Il y a 100 ans déjà, Prague servait de refuge à l’Université libre d’Ukraine
Alors que plusieurs milliers de réfugiés venus d’Ukraine affluent chaque jour en République tchèque pour fuir la guerre, Radio Prague International vous propose de découvrir un des moments marquants de l’histoire tchéco-ukrainienne où, il y a un siècle, Prague a fait office de terre d’accueil pour les étudiants et chercheurs ukrainiens.
Après la guerre d’indépendance ukrainienne entre 1917 et 1921 et l’établissement de la République socialiste soviétique d’Ukraine, le territoire ukrainien a été le théâtre d’une vague d’émigration : des centaines de milliers d’Ukrainiens, de Biélorusses et de Russes ont fui leur pays natal pour échapper à la guerre civile et à la terreur bolchevik. Leurs principales terres d’accueil ont été la France, l’Allemagne, la Turquie, la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie.
L’actuelle Autriche a également été un lieu de refuge historiquement important pour ces exilés, mais après la Première Guerre mondiale, Vienne perd de son attractivité en raison des problèmes sociaux et de la crise qui y sévit. C’est néanmoins à Vienne qu’est fondée en janvier 1921 l’Université libre ukrainienne avant qu’elle ne déménage à l’automne à Prague moins touchée par la misère et la pénurie.
Si Prague est choisie, c’est aussi parce que la capitale tchécoslovaque a attiré de nombreux intellectuels ukrainiens. Petr Hlaváček, historien et philosophe, coordinateur du Collegium Europaeum de l’Université Charles de Prague et de l’Académie tchèque des Sciences, explique :
« Pendant la Première République, environ 30 000 Ukrainiens ont trouvé refuge en Tchécoslovaquie. Il faut ajouter à ce chiffre les 400 000 Ruthènes qui vivaient dans la partie orientale de l’Etat, en Ruthénie subcarpathique. Là aussi, un mouvement ukrainien a vu le jour.
A titre de comparaison, aujourd’hui, plus de 50 000 citoyens tchèques de nationalité ukrainienne vivent en République tchèque. Plus de 200 000 citoyens ukrainiens travaillent dans le pays et près de 200 000 réfugiés sont arrivés en raison de la guerre actuelle.
La Tchécoslovaquie est vraiment devenue un centre intellectuel pour les Ukrainiens dans l’entre-deux-guerres, car en plus de l’Université, d’autres écoles supérieures et instituts ont été créés dans le pays, comme par exemple l’Académie ukrainienne d’économie à Poděbrady, l’Institut universitaire ukrainien et le Studio ukrainien des beaux-arts à Prague. »
A l’époque, le déménagement de l’Université libre ukrainienne est largement salué par la communauté tchécoslovaque et est même soutenu financièrement par le gouvernement d’alors :
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« L’aide tchécoslovaque aux réfugiés d’Europe centrale et orientale a été très importante, et ce, grâce à une initiative du président Tomáš Garrigue Masaryk et du Premier ministre Karel Kramář. Toutes les activités ont été coordonnées et financées par ce que l’on appelle l’Action de secours russe. Différentes associations ont également collaboré. Les Ukrainiens ont même fondé un ‘comité ukrainien’.
La Tchécoslovaquie soutenait surtout les intellectuels, artistes, écrivains, professeurs et étudiants russes et ukrainiens. Pourquoi ? Parce que l’élite politique et intellectuelle pensait que les émigrés bien formés pourraient former une nouvelle élite de la Russie démocratique et fédérée. C’est pour cette raison que le déménagement à Prague de l’Université libre ukrainienne a été salué. Cependant, il convient de rappeler que les étudiants ukrainiens ont également été formés dans d’autres universités et hautes écoles tchécoslovaques, comme à Prague, à Brno et à Bratislava. »
L’Université libre ukrainienne a entre autres contribué à la fondation de nombreuses institutions ukrainiennes en Tchécoslovaquie comme la Société ukrainienne de droit (1922-1945), la Société ukrainienne d’histoire et de philologie (1923-1945), le Studio ukrainien des beaux-arts (1923-1952), le Comité académique ukrainien (1925-1940) et le Musée de la guerre d’indépendance ukrainienne (1925-1948).
Après la Seconde Guerre mondiale, en 1945, l’Université libre ukrainienne déménage une nouvelle et dernière fois en Allemagne, à Munich. L’émigration de l’Université hors de Tchécoslovaquie fait suite à la situation politique d’après-guerre. Petr Hlaváček nous en dit plus :
« A partir de mai 1945, les organes de sécurité soviétiques ont arrêté un grand nombre d’Ukrainiens, mais aussi de Russes et de Biélorusses qui étaient depuis longtemps des citoyens tchécoslovaques. Ceux-ci ont été assassinés ou déportés dans les goulags en Union soviétique, et tout ça, sans la moindre protestation des autorités tchécoslovaques. »
Les institutions ukrainiennes créées au début des années 1920 sont alors fermées par les autorités communistes qui arrivent au pouvoir en Tchécoslovaquie, certains fonds étant exportés vers Munich, d’autres, comme ceux du Musée de la guerre d’indépendance ukrainienne, vers l’URSS. D’autres furent détruits suite au premier bombardement de Prague par l’US Air Force le 14 février 1945.
Alors qu’à sa création, l’Université libre ukrainienne ne comprenait que deux facultés, l’une orientée vers la philosophie et le droit, l’autre vers les sciences sociales et économiques, elle propose aujourd’hui une variété de formations allant des études politiques aux études de commerce, en passant par la littérature et la linguistique ukrainiennes ou la psychologie. Chaque formation est dispensée en ukrainien et l’Université n’accepte que des étudiants non allemands.
Depuis 1992, le ministère ukrainien de l’Education reconnaît les diplômes décernés par l’Université libre ukrainienne, qui étaient déjà auparavant reconnus par l’Etat bavarois. La bibliothèque de l’Université libre ukrainienne a aujourd’hui encore une importance majeure pour les études ukrainiennes car elle est considérée comme la plus grande bibliothèque ukrainienne d’Europe occidentale.