« La politique impérialiste russe est la plus grande menace pour la sécurité de la Tchéquie »
Pendant trois jours, les diplomates tchèques se réunissent à Prague pour la traditionnelle rencontre annuelle des ambassadeurs. Lundi, le Premier ministre, Petr Fiala, et le ministre des Affaires étrangères, Jan Lipavský, les ont reçus au palais Černín, l’occasion pour le gouvernement de rappeler aux diplomates les grands axes de sa politique étrangère.
Ce lundi s’est ouverte à Prague la rencontre annuelle des ambassadeurs tchèques. En guise d’ouverture, le ministre des Affaires étrangères tchèque, Jan Lipavský (Pirates), s’est réjoui que pour la première fois depuis dix ans, « le palais Černín, l’Académie Straka (siège du gouvernement, ndlr) et le Château de Prague » parlent d’une seule et même voix en matière de politique étrangère ce qui permet à la République tchèque de faire son « retour sur la carte du monde ».
Sans surprise, une large partie du discours du chef de la diplomatie tchèque a été consacrée à la guerre russo-ukrainienne. Reprenant les mots de l’ancien président tchèque Václav Havel - « L’une des grandes traditions européennes […] met en avant le citoyen libre, source de tout pouvoir. » - Jan Lipavský a réitéré son attachement à l’héritage du défunt politicien et dramaturge dont la pensée a guidé la présidence tchèque de l’Union européenne l’an passé et qui continue de guider la politique étrangère de Prague actuellement.
A cet égard, le ministre s’en est âprement pris au régime de Poutine, accusé de « couper tous les ponts et de ne montrer aucune volonté d’abandonner sa voie destructrice » et d’aller à l’encontre des valeurs portées par l’Occident :
« Le poutinisme russe actuel [est] un mélange d’impérialisme fondé sur l’histoire coloniale russe et soviétique, avec des références au mysticisme orthodoxe, et empreint des méthodes du KGB et de la mafia de Saint-Pétersbourg. Tant que la Russie ne sera pas débarrassée du poutinisme, quiconque siégeant au Kremlin restera enclin à étouffer les libertés à l’intérieur et à l’extérieur de la Russie. Le système russe est construit sur la négation de la liberté et des valeurs sur lesquelles repose la civilisation occidentale […]. L’autocratie reste une longue tradition en Russie et cela importe peu de savoir finalement quel nom prend l’idéologie, qu’il s’agisse du communisme, du stalinisme ou du poutinisme. »
Dans le même registre, le Premier ministre tchèque a qualifié la « politique impérialiste russe comme la plus grande menace pour la sécurité de la République tchèque » et a mis en garde contre les dangers d’un conflit gelé. Petr Fiala a néanmoins reconnu que les chances d’une résolution rapide du conflit en Ukraine étaient de plus en plus minces et qu’une certaine « nervosité » émergeait, y compris en Tchéquie.
