« Le nouveau chef de la diplomatie tchèque sera dans une position délicate »
Un peu à la surprise générale, le chef de l’Etat M. Zeman a finalement accepté lundi de nommer le gouvernement dans son ensemble. Selon le nouveau Premier ministre Petr Fiala, cette nomination doit se dérouler vendredi matin et Jan Lipavský, candidat du Parti pirate, sera bien le nouveau ministre des Affaires étrangères malgré la liste de réserves émises à l’origine par le président de la République, notamment sur ses qualifications et ses prises de position sur les relations avec le Groupe de Visegrad ou Israël.
Pour en parler sur notre antenne, Lukáš Macek, chercheur associé à l’Institut Jacques Delors :
Comment expliquer le fait que Miloš Zeman renonce à être un obstacle à la nomination du gouvernement qui s’annonce pour vendredi ?
Lukáš Macek : « Tant que le gouvernement n’est pas nommé je vais rester prudent dans mes commentaires car Miloš Zeman n’est pas totalement prévisible. Ce qui est vrai mardi ne l’est pas forcément vendredi. Mais, dans la mesure où ceci semble acquis, je crois que ce qui a joué le plus est son souhait de ne pas complètement hypothéquer la fin de son mandat par un conflit dur avec le gouvernement, dans une situation où ses alliés sont faibles un peu partout, puisqu’aucune des deux chambres du Parlement ne lui est acquise. Ce serait donc un vrai risque pour lui d’avoir une fin de mandat très isolée et très compliquée. Je pense qu’il a simplement fini par refaire ses calculs et s’est dit qu’il valait mieux jouer une partition positive avec ce gouvernement plutôt que d’entrer dans un conflit avec un risque de procédure devant la Cour Constitutionnelle qui pourrait tourner à son désavantage. »
Les réserves du Président de la République portaient principalement sur le candidat au poste de chef de la diplomatie issu des rangs du Parti pirate Jan Lipavský. Est-ce que ce nouveau chef de la diplomatie, relativement jeune, va avoir une grosse pression sur les épaules selon vous ?
« Il sera clairement dans une situation délicate d’abord parce qu’il aura face à lui la présidence de la République qui ne lui sera pas favorable. Or, la politique étrangère est quand même un élément important. Il sera aussi membre d’une coalition gouvernementale qui est assez hétéroclite, notamment sur les questions de politiques étrangères et les questions européennes qui sont un des éléments très importants et ce d’autant plus avec la présidence tchèque du Conseil de l’Union Européenne qui approche. Ces sujets font partie des sujets qui divisent cette coalition ou en tous cas qui rendent les discussions compliquées en son sein. Nous savons qu’une partie de l’ODS n’est pas enthousiaste pour rester dans les euphémismes qu’il soit ministre des Affaires étrangères. C’est sans parler aussi de la spécificité du ministère qui est une maison un peu particulière. Pour tout nouveau ministre, ce n’est pas forcément évident de s’imposer face à un corps constitué, assez soudé et expérimenté. Donc oui je pense qu’il sera dans une situation difficile mais il connait les défis qu’il accepte. Il faut juste souhaiter à la République tchèque qu’il soit à la hauteur. »
Pouvons-nous nous attendre à des changements radicaux dans la diplomatie tchèque ?
« Des changements, oui, mais radicaux non. Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, je vois mal ce ministre et ce gouvernement faire des virages très importants. Il y aura sans doute une forme de retour à des fondamentaux de ce qu’était la politique étrangère tchèque dans les années 90 et au début des années 2000. De ce point de vue, ce sont plutôt les dernières années qui ont été une anomalie et une forme de radicalisation, sous pression de Miloš Zeman et de ses priorités géopolitiques. Mais je ne m’attends pas à des bouleversements majeurs parce que la ligne en politique étrangère sera un compromis entre des forces politiques assez hétéroclites. »
De là à voir Petr Fiala comme héritier de Václav Havel, dont le pays va célébrer le dernier anniversaire de la mort ce week-end, il y a quand même un pas ?
« C’est plus qu’un pas. Petr Fiala a quand même des références en politique étrangère et notamment européenne qui ne sont pas tout à fait celles de Václav Havel. Le fait qu’il se soit construit politiquement dans une opposition à Andrej Babiš et son orientation euro-atlantique, ou orientation pro-occidentale, sont devenus un enjeu sur lequel l’ODS s’est positionné très clairement face à une dérive de cette tendance libérale que l’on peut constater dans d’autres pays d’Europe centrale. De ce point de vue-là, Petr Fiala, avec sa coalition est quelque part plus proche de l’héritage de Václav Havel que ne l’a été Andrej Babiš. C’est une évidence. Il ne faut pas oublier pour autant qu’avant d’autres personnalités de l’ODS affichaient des proximités plutôt fortes avec Viktor Orbán ou avec le gouvernement polonais. C’est une situation assez complexe. Petr Fiala a devant lui un impératif de clarification de nombreuses choses, à commencer par la ligne politique de la République tchèque au sein de l’Union européenne, sans oublier l’enjeu de la présidence tchèque qui nécessitera sans doute un certain nombre de clarifications de sa part. »
Dans ce contexte-là et dans la perspective de cette présidence tchèque de l’Union européenne, comment analyser la nouvelle nomination de la conseillère de Petr Fiala pour l’Union européenne, que l’on appelle dans le jargon bruxellois, la « sherpa », Jolana Mungengová ?
« Le CV de cette personne n’est pas tout à fait habituel. Il y a effectivement un passage au début de sa carrière par des coopérations avec des groupes politiques qui sont hors du mainstream européen, ce qui n’est pas forcément ce qu’on attend à voir dans le CV d’un sherpa d’un chef d’Etat ou de gouvernement. Cela étant, c’était un début de carrière. Cela peut relever aussi de personnalités politiques qui ont dans leur jeunesse épousé des causes ou ont travaillé pour des personnalités éloignées de ce qu’elles deviennent par la suite. C’est quelque chose qui n’est pas rare. Il est clair néanmoins que des éléments du parcours de cette personne risquent, en effet, de soulever quelques questions et inquiétudes du côté de ses interlocuteurs.
D’autres éléments du CV montrent qu’il s’agit d’une personne qui connaît bien le microcosme bruxellois, qui a fait un passage par la Commission européenne avec une commissaire qui est très loin de ses engagements précédents. Nous verrons ce qui prévaudra. Peut-être est-ce d’ailleurs un choix qui cherche à satisfaire tout le monde. Il ne faut pas oublier que Fiala, au sein même de son parti, peut être contesté sur sa ligne européenne. Nous ne sommes pas à l’abri dans les semaines et mois à venir d’une recomposition des groupes politiques au sein du Parlement européen, ce qui pourrait confronter Petr Fiala à des dilemmes assez graves. »
Des dilemmes propos de la place de l’ODS sur les bancs du Parlement européen…
« Si jamais le PiS polonais, le parti dominant du groupe CRE, qui connaît un nouveau rééquilibre depuis le départ des conservateurs britanniques et dont fait partie l’ODS, se lance finalement dans un projet avec Viktor Orbán et avec d’autres groupes d’extrême droite tels que Fratelli d’Italia ou la Lega en Italie, ou le Rassemblement national en France, pour l’ODS cela pourrait être une situation assez compliquée. Il faudrait choisir entre le fait de suivre le PiS dans cette aventure-là, ce qui serait un choix lourd de conséquences et qui sans doute passerait mal auprès des partenaires de coalition de l’ODS ou un retour forcé vers le PPE que ce parti a quitté il y a quelques années. Cela peut être un dilemme assez compliqué. »