« La République tchèque, un des meilleurs endroits pour fabriquer un film »
Le tournage du film français Philibert aux studios Barrandov, pastiche de films de cape et d’épée, est l’occasion de revenir sur la présence de productions étrangères en République tchèque. Après le boom des tournages de grosses productions, hollywoodiennes notamment, le pays s’est vu concurrencé par d’autres destinations, moins onéreuses. Mais la République tchèque continue aujourd’hui, sinon d’être l’eldorado, en tout cas une valeur sûre en terme de savoir-faire et de coût. En effet, le gouvernement tchèque a créé un programme de crédit d’impôt visant à inciter les productions étrangères à tourner dans le pays. Marc Jenny est le co-producteur, à Prague, de Philibert. Rencontre.
Grand succès comme on le sait...
« ... qui a en effet pas mal marché. Et puis d’autres comme Babylon de Mathieu Kassowitz. Là, on tourne Philibert depuis le 19 juillet, un film avec Jérémie Rénier, Alexandre Astier et Manu Payet. C’est un film de cape et d’épée qui reprend un peu les thèmes et la manière de tourner que pouvaient avoir les Américains avec des films comme ceux que faisait Errol Flynn. Les films de pirates, de princesses... »Donc c’est une sorte de pastiche...
« Tout à fait. Un peu à la manière d’OSS 117 qui a été tourné en France avec Jean Dujardin. »
Donc c’est un film de cape et d’épée comique, d’où la présence de Manu Payet et Alexandre Astier...
« Oui, c’est exactement ça. Manu Payet joue le compagnon de fortune et d’infortune de Jérémie Rénier et Alexandre Astier joue le méchant. »C’est un tournage qui a commencé à la mi-juillet et qui va s’achever mi-septembre...
« On tourne en Tchéquie jusqu’au 11 septembre et ensuite il nous restera une semaine à faire en Bourgogne et en Bretagne. »
L’essentiel du film est tourné en République tchèque ?
« Il est quasiment entièrement tourné en studios, sur le principe des films dont on parlait à l’instant. Sur les 50 jours de tournage, on en tourne 30 aux studios Barrandov où on a reconstitué tous les intérieurs de château et même des extérieurs, puisqu’on profite du terrain juste à côté du studio pour faire des extérieurs de château, une longère bretonne au début du film. On est donc complètement implanté tout l’été aux studios Barrandov. »
Quelle est la valeur ajoutée des studios Barrandov par rapport à d’autres studios dans d’autres pays ?
« Il y aurait beaucoup à dire. Personnellement, je pense que la Tchéquie, Prague en particulier, est une des meilleures bases aujourd’hui pour fabriquer du film. Quand je dis ‘fabriquer du film’, c’est qu’au niveau du tournage, de l’exécution d’un film, la République tchèque a des avantages géographiques, financiers, une technicité de très haut niveau. Parfois on fait des études pour d’autres pays, mais on finit par faire le film à Prague parce qu’on se rend compte qu’on est d’une part très bien accueilli, et ensuite parce qu’au niveau technique, on est bien meilleur en Tchéquie que dans d’autres pays d’Europe aujourd’hui. »Dans le cas de Philibert, comment a été décidé que le tournage se déroulerait ici, à Prague ?
« Déjà ce qu’il faut savoir, c’est que le cinéma tchèque des années 1940-50 a beaucoup fait ce genre de films. Des contes de fée, des films pour enfants, en studio, des légendes qui se déroulent dans les Krkonoše. Autant de choses que j’ai un peu vues. Tout cela nous a fait penser que pour reconstituer un château, il y avait un savoir-faire. On arrive ici à construire des intérieurs de château très rapidement et c’est dans la culture cinématographique de construire ce type de décors. »
Et au niveau des costumes aussi ?
« Au niveau des costumes aussi. Ici, il y a effectivement des stocks etc. Mais au niveau des costumes, la créatrice française est partie sur des idées bien précises. Donc on est plutôt allé chercher des costumes partout en Europe et on fait aussi beaucoup de créations. Mais c’est surtout pour la capacité de fabriquer des décors, et relativement rapidement, parce qu’on s’est décidé un peu tard à faire le film. Donc l’endroit est idéal pour ce genre de scénario. »Depuis quelques temps, la République tchèque propose un crédit d’impôt pour les tournages de films étrangers dans le pays. Pourriez-vous nous rappeler exactement ce dont il s’agit et si Philibert en bénéficie ?
