Jan Vladislav, poète sous le masque de traducteur
Le poète et traducteur Jan Vladislav n’est plus. Il s’est éteint, ce mardi, à Prague à l’âge de 86 ans, laissant une œuvre immense qu’il faudra encore analyser et apprécier à sa juste valeur. Connu surtout comme traducteur, il était aussi un poète original et profond.
« Je traduisais la poésie pour une raison bizarre. Je pensais que c’est une bonne voie pour apprendre à faire de la littérature, à écrire de la poésie. Ainsi j’ai publié mes premières traductions de l’italien, Pétrarque, Gasparo Stampa, mais aussi Rilke, Hermann Hesse, etc., et cela m’a permis d’entrer dans les milieux littéraires.»
L`ampleur de ses activités de traducteur est étonnante. Il traduisait à partir de sept langues européennes tout en gardant une certaine prédilection pour les langues romanes, mais avec l’aide de spécialistes il a osé traduire aussi des poètes chinois et japonais. Sa traduction la plus aimée des lecteurs a été probablement celle des Sonnets de Shakespeare. Sa propre création était moins connue. Pour la réalisatrice de radio Hana Kofránková les propres poèmes de Jan Vladislav ont été une grande découverte:
«Pour moi Vladislav était un grand nom de la traduction mais je ne me doutais pas que c’était aussi un grand poète. Son œuvre poétique est un peu éclipsée par son immense œuvre de traducteur et quand je préparais pour lui plusieurs rencontres avec le public, l’année dernière, à l’occasion de son 85e anniversaire, j’ai lu ses œuvres poétiques et j’ai été émerveillée. C’est une poésie dépouillée, très ouverte, transparente qui me rappelle les œuvres tardives de Seifert. C’était une grande révélation pour moi. »
Après l’occupation de la Tchécoslovaquie en 1968, Jan Vladislav, de nouveau réduit au silence, crée Kvart, une petite maison d’édition clandestine qui lui permet de publier en samizdat quelque 120 livres dont plusieurs recueils de ses poésies, de ses essais et de ses critiques. Intransigeant vis-à-vis de lui-même, il l’est aussi vis-à-vis de ses contemporains. C’est ainsi qu’il a critiqué au micro de Radio Prague le philosophe Jean-Paul Sartre:«Il était philosophe et être philosophe cela veut dire aimer la vérité, mais parfois en connaissant la vérité, il l'a démentie, il l'a niée et l'a violée. C'était au moment de la guerre de Corée, c'était lors des procès de Prague, c'était au moment de son retour d'Union soviétique en 1954, quand il a écrit plusieurs textes sur la belle vie menée par les citoyens soviétiques. Il n'a même pas mentionné les camps de concentration et les millions de personnes qui souffraient et qu'on tuait dans les camps, tandis qu'il accusait les intellectuels français du XIXe siècle, les Goncourt, Flaubert etc., d'irresponsabilité parce qu'ils n'avaient pas protesté contre la mort des communards fusillés. C'était affreux, la mort des membres fusillés de la Commune de Paris, mais le nombre des fusillés, des torturés et des anéantis en Union soviétique, c'était des millions, ce n'était pas des centaines et des milliers comme à l'époque de la Commune de Paris. Et vous savez, c'est ce que je ne comprends pas. »
En 1981, le régime totalitaire a obligé Jan Vladislav à émigrer. Etabli à Sèvres en France, il dirigeait un séminaire sur la culture non officielle dans les pays derrière le rideau de fer à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Après son retour en Tchéquie, en 2003, le poète a poursuivi jusqu’à la fin son œuvre poétique et obtenu de nombreuses hautes distinctions dont l’ordre français des Arts et des Lettres.