveraineté, bien sûr car tous les États membres ont leurs propres intérêts, notamment en politique étrangère. Mais je pense que si tous les États membres peuvent s’asseoir autour d’une table, discuter de nombreux sujets et finalement trouver des compromis, le message envoyé au reste du monde est plus clair : nous sommes toujours connectés, fortement unis, et nous parlons d’une seule voix. Il se peut que certains États appliquent le droit de veto mais je pense toujours que cet outil devrait être de forcer ces États à se mettre d’accord et à renforcer leur position. »

ODS : pour l’élargissement, mais en maintenant le droit de veto

Membre du parti civique-démocrate ODS, de tendance conservatrice, et eurodéputée sortante, la numéro deux de la liste réunie sous le nom Spolu (Ensemble), Veronika Vrecionová rappelle que le droit de veto s’applique aujourd’hui à certains domaines définis, tels que la politique étrangère, les questions fiscales et que la grande majorité des décisions sont prises à la majorité qualifiée. Pour cette raison, son parti, traditionnellement favorable à plus de souveraineté nationale, est pour le maintien du droit de veto :

Veronika Vrecionová | Photo: Archives de Veronika Vrecionová

« Je suis fervente partisane du maintien du droit de veto, au moins pour ces domaines, car je pense que la démocratie est une question de négociations. Oui, ce que fait actuellement Viktor Orbán, par exemple, en lien avec la Russie et la guerre en Ukraine, est absolument honteux. Je le condamne. Cependant, imaginez qu’il soit mis en minorité par une majorité qualifiée, cela ne nous aiderait pas du tout : Poutine et sa propagande en profiteraient. Je pense donc que nous ferions ainsi le jeu de la propagande russe et que Viktor Orbán y contribuerait chez lui en influençant à nouveau son opinion publique, en se victimisant, renforçant ainsi les tendances pour une sortie de l’UE. Au final Viktor Orbán finit toujours par céder. Je sais bien que c’est pour de l’argent, que car c’est toujours une question d’argent pour lui. Je suis également fervente partisane de l’élargissement de l’UE, mais je pense que nous devons au moins trouver un consensus sur ces questions. En Tchéquie, par exemple, nous soutenons très fermement l’État d’Israël ? Je pense que c’est également une bonne chose, mais ce n’est pas le cas de tous les autres États membres. Je ne voudrais pas que nous soyons mis en minorité sur cette question. J’espère donc sincèrement que nous conserverons le droit de veto dans ces domaines au moins, comme aussi dans les domaines fiscaux. »

SPD : refus de tout élargissement et de la suppression du droit de veto

Petr Mach, du parti d’extrême-droite SPD, tête de la liste commune avec le parti Trikolóra, dénonce pour sa part toute tentative de retirer à la Tchéquie un moyen d’exprimer son désaccord sur certains thèmes qu’il juge devant relever de la souveraineté nationale :

Petr Mach | Photo: Zuzana Jarolímková,  iROZHLAS.cz

« Nous sommes opposés à l’élargissement de l’Union européenne. Si l’Union européenne était l’organisation qu’elle était avant le traité de Maastricht, si elle était la Communauté européenne, ce serait une toute autre affaire et je ne m’opposerais pas à l’élargissement aux Balkans, à d’autres pays, voire même à la Turquie. Mais, dans la situation actuelle, où l’Union européenne est basée sur une énorme redistribution d’argent sous forme de subventions et sur un vote en fonction de la taille des pays, nous ne voulons pas nous retrouver dans une situation où quelque chose passera contre la volonté de la Tchéquie, où l’argent des contribuables tchèques sera distribué via Bruxelles à un tout autre endroit, que ce soit en Ukraine, en Turquie ou dans les Balkans. Nous défendons donc les intérêts du contribuable tchèque, du citoyen tchèque, et c’est pourquoi nous sommes opposés à tout élargissement de l’Union européenne sous sa forme actuelle. Je suis contre la suppression du droit de veto. Nous nous opposerons à toute tentative visant à supprimer le principe de l’unanimité dans les domaines actuellement en vigueur. »

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