La République tchèque glisse-t-elle vers un régime semi-présidentiel ?

Photo: Ondřej Němec / Knihovna Václava Havla

A l’invitation de la Bibliothèque de Václav Havel, deux juristes constitutionnels, un politologue et un commentateur étaient réunis mercredi à Prague, afin d’analyser un possible glissement du système politique tchèque vers un régime semi-présidentiel. Depuis l’entrée en fonctions de Miloš Zeman au Château de Prague et sa résolution controversée de la crise gouvernementale en juin dernier, se pose en effet pour beaucoup de Tchèques la question des prérogatives du chef de l’Etat. Afin d’en savoir plus, Radio Prague a interrogé deux des conférenciers : Jiří Pehe, politologue et directeur de la New York University of Prague, et Jan Kudrna, spécialiste de droit constitutionnel à l’Université Charles.

Photo: Ondřej Němec / Knihovna Václava Havla
Dans un régime semi-présidentiel, le chef de l’Etat est élu au suffrage universel direct et bénéficie de compétences propres. Néanmoins, le gouvernement reste responsable devant le Parlement. Selon Jiří Pehe, la Constitution tchèque a été pensée et rédigée pour un régime parlementaire, pas question donc ici de semi-présidentialisme constitutionnel, même si Jan Kudrna complète :

« La Constitution permet au chef de l’Etat de faire usage de prérogatives importantes et de s’ériger en tant qu’acteur politique influent. Sa position réelle dépend uniquement de sa volonté d’utiliser ou pas tout ce que le système lui permet déjà. »

Photo: Ondřej Němec / Knihovna Václava Havla
C’est cet usage maximaliste par le président Zeman de son pouvoir qui fait dire à certains qu’un régime semi-présidentiel se met en place dans la pratique. Mais cette affirmation a pour défaut d’oublier que l’arbitraire souvent reproché au chef de l’Etat s’inscrit dans un contexte politique très particulier suite à la démission du gouvernement Nečas et à la dissolution de la Chambre des députés. Cette situation de flou et d’instabilité a permis à Miloš Zeman de nommer un gouvernement intérimaire officiellement qualifié d’experts, mais qui, en réalité, regroupe différentes personnalités proches de la pensée du chef de l’Etat. Peu importe que ce cabinet n’ait pas obtenu la confiance des députés ; le gouvernement formé et dirigé par Jiři Rusnok reste bien en place en attendant les élections législatives anticipées fin octobre. Et comme le prouve, par exemple, l’adoption mercredi du budget de l’Etat pour 2014, son rôle ne consiste pas seulement à assurer les affaires courantes. Derrière toutes ces péripéties, le politologue Jiří Pehe voit non seulement la personnalité de Miloš Zeman, mais également l’absence d’un adversaire fort :

Jiří Pehe,  photo: Ondřej Němec / Knihovna Václava Havla
« La source de ces problèmes se trouve pour moitié dans le personnage du président et dans la faiblesse des partis politiques. Si le poste du chef de l’Etat était occupé par une personne moins ambitieuse et moins avide de régler ses comptes, nous ne nous poserions probablement pas toutes ces questions sur la nature de notre système politique. En revanche, celui-ci devrait pouvoir permettre de canaliser les excès d’un président expansif comme Miloš Zeman. »

C’est là précisément le rôle majeur des partis politiques. Dans un système parlementaire et lorsque la situation l’exige, ceux-ci doivent être en mesure de contrebalancer le chef de l’Etat. Jiří Pehe est critique à leur égard :

« Concernant la nature de notre système parlementaire, les partis politiques n’agissent pas dans leur propre intérêt dans ce bras de fer avec le président. Ils s’affaiblissent au profit d’un président fort d’un pouvoir de plus en plus important. »

S’il partage cette analyse, Jan Kudrna attire également l’attention sur une particularité de la société tchèque, qui attribue au chef de l’Etat des compétences qui vont au-delà de sa fonction de médiateur. Jan Kudrna :

Jan Kudrna,  photo: Ondřej Němec / Knihovna Václava Havla
« Il s’agit là d’un paradoxe ancré dans le système politique tchèque. Cette aura dont bénéficie le président fait que les hommes politiques forts aspirent plus à ces fonctions de représentant du pays et de modérateur qu’à celles de Premier ministre. Formellement, pourtant, le chef du gouvernement est l’acteur le plus puissant du système. Or, justement du fait de ce paradoxe tchèque, le poste est occupé par des hommes politiques faibles. »

Ecrite sur mesure au début des années 1990 pour un président-philosophe, la Constitution doit néanmoins permettre un fonctionnement politique avec un autre chef de l’Etat. Si l’ambition de Václav Havel était parfois limitée par Václav Klaus, qui se plaisait à lui tenir tête, on attend maintenant de voir si le prochain chef du gouvernement qui sortira des élections législatives des 25 et 26 octobre aura, lui, les épaules suffisamment larges pour faire face à Miloš Zeman.