Jan Sokol, 20 ans après : « La loi de lustration n’est pas une loi discriminatoire »
Il y a vingt ans de cela, le 5 octobre 1991, la loi dite de lustration était adoptée par l’Assemblée fédérale tchécoslovaque. Deux ans après la révolution, ce texte de « décommunisation » devait servir à protéger les nouvelles institutions démocratiques de l’Etat des anciens agents et autres collaborateurs des services secrets de l’ancien régime. Initialement, cette loi ne devait être appliquée que cinq ans. Mais si elle a bien été supprimée en Slovaquie en 1996, elle reste en vigueur aujourd’hui encore en République tchèque, parfois considérée comme un des derniers symboles des premières années de la transformation politique du pays. A l’époque, Jan Sokol était député à l’Assemblée fédérale, président du groupe parlementaire Mouvement citoyen. Philosophe et professeur reconnu, Jan Sokol a rappelé pour Radio Prague les grandes lignes de cette loi et replacé son adoption, critiquée par certains, dans le contexte du début des années 1990 en Tchécoslovaquie :
« Tout le monde savait qu’il y avait des collaborateurs du régime communiste, et nous avons compris qu’il fallait faire quelque chose. Mais il était tout à fait impossible de procéder sur une base individuelle, au cas par cas. Il y avait les registres de la police secrète sur lesquels figuraient les noms des collaborateurs. Nous voulions donc faire quelque chose pour mettre à l’épreuve, prouver la crédibilité de l’Etat, car nous savions bien qu’à tous les niveaux du gouvernement et de l’Etat, il y avait des gens qui avaient collaboré plus que d’autres avec l’ancien régime. Cette loi devait être en quelque sorte une mesure préventive pour augmenter la crédibilité des organes de l’Etat. C’est là, à mon avis, le sens de la loi de lustration. En tous les cas, il ne s’agissait pas d’une loi appartenant au domaine criminel. Personne n’a perdu son emploi à cause de cette loi. Mais nous avons dit : ‘ces gens ne doivent pas occuper telle ou telle position au sein du gouvernement ou tels postes exposés publiquement, à responsabilité’. C’est l’idée fondamentale de la loi de lustration. »
A l’époque, lorsque le texte de loi a été débattu puis adopté, certains critiques ont parlé d’un instrument de vengeance ou d’une pratique digne de l’ancien régime. Quel est votre avis ?
« Oui, là, il me semble que certains exagèrent un peu. A la différence des mesures discriminatoires de 1969 ou des années 1970, personne n’a perdu son emploi ni n’a été persécuté. Nous voulions simplement que les gens qui avaient signé une collaboration avec la police secrète n’occupent pas des postes à responsabilité, des positions publiques, dans le système de l’Etat et des droits publics. C’est tout. »
Cette loi devait être appliquée cinq ans, c’est du moins ce qui avait été convenu lors de son adoption. Or, si elle a bien été supprimée en Slovaquie en 1996, elle a été prorogée à deux reprises en République tchèque, d’abord en 1995 puis de nouveau en 2000, cette dernière fois pour une durée illimitée. Pourquoi cette différence entre la Slovaquie et la République tchèque ? Et cette loi a-t-elle encore lieu d’être aujourd’hui ?
« Le malheur est que, à cause de cette loi, on a commencé à regarder les gens qui avaient signé une collaboration avec la police secrète comme les coupables de l’ensemble du régime, ce qui est tout à fait faux et insensé. Les véritables coupables, ce n’étaient pas eux : c’étaient ceux qui avaient poussé, contraint, les signataires à passer un agrément avec la police secrète. C’est quelque chose qui me semble tout à fait injuste. D’un autre côté, que vouliez-vous faire après la chute d’un régime qui a causé tellement de torts et de mal qu’il fallait faire un changement, y compris dans les organes de l’Etat ? »
L’intégralité de l’interview avec Jan Sokol sera diffusée le 17 novembre prochain, à l’occasion du 22e anniversaire du début de la révolution de velours et de l’effondrement du régime communiste.