Adapté au cinéma, le roman « Avenue nationale » met en scène un anti-héros tchèque
« L’histoire d’un bagarreur de banlieue de Prague, un héros tragique, tourmenté et mélancolique » : c’est ainsi que Jaroslav Rudiš nous décrivait, il y a quelques années, son roman « Národní třída ». L’adaptation cinématographique de ce récit, qui est paru en français en 2016 sous le titre « Avenue nationale », sort ce jeudi sur les écrans tchèques.
En collaboration avec l’auteur, le réalisateur Štěpán Altrichter a élaboré un scénario cherchant à rendre en images les mots du long monologue intérieur que constitue le roman.
Son protagoniste, Vandam, est incarné par l’acteur Hynek Čermák, que les Tchèques ont pu voir ces dernières années dans plusieurs séries télévisées, ou encore dans le film « Po strništi bos » (Barefood) du réalisateur oscarisé Jan Svěrák. Vandam vit seul, dans un appartement d’une banlieue pragoise où peu de choses semblent avoir changé depuis la construction des barres d’immeubles qui la composent.Peintre en bâtiment le jour, Vandam inculque à son jeune protégé Psycho ses idées et ses pratiques. Le soir, il retrouve les habitués au troquet du quartier. Secrètement épris de la gérante Lucka, il est prêt à tout pour la protéger, et si cela doit se faire avec les poings, tant mieux : ce n’est pas pour rien qu’il est surnommé Vandam, et grâce aux 200 pompes qu’il fait au quotidien, il défend son territoire et ses principes.
Il est surnommé par ses copains de bistrot le « héros national », car il a participé à la manifestation du 17 novembre 1989 sur l’avenue nationale de Prague, et c’est lui qui aurait, en portant le premier coup, déclenché la révolution de Velours. Passionné d’histoire militaire, Vandam voit la vie comme une bataille : pour lui, « la paix, ce n’est rien qu’une pause entre deux guerres. »
Le film, comme le livre, ne se veut pas destiné exclusivement à un public d’intellectuels. Il ne juge donc pas Vandam, ne se moque pas de lui, mais il nous montre la façon de réfléchir d’un personnage frustré du fond de son âme et nous pousse dans nos retranchements. Jaroslav Rudiš avait ainsi expliqué son approche :
« Je crois que le lecteur ne peut pas le souffrir au début parce qu’il est agressif, tient des propos provocateurs et affecte de faire la leçon à tout le monde. Mais tout à coup vous commencez à le comprendre un peu, vous vous glissez dans sa peau et vous réalisez qu’il éveille votre compassion, que vous le plaignez. »En effet, si on ne partage pas forcément les points de vue et les combats de cet anti-héros intolérant, antisystème, xénophobe et incapable d’autoréflexion, on en vient à ressentir de l’empathie pour ce personnage finalement un peu sot et qui cherche à aider, même si l’on se doute dès le début que son comportement autodestructeur ne peut que conduire au drame.
Entre réflexions hilarantes et pensées profondes propres à l’ironie et à la finesse de la plume de Jaroslav Rudiš, ce film offre donc des pistes de réflexion aussi bien aux spectateurs habitués des cinémas d’art et d’essai qu’à ceux qui pourraient se retrouver dans ce héros frustré en quête de repères et d’identité.
LIRE & ECOUTER
Si c’est d’une couche de la société tchèque que le film offre un aperçu, on ne doute pas que l’histoire ne laissera indifférent aucun spectateur européen, car les thèmes qu’il aborde, dont la xénophobie, sont on ne peut plus d’actualité. C’est d’ailleurs ce que nous avait expliqué en 2016 Sophie de Lamarlière, la directrice des Mirobole Editions, qui ont publié « Avenue nationale » :
« Le personnage de Vandam en République tchèque a connu le communisme, le communisme a fini, on lui a promis la démocratie, on lui a promis monts et merveilles, mais il ne voit rien venir et il est perdu. En France, c’est différent. On nous a promis une démocratie parfaite, un modèle de liberté, un modèle de valeurs et ce n’est pas tout à fait ce qu’on obtient. Le lecteur français peut effectivement trouver des échos assez importants. On est dans une période de transition, les démocraties occidentales cherchent un peu notre avenir. J’espère que ce livre pourra porter une petite pierre à l’édifice, qu’on puisse réfléchir à la façon dont les démocraties peuvent évoluer. »