La Bible dans les pays tchèques : hier et aujourd'hui

"Je pourrais être capable de parler les langues des hommes et celles des anges, mais si je n'ai pas d'amour, mes discours ne sont rien de plus qu'un tambour bruyant ou qu'une cloche qui résonne. Je pourrais avoir le don de transmettre des messages reçus de Dieu, je pourrais posséder toute la connaissance et comprendre tous les secrets, je pourrais avoir toute la puissance pour déplacer les montagnes, mais si je n'ai pas d'amour, je ne suis rien. Je pourrais distribuer tous mes biens et même livrer mon corps pour être brûlé, mais si je n'ai pas d'amour, cela ne me sert de rien." Les mots que j'ai choisi de vous rappeler, parce que je les trouve très pertinents, vous les avez certainement reconnus. C'était un extrait de la première lettre de Saint Paul aux Corinthiens. Et pourquoi cette citation de la Bible ? Eh bien, parce que cette émission spéciale sera consacrée, entre autres, aux livres sacrés. Que représente la Bible pour les Tchèques aujourd'hui ? Voilà la question à laquelle nous essayerons de répondre. Un prêtre et une jeune Tchèque vous diront quand et pourquoi ils ont ouvert, pour la première fois, l'Ancien et le Nouveau Testament. Et aussi s'ils y trouvent, ou pas, les réponses aux problèmes qui les préoccupent. Nous relaterons aussi, très brièvement, l'histoire de la Bible sur le territoire tchèque. Dans la seconde partie de ce programme, ma collègue Alena Gebertova et son invitée évoqueront l'histoire extraordinaire d'enfants juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale... Le tout agrémenté de musique ancienne et contemporaine qui reflète, d'une façon ou d'une autre, les sujets religieux. Pour commencer, les chants d'un célèbre compositeur, organiste et poète tchèque du XVIIe siècle, Adam Michna z Otradovic...

A l'automne dernier, le Sénat tchèque abritait une exposition, intitulée la Bible tchèque au fil des siècles. Dans les vitrines, plusieurs exemplaires des livres sacrés étaient exposés : les plus anciens, manuscrits ou imprimés, à côté des plus modernes, disponibles sur CD... Et alors, quand la Bible a-t-elle fait son apparition sur les territoires tchèque et morave ? Au IXe siècle, grâce à deux frères grecs, Cyrille et Méthode. Les missionnaires arrivent en Moravie en 863 et traduisent en langue slave le Nouveau Testament et une partie de l'Ancien Testament. Le prologue en vers des quatre Evangiles, Proglas, rédigé probablement par Cyrille, est considéré comme le plus ancien poème slave. Au vernissage de l'exposition sur la Bible, il a été présenté par l'acteur tchèque Radovan Lukavsky...

Au XIVe siècle, à l'initiative de l'empereur Charles IV, une dizaine d'hommes de lettres traduisent pour la première fois l'intégralité de la Bible en tchèque. Mais cette traduction n'est réservée qu'à l'Eglise et à son clergé... Ce n'est que cent ans plus tard, à l'époque de la réformation, que toutes les couches de la population font connaissance des livres saints. La plus importante traduction tchèque de la Bible date de la fin du XVIe siècle. Elle est signée des grands humanistes et réformateurs tchèques, membres de l'Unité des Frères moraves. Elle s'appelle Bible Kralicka, la Bible de Kralice, d'après le nom d'un petit village dans les hauteurs tchéco-moraves, là où les six tommes de la Bible ont été, en cachette, édités. Cette grande aventure a duré presque quinze ans... Pendant ce temps-là, les Frères moraves et les théologiens, forts de leur connaissance du grec et de l'hébreu, travaillaient dans la forteresse de Kralice, transformée en imprimerie et en atelier de reliure. Les instruments, utilisés par les imprimeurs de l'époque, ont été retrouvés au XXe siècle, lors de fouilles archéologiques. Aujourd'hui, ils sont exposés au Musée de la Bible, à Kralice. L'édition de la Bible de Kralice eut une double importance : si son écriture est raffinée, cultivée et riche, elle est aussi simple, concrète et assaisonnée d'expressions populaires. Et puis, c'est aussi un chef-d'oeuvre de l'art de l'imprimerie, un magnifique ouvrage comparable aux travaux des maîtres relieurs allemands ou hollandais. Au 3e millénaire, la Bible de Kralice est toujours lue par les Tchèques et a valeur de référence pour les traducteurs contemporains...

"Je respecte profondément les personnes qui sont convaincues de leur athéisme suite à une réflexion. Mais je ne peux pas respecter les opinions très radicales, positives ou négatives, à propos de la religion, des gens qui ne font aucun effort pour fonder leur argumentation sur une pincée de connaissances essentielles. Malheureusement, dans notre pays, il y en a beaucoup." Voilà les mots, prononcés, à l'inauguration de l'exposition sur la Bible, par le prêtre catholique Tomas Halik. En effet, plusieurs générations de Tchèques ont grandi dans un climat hostile à la religion. Perçue comme ennemi numéro un du régime communiste, l'Eglise est restée, pendant quarante ans, en marge de la société. Dans les écoles, les cours de catéchisme ont été supprimés. Par conséquent, beaucoup de Tchèques n'ont jamais feuilleté la Bible, ne savent rien des fêtes et traditions religieuses, ni des liturgies des différentes Eglises...