Sécurité énergétique et prospérité économique
« Sécurité et prospérité » ont été les maîtres-mots de l’intervention du Premier ministre ce lundi devant les diplomates tchèques. Par « sécurité », le chef du gouvernement entend notamment « sécurité énergétique ». Pour Petr Fiala, le pays pourrait parvenir à se dispenser entièrement des importations russes en la matière dans les tous prochains mois :
« Aujourd’hui, nous sommes presque à 100 % indépendants du gaz russe. Nous n’avons pratiquement plus besoin du gaz russe. Ceci est le fruit des actions judicieuses et opportunes de notre gouvernement, mais aussi du travail sérieux de nombreux experts de l’administration publique. Le chemin vers l’abandon définitif des combustibles fossiles russes n’est toutefois pas encore terminé. Nous devons encore nous défaire du pétrole russe, ce qui implique l’achèvement de l’extension de l’oléoduc Transalpin (TAL), qui devrait être achevé d’ici la fin de l’année prochaine. Enfin, la dernière condition-clef de notre indépendance énergétique repose sur le passage complet au combustible français et américain pour l’approvisionnement de nos centrales nucléaires. Tout indique que dans un avenir proche, pouvant s’évaluer en mois, nous serons en mesure de nous passer à 100 % de la Russie et de l’énergie russe ; ce qui est fondamental pour la sécurité énergétique de la République tchèque. »
Dans le contexte de redéfinition des alliances et partenariats à l’échelle internationale, le Premier ministre tchèque a par ailleurs enjoint les ambassadeurs à aider à « attirer les investissements en Tchéquie » et encouragé, dans un même temps, les entrepreneurs tchèques à « diversifier leurs exportations et à pénétrer de nouveaux marchés dynamiques ». Cet appel lancé par le chef du gouvernement tchèque doit être lu en tenant compte de la position nouvelle de la Tchéquie à l’égard de la Chine depuis l’adoption de la nouvelle stratégie de sécurité du pays cet été, qui appréhende le régime chinois non plus comme un simple concurrent mais comme un « défi systémique ». Le Premier ministre a appelé à la « vigilance » à l’égard des actions de la Chine qui « surveille par ailleurs attentivement le conflit [en Ukraine] dans l’optique de ses propres ambitions de puissance ».
La Tchéquie un « partenaire respecté »
De son côté, le ministre des Affaires étrangères a salué le dynamisme de la diplomatie tchèque qui s’est notamment manifesté à l’occasion de la présidence de l’Union européenne l’an passé et qui aurait, selon le ministre, permis au pays de mieux se faire respecter en mettant en avant sa force de proposition. Le chef de la diplomatie entend continuer à défendre le rôle moteur de la Tchéquie au sein des structures régionales et internationales en mentionnant notamment la candidature du pays comme membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU à l’horizon 2032-2033, ou encore, à plus courte échéance, l’accueil d’un sommet informel de l’OTAN l’année prochaine.
Le chef de la diplomatie ukrainienne présent à la rencontre
Compte tenu de la place prépondérante qu’occupe la guerre en Ukraine dans la politique intérieure et extérieure de la Tchéquie, le ministre des Affaires étrangères ukrainien, Dmytro Kuleba, a été convié à l’ouverture de la rencontre annuelle des ambassadeurs ce lundi. Dans une conférence de presse accordée après un entretien avec son homologue tchèque, le ministre ukrainien a tenu à remercier le président, le gouvernement, le Parlement et « surtout le peuple » tchèques pour leur soutien. Dmytro Kuleba est ensuite revenu sur la nomination d’un nouvel ambassadeur ukrainien à Prague, dont le poste est vacant depuis plus d’un an :
« Yevhen Perebyinis était un excellent ambassadeur ici à Prague mais son mandat était terminé et j’avais besoin de lui en tant que vice-ministre. Depuis lors, nous cherchons le candidat le plus solide pour devenir ambassadeur en République tchèque. […] Notre relation étant si exemplaire et votre pays étant si important pour nous, nous recherchons le candidat parfait. Nous sommes actuellement à la toute dernière étape du processus de sélection […]. La décision sera prise par le président à mon retour de Prague. […] Nous voulons un ambassadeur, mais pas n’importe quel ambassadeur, nous voulons le meilleur, alors un peu de patience… »
Le chef de la diplomatie ukrainienne a également glissé un mot sur les restrictions européennes à l’exportation de céréales ukrainiennes qui prendront fin le 15 septembre. Au vu de l’intention de certains pays de la région de substituer aux restrictions européennes des restrictions nationales, Dmytro Kuleba a réagi en invoquant une « violation des règles du marché commun », avant d’ajouter : « S’ils se comportent de la sorte, nous n’aurons d’autre choix que de défendre farouchement nos droits et ceux des agriculteurs ukrainiens. »
La rencontre des ambassadeurs à Prague doit se poursuivre jusqu’à mercredi. Après avoir écouté les discours du Premier ministre et du ministre des Affaires étrangères lundi, les diplomates tchèques seront reçus par le président de la République au Château de Prague ce mardi à quinze heures.