La tablette de chocolat magique
Il était une fois, il y a très longtemps, un joli royaume ni petit ni grand, où régnait un jeune et charmant roi. Mais, malheureusement, il n'avait pas de reine. Le roi était beau, svelte et possédait une voix envoûtante. Il avait connu beaucoup de femmes, mais n'arrivait pas à se faire à l'idée de partager sa vie avec l'une d'entre elles et encore moins la voir régner sur le royaume à ses côtés. Certes, il voyait de temps en temps une princesse du royaume voisin, mais pour lui ce n'était qu'un simple passe-temps. Par contre, elle voyait les choses différemment. La princesse était très belle avec ses longs cheveux blonds, son teint clair et ses yeux d'un noir de jais. Mais son coeur était froid et dur, comme la pierre éternelle. Elle admirait souvent le reflet de son admirable silhouette dans le miroir, tout en faisant des réflexions sur son visage, son corps et sa vie.
« Je suis vraiment belle ! Mes cheveux sont si soyeux, ma peau si douce et mes yeux donc. Ah ! Et ce jeune roi, si beau et surtout si riche ! Non, je ne suis pas amoureuse de lui. D'ailleurs je ne sais pas aimer, je n'aime que moi. Mais par contre, je me vois bien devenir la reine de son royaume prospère. Mon père paraît être immortel et moi, je vais devenir vieille avant d'hériter. Puis de toute façon ce n'est guère intéressant un si petit royaume qu'est le nôtre ! Enfin, on verra bien. Je suis sûre que le jeune roi est fou de moi. »
Un jour du début de l'automne, alors que le soleil brillait et les feuilles commençaient à prendre des couleurs, le roi se sentit particulièrement seul. Il décida de partir faire un tour avec son cheval Janvier dans les forêts profondes entourant son somptueux château. Il changea de tenue et descendit dans les écuries.
« Mon cher et fidèle compagnon, tu es bien le seul à pouvoir me consoler et chasser la grisaille de mon âme. Je sens, au fond du coeur, un froid et une terrible solitude. Si seulement je pouvais enfin trouver la femme de ma vie qui voudrait bien partager avec moi le bien et le mal des jours à venir ! Cette jeune princesse du royaume voisin est bien belle, mais il y a en elle quelque chose d'étrange, qui me repousse, me serre la gorge et me noue l'estomac. Si seulement je pouvais lire dans ses pensées ! »
« Qui es-tu, beau jeune homme ? Moi je suis la fille du hobereau, je m'appelle Magdalena, et je vis dans le château fort de mon père qui se trouve non loin de là, perché sur une petite colline, donc en plein milieu des forêts. »
« Moi, je suis le roi, ton seigneur et tu te promènes dans mes forêts, petite insolente. »
« Je ne savais pas que tu es le roi. Je n'ai jamais eu l'occasion de rencontrer le souverain en personne. Mais apprends que les forêts sont assez spacieuses pour tout le monde, même si elles t'appartiennent. Tu me parais bien égoïste. Viens galoper avec moi au lieu de jouer au plus fort ! »
Magdalena plaisait beaucoup au roi. Elle était naturelle, libre comme le vent. Ses cheveux décoiffés par le galop lui battaient le visage. Ses mains étaient fines, mais écorchées par les ronces qui l'éraflaient au cours de ses continuelles escapades à cheval. Magdalena apprécia fortement la compagnie du beau roi. Les deux jeunes gens commencèrent à se voir régulièrement. Le lieu des rencontres était, naturellement, la forêt. Ils galopaient côte à côte, s'arrêtaient pour se reposer dans une clairière, buvaient l'eau des fontaines et se baignaient dans les petits étangs perdus. Ils étaient amoureux et heureux. Les semaines passèrent et l'hiver arriva. Bien évidemment, le roi voyait de moins en moins la princesse du royaume voisin qui commençait à avoir des soupçons.
« Cela fait deux semaines que le roi ne manifeste aucun signe de vie. Que peut-il bien faire ? ! Je suis sûre qu'il y a une femme dans l'histoire. Il faut que j'en aie le coeur net. Je vais tout simplement le suivre. »
La princesse se donna la peine de s'habiller des couleurs des bois et rochers, attacha de la mousse sous les sabots de son cheval et partit épier le roi. Lorsqu'il sortit du château elle le suivit jusqu'au lieu du rendez-vous avec sa bien-aimée. Ce qu'elle vit la mit en fureur. Elle rentra chez elle, cramoisie de colère.
