Dans le cadre de sa série estivale, Radio Prague Int. vous emmène dans des recoins fascinants de la capitale tchèque pour vous faire vivre les histoires et légendes qui s’y rattachent. Direction aujourd’hui la place Charles où se trouve un des lieux résolument les plus mystérieux de Prague : la Maison Faust (Faustův dům).
La Nouvelle-Ville de Prague, où nous nous rendons dans ce nouvel épisode des Histoires de Prague, est une appellation quelque peu trompeuse : elle se nomme « nouvelle » puisqu’elle a été fondée, par Charles IV, cent ans après le quartier de la Vieille-Ville. Ce projet ambitieux voulu par l’empereur au XIVe siècle a fait de Prague la troisième plus grande ville d’Europe.
L’idée de l’empereur était de créer une « nouvelle ville » autour des trois marchés principaux reliés par des artères urbaines : le marché au foin (l’actuelle place Senovážné), le marché aux chevaux, aujourd’hui connu comme la place Venceslas, et le marché aux bestiaux, l’actuelle place Charles (Karlovo náměstí). La guide pragoise Šárka Gandalovičová raconte :
« La place Charles est immense, la plupart de Pragois y passent souvent, parce qu’il y a une station de métro et plusieurs lignes de tramways qui s’y croisent. En même temps, elle ressemble plus à un grand parc qu’à une véritable place. Elle est bordée de maison de différentes époques : certaines sont plus modernes et datent du XXe siècle, d’autres bâtiments sont plus anciens, comme l’Hôtel de ville de la Nouvelle-Ville, construit au XIVe siècle. »
« De l’autre côté de la place, dans sa partie sud, se trouve une maison ravissante, remaniée dans les styles baroque et classiciste. Facilement reconnaissable grâce à sa façade rouge et blanche, elle s’appelle officiellement la maison Mladota (Mladotovský palac, ndlr), d’après ses propriétaires du XVIIIe siècle, issus de la noblesse. Mais elle est beaucoup plus connue sous une autre appellation, comme la Maison Faust. »
L’histoire de Faust, ce savant qui a tenté de négocier avec le diable pour transgresser les frontières de la connaissance et de l’humanité, est d’origine germanique et remonte au XVIe siècle. Elle s’inspire de la vie de Johann Georg Faust, alchimiste, astrologue et magicien allemand de la Renaissance. Maintes fois réinterprétée, elle est connue notamment grâce aux œuvres de Christopher Marlowe et de Johann Wolfgang Goethe.
La légende pragoise dit que le docteur Faust habitait la maison située place Charles, où il s’adonnait à la magie noire dans un laboratoire secret. Le diable s’y serait rendu, emportant Faust aux enfers, en passant par le plafond. Ce qui est sûr et certain c’est qu’à l’emplacement de cette maison se trouvait jadis une nécropole et un lieu de culte païen : d’où d’ailleurs le nom de la rue voisine Na Moráni, lié à Morana, déesse païenne de la mort.
Sur les traces d’Edward Kelley
Nous savons également qu’à proximité de la Maison Faust passait au Moyen Âge une route commerciale importante qui reliait le Château de Prague au château de Vyšehrad. Que nous disent alors les sources historiques sur la Maison Faust ? Šárka Gandalovičová :
« Le docteur Faust n’a jamais habité cette maison. Mais cette appellation évoque le fait que dans le passé, la maison avait quand même des propriétaires assez particuliers. Ils s’intéressaient aux sciences naturelles, plus précisément à la chimie, à la physique et à l’optique. Certains d’entre eux étaient des alchimistes, mais les Pragois les prenaient pour des magiciens. La maison a été construite au XIVe siècle, puis elle a été remaniée à plusieurs reprises et elle a changé maintes fois de propriétaire. Mais elle a toujours été habitée par des gens hors du commun. »
« A l’époque médiévale, elle appartenait aux ducs Opavský, apparentés à la dynastie royale des Přemyslides. Un des membres de la famille Opavský s’intéressait justement à l’alchimie. Mais le propriétaire probablement le plus célèbre de la Maison Faust, qui a vécu en ces lieux dans la deuxième moitié du XVIe siècle, c’était l’astronome, astrologue, alchimiste et amateur d’occultisme et peut-être aussi espion aux services de la reine d’Angleterre, Edward Kelley. »
Le Britannique Edward Kelley est arrivé à Prague et 1584 en tant qu’acolyte du célèbre scientifique John Dee. Les deux hommes ont été reçus par l’empereur Rodolphe II et ont effectué des recherches et des expériences à la cour pendant plusieurs années. On écoute l’historienne Jaroslava Nováková :
« Edward Kelley avait un physique assez impressionnant, un physique de magicien. Il était grand, mince, et avait de longs cheveux noirs. C’était aussi pour cacher qu’on lui avait coupé les oreilles parce qu’il avait commis une fraude judiciaire. »
« Kelley était assez apprécié par Rodolphe II, il est même devenu son conseiller. Et il a acheté la maison sur la place Charles, où nous nous trouvons maintenant. Plus précisément, c’est sa femme qui l’a rachetée, après avoir vendu son domaine à Most, en Bohême du Nord. »
Si Edward Kelley a vécu et travaillé aussi à la cour de son ami Vilém de Rožmberk, dans la ville de Třeboň, en Bohême du Sud, il a fini ses jours en tant que prisonnier au château de Hněvín, à Most.
Le mythe de Faust à Prague
Au XVIIIe siècle, les nouveaux propriétaires de la Maison Faust de Prague, les Mladota de Solopysky, contribuent à la réputation mystérieuse des lieux. Šárka Gandalovičová raconte :
« Le père de famille s’intéressait aux sciences naturelles et effectuait des expériences incompréhensibles pour les gens à l’époque : il devait y avoir des sons et des odeurs bizarres qui s’échappaient de la maison… Son fils cultivait la même passion. Il a notamment effectué des recherches dans le domaine de l’optique, avec des figurines ambulantes qui rappelaient aux gens des êtres artificiels, des humanoïdes… »
« Au XIXe siècle, un autre personnage très particulier habitait la Maison Faust, en partie rachetée par l’Eglise catholique. C’était un prêtre et administrateur de la maison fasciné par la mort : il collectionnait des objets funéraires, des ossements et dormait dans des cercueils… »
« Tout cela a ravivé la légende de docteur Faust liée à cette maison et devenu très populaire à l’époque. Il paraît que l’on peut toujours y trouver, dans un encorbellement près d’un escalier, les traces d’un trou par lequel le diable a emporté Faust aux enfers. Aujourd’hui le bâtiment abrite une pharmacie, donc il a conservé, en quelque sorte, un lien avec l’alchimie… »
Rénovée après le bombardement de Prague en février 1945, la Maison Faust appartient, depuis plusieurs décennies déjà, à la Première Faculté de médecine de l’Université Charles qui nous a gracieusement permis de visiter les lieux, habituellement inaccessibles au grand public.