Il y a treize ans, le régime et la situation des Eglises ont changé. D'ailleurs, les statistiques montrent que le nombre de gens qui croient en une force supérieure, mais qui ne sont pas automatiquement membres d'une Eglise, augmente petit à petit. Chacun a, bien sûr, le droit d'être croyant ou athée. Mais... la Bible, on devrait tous la connaître. Celui qui ne s'est jamais plongé dans les histoires de l'Ancien et Nouveau Testament est appauvri, explique Tomas Halik, une des figures les plus en vue de l'Eglise catholique tchèque, écrivain, enseignant, orateur brillant et voyageur infatigable...

"Sans connaître la Bible, nous serions étrangers à notre culture. Nous ne pourrions pas comprendre l'essentiel de la culture européenne, et aussi de la culture tchèque. Qui sait aujourd'hui que cette coiffe en forme de colombe qui fait partie du costume traditionnel de Bohême du sud symbolise le Saint-Esprit, descendant sur la femme qui porte le costume ? Que de nombreux proverbes tchèques sont, en réalité, des citations de la Bible ? De même, sans connaître le contexte biblique, on ne peut pas vraiment comprendre la signification de beaucoup de textes littéraires, de tableaux et de compositions musicales qui constituent le trésor de la culture tchèque. "

Mais, soyons sincères, lire la Bible n'est pas évident du tout. Et Tomas Halik, apprécié et respecté tant par ses étudiants à l'Université Charles que par les jeunes qui viennent, en foules, l'écouter à l'Eglise St.-Sauveur, à Prague, le sait très bien... Lui même a commencé à lire la Bible à 17 ans. Et il avoue commettre la même faute que les adolescents d'aujourd'hui...

Et alors, comment se servir de cette immense bibliothèque ? Tomas Halik.

"Je recommande de commencer par le Nouveau Testament, et là, par les Actes des Apôtres et, ensuite, passer aux évangiles et aux épîtres. Quant à l'Ancien Testament, il est mieux de commencer par les psaumes. Mais il faut surtout avoir un bon commentaire."

Maintenant, je vous envoie un spiritual tchèque. Eh oui, les chants religieux chrétiens des Noirs des Etats-Unis ont aussi trouvé leur auditoire au coeur de l'Europe... Très populaires sous le régime communiste, ils étaient, pour les musiciens et mélomanes, une sorte de révolte contre l'absence de liberté, contre le mensonge et la violence... Fou amoureux de la musique sacrée américaine, un groupe d'étudiants tchèques a créé, en 1960, un ensemble musical, baptisé Spiritual Quintette. Aujourd'hui, ses chansons sont toujours d'actualité et le groupe passe pour une légende sur la scène musicale tchèque. Il s'est produit devant les Présidents Vaclav Havel, Bill Clinton, il a même eu un très grand succès lors de sa tournée américaine...

Katerina Andrsova est professeur de musique. Elle a 32 ans, elle vient d'une petite ville de Bohême centrale, mais depuis ses études universitaires, elle vit à Prague. Katerina est issue d'une famille protestante. Petite fille, elle allait souvent voir son oncle, qui était pasteur.

"Il me prêtait des livres, on discutait beaucoup de la foi. Mais pendant très longtemps, il a refusé de me faire lire la Bible. J'étais curieuse, mais il me disait toujours d'attendre, que la Bible était difficile à lire, qu'elle ne se dévorait pas comme un roman. Il voulait que j'apprenne d'abord à réfléchir d'une certaine façon, au lieu de me ruer tout de suite sur les histoires que raconte la Bible. Il me disait que je ne les comprendrais sûrement pas."

Le moment opportun arrive quand Katerina fête ses vingt ans.

"Chacun a, de temps en temps, l'impression qu'il faille absolument lire quelque chose de la Bible. Moi, j'ai commencé par le Nouveau Testament, mais ce qui m'a captivé beaucoup plus, c'est l'Ancien Testament. Je pense que l'homme y est décrit tel qu'il est vraiment, avec ses côtés négatifs aussi. Certaines histoires sont assez dramatiques. C'est tout, sauf la vie 'en rose'."

Et quand on a un problème personnel, qui nous tracasse, qui trouble notre sommeil... La Bible peut-elle nous donner une réponse ? Voilà l'expérience de Katerina...

"La Bible n'est pas pour moi un mode d'emploi qui nous dit quoi faire, comment se comporter. Mais il est vrai que quand on doit, dans la vie, prendre une décision importante, on devrait retrouver son calme intérieur et se concentrer sur sa foi en Dieu. De toute façon, c'est lui qui va décider. Quand les choses ne se passent pas comme on veut, il se passe ce qui est mieux, disait Martin Luther... Mais ceci ne veut pas dire être passif ! L'homme n'a pas le dernier mot, c'est tout..."

Pour terminer, une chanson de Karel Kryl et, une fois de plus, les propos du prêtre Tomas Halik. "Il serait naïf de penser que la Bible va apporter des réponses simples à toutes nos interrogations. Elle répond à des questions fondamentales de la vie, mais l'homme se pose aussi des questions bien spécifiques, où la consultation d'un seul livre ne suffit pas. Dans la tradition chrétienne, la Bible fait partie de la culture générale. Aujourd'hui, il faut lire la Bible, et aussi être ouvert à notre culture moderne. Et chercher les ponts qui relient ces deux mondes assez différents."

Auteur: Magdalena Segertová
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