Lustration, une purification ‘à la tchèque’ du passé communiste
Actualité oblige, c’est à un mot très particulier de la langue tchèque auquel nous allons nous intéresser pour cette fois. Un mot d’autant plus particulier qu’il est tchèque… sans l’être. Il s’agit du mot « lustrace » - lustration, et nous allons nous efforcer de vous expliquer pourquoi…
D’un point de vue linguistique, le terme « lustrace » dans ce sens concret est tout aussi intéressant. D’abord parce qu’il s’agit d’un néologisme, ce sens « d’incrimination » des anciens collaborateurs de la police secrète étant apparu au début des années 1990. Car avant l’apparition de ce nouveau sens, l’origine du mot « lustrace »était autre, comme nous l’avait expliqué le philosophe et professeur Jan Sokol en 2011, lors du 20e anniversaire de l’adoption du lustrační zákon. Ancien dissident, Jan Sokol était député à l’Assemblée fédérale tchécoslovaque en 1991. Il nous avait donc précisé l’origine de« lustrace » :
« C’est un terme latin. Dans la Rome antique, il y avait une lustration tous les quatre ans. Chaque citoyen devait se présenter à une cérémonie au cours de laquelle était confirmé son statut de citoyen. Dans l’Antiquité, il y avait aussi l’eau lustrale dont on arrosait le peuple pour le purifier, dans le sens public de ‘pur’ au sein de la cité. Aujourd’hui, cela signifie rétablir une certaine pureté des organismes de l’Etat. »Ce sens décrit par Jan Sokol est également celui que l’on retrouve dans les dictionnaires de la langue française. Ceux-ci mentionnent que « lustration » est un nom féminin provenant du XIVe siècle et emprunté du latin « lustratio ». Il s’agissait, dans la Rome antique, d’une cérémonie, d’un rite de purification d’une personne ou d’un lieu, voire d’une chose, par exemple des armes avant un combat ou une bataille. Seule précision, un lustre désignait un sacrifice pratiqué tous les cinq ans, et non pas quatre comme l’affirme Jan Sokol. Quoiqu’il en soit, quatre ou cinq ans représentent une période relativement longue, d’où l’expression bien connue en français « il y a des lustres que… », c’est-à-dire « cela fait très longtemps » que quelque chose ne s’est pas produit.
Pour en revenir à la langue tchèque, le néologisme « lustrace », dans le sens donc de « purification d’une collaboration avec le régime communiste », équivaut en français aux notions d’intégrité, d’honnêteté et plus encore peut-être même de probité, à savoir une observation rigoureuse des principes de la morale. Toutefois, ce second sens, le sens tchèque en quelque sorte, ne figure pas dans les dictionnaires français. C’est du moins ce qu’il semble. Nous avons posé la question à l’Académie française, mais notre demande est pour le moment restée sans réponse. Pourtant, ce sens de « lustration » introduit par les Tchèques a ensuite été repris par les autres pays d’Europe centrale et de l’Est confrontés au même souci du traitement de leur sombre passé totalitaire lors de leur transition vers la démocratie, même si certains d’entre eux lui ont donné des contenus différents. La majorité de ces pays ont eux aussi adopté une législation proche de celle toujours en vigueur en République tchèque, où donc quiconque avait été fiché comme agent ou collaborateur de la StB entre 1948 et 1989 est interdit d’accès à toute fonction au sein du gouvernement, du pouvoir judiciaire, de la police, de l’armée, des services de renseignement ou encore de la banque centrale.Enfin, ce qu’il est encore intéressant de noter, c’est que si ce second sens de « lustration » ne figure pas dans les dictionnaires français, le mot est couramment utilisé par les journalistes francophones, l’exemple à la fois le plus récent et le plus médiatisé étant l’entrée en vigueur en Pologne en 2007d’une nouvelle loi de lustration, texte qui complétait une première loi adopté dix ans plus tôt. Et là encore, pour vaincre les démons du passé, il s’agissait à la fois d’un processus de purification dans le sens latin du terme à travers une vérification du passé des individus à l’époque communiste, cette fois dans le sens tchèque de « lustrace ».
C’est sur ce constat somme toute assez étonnant que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue ». On se retrouve dans quinze jours pour d’autres découvertes sur la langue tchèque. D’ici-là, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj !