Le passé communiste d’Andrej Babiš pose problème au président Zeman
Les négociations pour la formation d’une nouvelle coalition gouvernementale ont-elles à peine commencé que, déjà, le président de la République, Miloš Zeman, a fait savoir qu’il ne nommerait aucun ministre dans l’impossibilité de présenter ce que les Tchèques appellent une « attestation de lustration propre ». Délivré par le ministère de l’Intérieur, ce document garantit qu’une personne n’a pas collaboré avec le service de renseignements de la StB sous le régime communiste. L’annonce du chef de l’Etat vise essentiellement Andrej Babiš, leader d’ANO (Action des citoyens mécontents), arrivé deuxième des récentes élections législatives. Le milliardaire d’origine slovaque, dont le mouvement est pressenti pour former le prochain gouvernement, est soupçonné d’avoir été un agent de la StB.
Politologue de l’association civique Académie démocratique de Masaryk, proche de la social-démocratie, Lukáš Jelínek ne voit cependant pas les choses du même oeil. Selon lui, l’annonce du président Zeman est une réaction à la déclaration faite le week-end dernier par Andrej Babiš selon laquelle il se verrait bien remplir les fonctions de ministre des Finances :
« Si monsieur Babiš entend démontrer qu’il est le leader fort du mouvement ANO, il se doit de siéger au sein du gouvernement. Il a même fait savoir qu’il souhaitait occuper le poste de ministre des Finances et c’est peut-être une des raisons pour lesquelles on reparle actuellement de la loi de lustration. Je peux imaginer néanmoins que la social-démocratie ne veuille pas laisser le ministère des Finances à un partenaire de la coalition. Et d’autant moins à Andrej Babiš qui, d’une part, ne possède aucune expérience politique et, d’autre part, pourrait faire l’objet d’un conflit d’intérêts en raison de ses activités comme chef d’entreprise. »A la tête d’un empire industriel de quelque trois cent entreprises et 80 000 employés, Andrej Babiš, malgré son récent succès électoral, est un personnage controversé de la vie publique en République tchèque. Membre du parti communiste dans les années 1980, son statut lui a permis, avant la révolution, de travailler à l’étranger dans les entreprises tchécoslovaques de commerce extérieur. Mais en Slovaquie, où il est né, son nom figure également sur les listes des confidents ayant collaboré consciemment avec l’ancienne police secrète StB. L’intéressé, qui s’en défend, a donc intenté une action en justice dans son pays d’origine contre l’Institut de mémoire de la nation, qui dispose des documents, afin de laver son nom. Un verdict pourrait être rendu en début d’année prochaine. Néanmoins, si la collaboration d’Andrej Babiš avec la funeste institution est reconnue, sa participation au gouvernement semble fortement compromise. Expert en droit constitutionnel, le juriste Jan Kysela précise pourquoi :
« On ne peut pas dire que cela découle directement de la loi de lustration. Différents décrets de cette loi permettent différentes interprétations. Ce qui doit prévaloir aujourd’hui est l’usage qui était en vigueur jusqu’à présent. Alors, il semble que disposer d’une attestation de lustration - attestation certifiant qu’une personne n’a pas collaboré avec les services secrets du parti communiste - était une condition préalable indispensable pour que cette personne puisse être nommée membre du gouvernement. La condition réclamée par le président de la République ne peut donc pas tout à fait être considérée comme une décision arbitraire. »La loi dite de lustration a été adoptée par l’Assemblée fédérale tchécoslovaque en 1991. Deux ans après la révolution, ce texte de « décommunisation » devait servir à protéger les nouvelles institutions démocratiques de l’Etat des anciens agents et autres collaborateurs des services secrets de l’ancien régime. Initialement, cette loi ne devait être appliquée que sur une période de cinq ans. Mais si elle a bien été supprimée en Slovaquie en 1996, elle reste en vigueur aujourd’hui encore en République tchèque, parfois considérée comme un des derniers symboles des premières années de la transformation politique du pays. En novembre 2011, à l’occasion du vingtième anniversaire de son adoption, le philosophe et professeur Jan Sokol, ancien dissident député à l’Assemblée fédérale en 1991, avait expliqué à Radio Prague le principe de cette loi de lustration toujours d’actualité en 2013, en replaçant alors son adoption dans le contexte des premières années post-révolutionnaires en Tchécoslovaquie :
« Tout le monde savait que des collaborateurs du régime communiste couraient toujours en politique, et nous avons compris qu’il fallait faire quelque chose. Mais il était tout à fait impossible de procéder sur une base individuelle, au cas par cas. On avait à disposition les registres de la police secrète sur lesquels figuraient les noms des collaborateurs. Nous voulions donc faire quelque chose pour mettre à l’épreuve, prouver la crédibilité de l’Etat, car nous savions bien qu’à tous les niveaux du gouvernement et de l’Etat, il y avait des gens qui avaient collaboré plus que d’autres avec l’ancien régime. Cette loi devait être en quelque sorte une mesure préventive pour crédibiliser les organes de l’Etat. C’est là, à mon avis, le sens de la loi de lustration. Nous voulions simplement que les gens qui avaient signé une collaboration avec la police secrète n’occupent pas des postes à responsabilités au sein du gouvernement, dans le système de l’Etat et du droit public. »Un cas de figure qui pourrait donc concerner directement Andrej Babiš, sans la participation duquel une coalition gouvernementale tripartite social-démocratie – ANO – chrétiens-démocrates semble toutefois aujourd’hui inenvisageable.