Françoise-Hélène Jourda : « Les bâtiments éphémères sont bien souvent les plus durables »

Photo: Arkos Forum

Ces mardi et mercredi, Prague accueillait le Forum Arkos consacré à l’architecture durable. Une notion qui, il y a encore quelques années, faisait sourire en France, alors que des pays comme l’Allemagne ou l’Autriche l’appliquent depuis des dizaines d’années. Françoise-Hélène Jourda est une des rares architectes françaises à avoir très tôt pensé le bâtiment en terme de développement durable, et elle est venue partager son savoir en République tchèque, où 20 ans après la révolution de velours, ce type de problématique commence seulement à être évoqué. Mais qu’est-ce exactement que l’architecture durable, c’est ce que Françoise-Hélène Jourda nous a expliqué avant sa conférence de mardi.

Françoise-Hélène Jourda,  photo: Arkos Forum
« Face aux deux enjeux, d’une part, d’émissions de gaz à effet de serre et d’autre part, de réduction des ressources disponibles pour les générations futures, nous, les architectes et le monde de la construction en général, on est vraiment interrogés parce que ce monde-là, celui du bâtiment, consomme environ 40% des ressources et produit environ 40% des gaz à effet de serre. Donc s’il y a un endroit où il faut agir, c’est bel et bien le bâtiment et la construction pour faire en sorte que les générations futures puissent se développer, elles aussi, comme on l’a fait, de manière durable, c’est-à-dire sans être face à des problèmes de manque, de survie, qu’elles aussi puissent répondre à leur besoins. »

Photo: Arkos Forum
N’est-ce pas un paradoxe de parler d’architecture durable ? Quand j’entends le mot ‘architecture’, je pense aux cathédrales et à tous ces bâtiments qui ont traversé les siècles. Pour moi, l’architecture est durable par définition…

« D’abord, elle n’est pas toujours durable au sens où on l’entend puisqu’il n’y a que quelques bâtiments qui restent ensuite dans l’histoire et qu’on peut encore visiter et habiter. La plupart des bâtiments sont ensuite démolis, bien souvent ils étaient recyclés. Quand on parle de ‘durable’, c’est une mauvaise traduction du mot ‘sustainable’ en anglais. Parce que les bâtiments éphémères sont bien souvent les plus ‘durables’ au sens de ‘sustainability’. Construire et ensuite pouvoir recycler son bâtiment, le démonter et le transformer en autre chose est souvent une excellente solution.

Photo: Arkos Forum
Malheureusement, c’est quelque chose qui va beaucoup contre l’ego des architectes, des constructeurs, des politiques, qui voudraient absolument que leur bâtiment traverse les siècles, laisser leur trace sur cette planète pour les siècles à venir. Je pense que la plupart du temps et même je dirais, presque à 100%, il faudrait construire des bâtiments qui puissent disparaître, pour qu’on puisse en construire d’autres qui soient mieux adaptés aux besoins des générations futures, besoins qu’on ne connaît pas aujourd’hui. »

Au niveau du coût de ce type de bâtiments, est-ce que ça ne demande pas un plus gros investissement financier pour les personnes qui voudraient par exemple construire leur maison sur ce type de principes ?

Photo: Arkos Forum
« Bien sûr, ça coûte un peu plus cher ! Si on compare une maison, pas isolée, construite en bloc de béton avec une maison en bois construite avec 30 cm d’isolant, ça coûte forcément plus cher. Mais ça coûte de moins en moins cher parce que tout le monde s’y met, il y a des produits industriels, des matériaux qui sont développés à grande échelle, qui font qu’ils sont beaucoup moins chers. Mais il ne faut pas non plus se mentir : la qualité a toujours coûté plus cher que la cochonnerie. Donc ça coûte plus cher, mais c’est rentabilisé extrêmement vite ! »

Est-ce que vous pensez qu’il y a des potentialités de développer plus ce type d’architecture en République tchèque ?

Photo: Arkos Forum
« Je ne connais pas très bien la situation ici. Je la connais un peu parce que, comme j’enseigne en Autriche, c’est un pays très proche… Mais les quelques architectes français qui ont construit ici, n’ont pas du tout construit dans cette idée-là, clairement. Comme si construire avec un langage contemporain n’était pas compatible avec une écriture architecturale environnementale. Je trouve cela stupide, mais il y a de très mauvaises habitudes qui ont été prises, particulièrement en France. Je pense que de toutes les façons, on n’a pas le choix et que si on ne s’y met pas maintenant, c’est du retard qu’on prend et on le payera encore plus cher. »