« Philibert va en effet en bénéficier parce que le timing du film est bien dans le calendrier fixé par le gouvernement tchèque pour ce système. Il s’agit en fait de pouvoir récupérer 20% des dépenses qu’on va faire ici. Donc c’est un système assez simple et clair pour les productions étrangères qui viennent. Effectivement, on va en bénéficier. Ce système-là, certains l’appellent crédit d’impôt, d’autres ‘tax-rebate’, mais il faut faire attention, parce que derrière ces mots-là, ce n’est pas les mêmes stratégies, les mêmes politiques... »
Par rapport à d’autres pays par exemple ?
« Oui. Mais aussi par rapport à des problèmes de politique interne. Il faut savoir que le système tchèque n’est pas du tout un système de subventions, où l’on va chercher l’argent dans le budget de l’Etat, mais au contraire que l’Etat mette à disposition une certaine somme, qui va permettre un cash-flow qui va donc générer du chiffre d’affaires. S’il n’y a pas de cash-flow, pas de chiffre d’affaires, et s’il n’y a pas de chiffre d’affaires, il n’y a pas d’activité. On se retrouve donc dans des situations de crise au niveau de l’industrie du cinéma, avec du chômage et pas de film. Mais avant même d’évoquer tous ces systèmes, ce que fait aujourd’hui la République tchèque, c’est qu’elle se met simplement au niveau des autres pays européens qui peuvent être des pays de cinéma et qui tous bénéficient d’un système. La France, l’Italie, l’Angleterre, l’Irlande, l’Allemagne, la Hongrie... tous ces pays européens ont des systèmes avec des stratégies et des politiques différentes pour que le cinéma existe et que le cinéma, dans ce qu’il a de représentatif, de fonction de porte-drapeau, aide le pays concerné à exister. On sait que le cinéma, de manière générale, est un très bon moteur et un très bon média pour parler de ce pays. La France et le cinéma français, l’Italie et le cinéma italien, ça va au-delà du film. Ça donne la réputation d’un pays. Hollywood, comme on le sait, est un des plus gros vecteurs pour faire passer des idées américaines. La mise à niveau aujourd’hui par des systèmes financiers que propose la Tchéquie, est aussi une stratégie politique pour dire que le pays existe, qu’il y a un cinéma et qu’à travers le cinéma on va avoir le tourisme, on va pouvoir parler du pays. Parce que quand une star vient dans le pays on en parle, Blesk et les autres journaux en parlent. »Dans les années 1990 notamment, il y a eu un véritable afflux de productions étrangères : de nombreux films ont été tournés en République tchèque. Puis il y a eu une retombée. Les films ont migré plus à l’Est. Ce crédit d’impôt est lié à cette perte de vitesse et c’est une façon de remonter la pente ?
« Oui, il y a eu au début des années 1990 la nouveauté, la surprise de voir que Prague était une très belle base pour fabriquer des films comme on le disait tout à l’heure. Puis, il y a eu un tassement. Les Américains sont toujours à la recherche de nouveaux territoires où ils pourraient fabriquer moins cher. Donc il y a aussi eu une dispersion, un éparpillement des projets. D’autres pays que la Tchéquie ont proposé la même chose, comme la Hongrie, ou même la Roumanie avec d’autres critères. Tout cela fait que la compétition s’est accrue. Mais en même temps, la République tchèque faisant maintenant partie de l’Union européenne, se place plus en compétition vis-à-vis de l’Allemagne ou de la France que la Roumanie ou d’autres. Parce que comme je le disais, le niveau de fabrication et de technologie n’est pas comparable. Prague est à cet égard une ville tout à fait standard au niveau européen. »Avez-vous d’autres projets dont vous espérez qu’ils puissent bénéficier de ce crédit d’impôt ?
« Oui, ça va être maintenant tout l’enjeu et le problème de 2011. Puisque là, le programme, au niveau du gouvernement, est voté en tant que structure. Maintenant on va attendre de voir dans le budget 2011 ce que le nouveau gouvernement va pouvoir allouer. On espère qu’il comprendra que cette allocation n’est pas de l’argent à fond perdu mais qu’elle est là pour générer du chiffre d’affaires. Donc il y a effectivement des projets... Après, dans le cinéma, ce sont des études qui prennent de quatre à six mois. Le problème aujourd’hui c’est de savoir ce qui va se passer ici avant de pouvoir dire qu’on va le faire dans telle ou telle condition. Il y a toujours des projets... Les projets français, dès qu’il y a un peu d’ambition, de construction, de figuration, pensent évidemment tout de suite à Prague. C’est vrai que ce programme de ‘tax rebate’ est un formidable moteur et on espère vraiment qu’il va se réitérer en 2011. »