Il était une fois des pays candidats...
En mai 2004, la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie entreront dans l'Union européenne. En 1991, Pologne, Tchécoslovaquie et Hongrie se réunissaient lors d'un sommet à Visegrad. Entre-temps, l'actualité a d'abord été marquée par les relations entre l'UE et les pays candidats. L'opinion publique semble parfois en oublier que ces nouveaux membres, loin de former un bloc monolithique, possèdent une histoire complexe. Retour sur l'histoire des relations entre les nouveaux membres de l'UE situés en Europe centrale.
Quarante ans d'appartenance commune au Bloc de l'Est ont souvent laissé, dans les opinions publiques occidentales, l'image d'une certaine uniformité entre ces pays. Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie ont pourtant une histoire propre à leur champ géopolitique.
Du XVIIème au XIXème siècle, elle est d'autant plus spécifique que les relations entre ces pays passent par le filtre de la monarchie habsbourgeoise. Mais à travers le prisme de l'Empire, ce sont les rapports entre nations que l'on peut lire. Ainsi, quand les Croates se déclarent, au XVIIème siècle, sujets catholiques de la monarchie autrichienne, c'est d'abord pour se défendre contre la tutelle hongroise et les magnats protestants. En 1867, la monarchie habsbourgeoise devient austro-hongroise, entité bicéphale laissant de côté les nations historiques slaves (Tchèques, Serbo-croates, Polonais de Galicie). Prague devient alors le centre d'un mouvement panslaviste dont la courte longévité trahit des préoccupations avant tout nationales.
Avant la domination autrichienne, les pays d'Europe centrale avaient d'ailleurs leurs relations propres et une histoire faite d'alliances et de rivalités, comme ailleurs en Europe. Du XIIème au XVIème siècle, les frontières et les zones d'influence sont mouvantes dans la région. Les XIIIème et XIVème siècle voient à plusieurs reprises la Couronne de Bohême s'imposer en Europe centrale. En 1260, le roi Premysl Ottakar II oblige Etienne V, roi de Hongrie, à lui céder l'Autriche après l'avoir battu à Kroissenbrunn. Il crée ainsi un grand royaume réunissant Slaves du Nord et Slaves du Sud. En 1278, Rodolphe de Habsbourg et Ladislas de Hongrie battent les armées tchèques à Durknut. Date importante puisqu'elle marque la première incursion, promise à un bel avenir, des Habsbourg dans la région. L'avènement de Charles IV sur le trône de Bohême en 1346 marque l'aboutissement d'un âge d'or pour les terres tchèques. Sous son règne, le royaume de Bohême englobe la Silésie - au sud de l'actuelle Pologne - les deux Lusaces - sud-est de l'Allemagne - et le pays de Cheb. Au XIVème siècle, ce sont les Hongrois de Mathias Corvin qui connaîtront à leur tour leur âge d'or. Puis ce sera une dynastie polonaise, les Jagellon, qui régnera de 1490 à 1526 sur les royaumes de Bohême et de Hongrie. Enfin, les Habsbourg étendront leur influence sur ces derniers. En 1618, une centaine de nobles utraquistes de Prague montent au Château et défenestrent deux représentants de l'Empereur, exprimant ainsi leur opposition à la politique de Contre-Réforme. C'est la guerre et les armées tchèques sont défaites en 1620 à la Montagne Blanche, proche de Prague. Pour l'historiographie tchèque, c'est le début d'un âge des Ténèbres qui durera jusqu'à l'indépendance, en 1918. Le XVIIIème siècle semble pourtant, pour les nations d'Europe centrale, plus propice à une telle appellation. Lumières à l'Ouest mais Ténèbres pour la Pologne, purement et simplement rayée de la carte, suite à son partage, en 1772, entre l'Autriche, la Prusse et la Russie. Les Diètes de Bohême et de Hongrie sont, quant à elles, dépossédées de leurs prérogatives par Joseph II, despote éclairé mais monarque absolu !La communauté de destin ne poussera pourtant pas ces pays, une fois leur indépendance acquise, à se rapprocher les uns des autres. Les Hongrois ressentent avec amertume le création de la Tchécoslovaquie, qui l'ampute de ce qu'ils considèrent comme une partie de leur territoire, la Slovaquie.
Les tensions nouvelles entre des Etats devenus indépendants cachent mal des divergences plus profondes. Les terres tchèques se démarquent ainsi de leurs voisins polonais et hongrois par une forte tradition industrielle et économique. Sous le règne des Habsbourg, la Bohême contribue ainsi aux impôts de la monarchie à hauteur des deux tiers. La Hongrie, elle, est assignée au rôle de grenier mais aussi de frontière militaire de la monarchie.
Dans l'entre-deux guerres, la Tchécoslovaquie est aussi la seule démocratie parlementaire en Europe centrale. Ce ne sera donc pas le moindre des paradoxes de voir, sous l'ère communiste, la Tchécoslovaquie figurer parmi les régimes les plus conservateurs du Bloc de l'Est. Le pays tarde particulièrement à se déstaliniser. En 1956, la Pologne connaît des émeutes tandis qu'une révolution est réprimée en Hongrie. Les deux expériences sont aussi brèves que violentes. En Tchécoslovaquie, l'opposition agira en crescendo et de manière pragmatique de 1963 à 1968.Depuis la chute du communisme, tous les regards sont tournés vers l'Union Européenne et la relation entre pays candidats et pays de l'Union Européenne semble avoir éclipsé l'histoire des relations entre les pays candidats. Une situation qui se nuancera peut-être à partir de mai prochain.