Il y a 70 ans, les communistes remportaient les premières élections d’après-guerre en Tchécoslovaquie

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On associe généralement l’avènement du régime communiste en Tchécoslovaquie au 25 février 1948, date plus connue sous le nom de Coup de Prague. Pourtant, c’est à mai 1946, date des premières élections législatives organisées dans une Tchécoslovaquie de nouveau libre après la guerre, qu’il faut remonter pour mieux comprendre l’installation progressive au pouvoir du Parti communiste. Le scrutin a en effet abouti à la victoire des communistes, et ce de façon parfaitement démocratique. Ce 26 mai, soixante-dix ans se sont écoulés depuis ces élections.

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Au sein du futur bloc de l’Est, composé de l’Union soviétique et de tous ses pays satellites, l’arrivée du Parti communiste au pouvoir en Tchécoslovaquie est tout-à-fait singulière. Dans ce pays fortement industrialisé, au moins pour sa partie occidentale, seule démocratie dans la région dans l’entre-deux-guerres, le parti des travailleurs était, tout comme en France par exemple, une organisation légale et autorisée. Et comme en France et en Italie, le Parti communiste, une fois rompu le pacte germano-soviétique, s’engage dans la résistance, sortant ainsi grandi de la victoire des Alliés contre l’Allemagne hitlérienne. L’Armée rouge, victorieuse, vient renforcer la conviction que les communistes ont largement participé au retour de la liberté sur le continent européen.

Edvard Beneš,  photo: ČT
En 1945, Eduard Beneš, président de la République et chef pendant la guerre du Gouvernement provisoire tchécoslovaque, décrète à Košice la formation d’un gouvernement de coalition appelé Front national, auquel participe le Parti communiste qui, avec le Parti national social tchèque, domine largement les autres partis conservateurs. A ce moment-là, la situation en Tchécoslovaquie n’est finalement pas si différente que celle qui règne dans les autres pays d’Europe de l’Ouest, note l’historien Michal Stehlík :

« Toute l’Europe était sous le choc de la guerre et de ses victimes. Et surtout on considérait que le pouvoir politique d’avant-guerre n’avait pas réussi à empêcher ces malheurs. Ainsi, des mots comme ‘socialisme’ ou’ Etat social’ ont pris de la valeur. Les partis communistes et socialistes ont acquis une place importante dans la société, comme en France et en Italie aussi. On nationalise également dans ces pays. Donc, la Tchécoslovaquie ne fait pas figure d’exception à ce moment-là. Elle n’est pas uniquement à la botte de l’URSS. Il y a un vrai désir pour le socialisme, pour un système plus juste : les lendemains qui chantent font rêver. »

C’est d’ailleurs animé de cet état d’esprit que s’exprime le leader du Parti communiste tchécoslovaque, Klement Gottwald, dans son discours pré-électoral, en mai 1946. Si rien encore ne laisse à penser qu’il deviendra le premier président communiste du pays, le futur dictateur parle toutefois déjà avec l’assurance d’une victoire presque acquise de son parti :

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« Aujourd’hui, je veux vous dire quelques mots sur les élections qui se dérouleront dimanche 26 mai. Nous avons derrière nous un an de travail de reconstruction. Juste après la libération de la République par l’Armée rouge, nous nous sommes lancés dans la reconstruction de la République sur de nouvelles bases. Le programme de Košice du Front national des Tchèques et Slovaques nous a servi de guide, un programme préparé par les communistes et adopté par tous les autres partis du Front. L’idée de ce programme était et reste d’assurer la liberté reconquise et l’indépendance de notre pays de façon à ce que ne se reproduisent jamais la tragédie vécue par notre peuple, les Accords de Munich et toute occupation étrangère. »

La mention des Accords de Munich, symbole de la trahison de la Tchécoslovaquie par ses alliés français et britanniques en 1938, rappelle que l’orientation prosoviétique prise par le pays après la guerre n’est pas anodine.

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En mai 1946, donc, Tchèques et Slovaques votent et le Parti communiste sort largement vainqueur de ces élections, avec 40,17% des voix dans la partie tchèque du pays, plus industrialisée et sécularisée. Dans la partie slovaque, traditionnellement plus rurale et catholique, le Parti démocratique slovaque, anticommuniste, remporte au contraire 62% des suffrages. Mais au total, les communistes recueillent 38% des voix dans tout le pays, un résultat qui fait du parti l’acteur majeur sur l’échiquier politique tchécoslovaque. Si le nouveau cabinet qui est formé comprend encore des ministres d’autres partis, Klement Gottwald devient le chef du gouvernement et son parti obtient certes peu de portefeuilles, mais des ministères clés, comme l’Information, le Commerce intérieur, les Finances et surtout l’Intérieur.

C’est le début de l’accomplissement progressif d’une volonté de prise de pouvoir, proclamée depuis bien longtemps, comme le rappelle l’historien Petr Koura :

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« Cette volonté remonte à bien avant l’après-guerre. Dans son discours du 21 décembre 1929, devant le Parlement, où Gottwald s’exprime pour la première fois en tant que secrétaire général du Parti communiste, il affirme déjà ouvertement que l’objectif du parti est de prendre le pouvoir en Tchécoslovaquie et d’en finir avec la bourgeoisie. Donc, c’était déjà très clair et public en 1929. Certaines personnes ne le croyaient pas à l’époque. D’autres si. Gottwald avait déclaré mot pour mot devant les députés : ‘nous allons à Moscou pour apprendre comment vous tordre le cou, et nous le ferons’. Et effectivement, les quelques députés qui avaient protesté en 1929 ont fini devant un tribunal lors des procès staliniens des années 1950. »

Car si le Parti communiste accède légitimement au pouvoir exécutif en 1946, c’est en noyautant ensuite diverses institutions, comme la police, qu’il parviendra à étendre progressivement son emprise. La suite est mieux connue : les ministres libéraux encore au gouvernement donneront leur démission, laissant la voie libre au Parti communiste ou au sociaux-démocrates procommunistes pour récupérer les postes vacants. Ce sera chose faite le 25 février 1948, début de plus de quarante années de domination du Parti communiste dans le pays.