« Le maudit, il m'a préféré cette sauvage ! Tu ne perds rien pour attendre, tu me paieras cette trahison ! Et moi je serai tout de même reine ! Heureusement que je m'intéresse depuis toujours à la magie noire. Cette science me sera d'une grande aide. Je vais tout de suite préparer une pommade noire comme la nuit et, queue de lézard, serpent noir, tu perdras la mémoire dès demain soir. La seule personne qui t'intéressera, ce sera moi ! »
La princesse prépara donc une pommade noire, transparente et sans odeur. Elle la plaça dans un petit bocal en porcelaine et partit au château.
« Que fais-tu ici ? Je ne t'ai même pas entendu arriver. »
« Ne t'inquiète pas, je suis venue te dire que je sais que tu es amoureux de la fille du hobereau. J'avoue que cela me blesse tout de même, mais comme je t'aime beaucoup, je te laisse libre de faire ce que tu veux. De toute manière il n'y avait aucun engagement entre nous. Laisses-moi t'embrasser pour la dernière fois. »
N'y voyant aucun inconvénient le roi acquiesça. La terrible princesse lui caressa la joue de sa main qu'elle avait auparavant enduite de la pommade noire et l'embrassa. Sur le coup, le roi perdit la mémoire. La princesse s'installa au château et se conduisit comme si déjà elle fut la reine. Tout le monde avait peur d'elle. Le roi avait tout oublié et la seule personne qui l'intéressait était la méchante princesse. Ne le voyant pas arriver pendant longtemps, la fille du hobereau s'en alla à cheval au château du roi pour voir ce qui était arrivé. Elle aperçut le prince dans le jardin et s'approcha de lui.
« Qui es-tu et que fais-tu dans mon jardin ? Gardes, chassez cette intruse d'ici. Je ne veux pas la voir. Et appelez la reine ! »
Folle de douleur et ne comprenant rien, Magdalena remonta sur son cheval en pleurant.
« Oh, pauvre de moi ! Que vais-je devenir sans mon roi que j'aime tant ? ! »
Tout en pleurant, elle arriva jusque près de la fontaine où elle allait si souvent avec le jeune roi. Elle descendit de cheval, s'allongea sur la mousse et pleura à chaudes larmes. Une main légère lui caressa les cheveux.
« Ne pleures pas belle Magdalena. Je connais ton malheur, et je sais aussi comment le guérir. Je suis le Grand elfe Mousschocvarich. Suis-moi, et je te donnerai ce qu'il faut. »
L'elfe prit Magdalena par la main et s'approcha d'un vieux tronc d'arbre mort qu'il fit basculer d'un seul geste. Il invita la jeune fille à prendre l'escalier de mousse qui apparut. En descendant de plus en plus bas, Magadelena sentit une odeur agréable. Elle en demanda l'origine au Grand elfe.
« Ce que tu sens, c'est l'odeur du chocolat. Que les petits elfes, les chocolatins et les chocolatines, fabriquent ici. »
« Le chocolat ? J'en ai entendu parler, mais je n'en ai jamais vu, ni mangé ! On dit que c'est très bon ! »
L'elfe et Magdalena se retrouvèrent dans une grotte avec beaucoup de marmites dans lesquelles bouillait une masse liquide et odorante. De petites créatures vêtues d'habits couleur chocolat et caramel l'entourèrent.
« Oui, on peut le manger et aussi le boire. C'est très bon, goûte juste pour voir. »
« Un peu de sucre, des noisettes...Et ce n'est pas tout. Le chocolat apporte le bien-être, la bonne humeur et a des effets curatifs. »
« Tiens, tu vas prendre cette petite tablette et la faire passer dans la cuisine du château pour en faire manger au roi au dessert. »
Magdalena prit la tablette de chocolat et repartit au château. Elle suivit le conseil de Chocolatin et fit cacher la tablette parmi les plats destinés aux desserts. Magdalena eu beaucoup de mal, car il lui fallut se faufiler à travers maints obstacles et être très vigilante. Dès que le roi avala la première bouchée, il retrouva la mémoire, reconnut Magdalena et chassa l'horrible princesse qui, étouffée par la colère, se changea en tache noire qui disparut dans le sol. Le roi épousa Magdalena pendant les Fêtes de Noël. Elle devint une gentille reine aimée de tous, ainsi que son époux.