La Tchéquie à l'heure de l’effervescence civique

Photo: Martina Schneibergová

L’effervescence civique de la population tchèque est le premier sujet traité dans cette nouvelle revue de la presse de la semaine écoulée. Elle s’intéresse ensuite à l’opinion publique dans les anciens pays communistes, 30 ans après la chute de leurs régimes totalitaires. Elle offre également deux regards sur la fin de la Deuxième Guerre mondiale et sur la libération de la Tchécoslovaquie, en replaçant ces événements historiques dans le contexte actuel.

Photo: Martina Schneibergová
La société civique tchèque se réveille et s’active, constate l’auteur d’un commentaire publié dans le quotidien en ligne DeníkReferendum en se référant aux trois événements qui se sont déroulés récemment en Tchéquie. Il cite la manifestation qui a eu lieu cette semaine à Prague et qui s’inscrivait dans la série de celles organisées contre le Premier ministre Andrej Babiš en rapport avec sa nomination d’une nouvelle ministre de la Justice et un rassemblement organisé à Brno qui avait pour but de bloquer un défilé fasciste. Il indique également que les étudiants ont manifesté une nouvelle fois pour le climat...

L’auteur d’un texte publié dans le quotidien Hospodářské noviny constate pour sa part que la position d’Andrej Babiš demeure toujours très forte, en dépit des manifestations qui se succèdent, et tente d’expliquer pourquoi :

« Andrej Babiš n’est pas un individu isolé, un leader qui aurait fait dévier la Tchéquie sur une drôle de voie. ‘Babiš’ est un signe, une expression personifiée de l’état d’esprit actuel de la société tchèque. C’est pour cette raison qu’il y a tellement de gens qui non seulement le soutiennent et votent pour lui, mais qui, aussi, s’identifient avec lui. Le populisme de Babiš donne en premier lieu une réponse au sentiment de beaucoup de Tchèques qui se sentent trompés ou oubliés. Qui croient que la politique locale, l’Europe et, en fin de compte, le monde entier, leur doivent quelque chose. »

Pour le comprendre, il faut remonter à l’an 1989 et à la révolution contre le régime communiste qui a vu émerger des espoirs et de grandes attentes. Ce que les gens demandaient prioritairement, estime le commentateur, ce n’étaient pas la liberté et la démocratie, mais c’était en premier lieu un niveau de vie comparable avec l’Europe occidentale. Un espoir qui n’a été accompli qu’en partie et qui en plus n’a pas satisfait tout le monde :

« Une grande partie de la population croit que l’avenir prometteur a été gaspillé, les profits ayant fini dans les poches de quelques individus. Un sentiment qui n’est pas entièrement déplacé car presque tout un chacun connaît dans ses environs une personne devenue riche après la révolution d’une manière déloyale. Andrej Babiš a saisi ce sentiment en faisant croire à l’existence ‘d’une hydre de corruption étouffant depuis les années 1990 la Tchéquie’. Une idée qu’il continue à capitaliser avec succès ».

Ces clivages qui persistent même 30 ans après la chute des régimes communistes

Photo illustrative: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.
Même après trente années qui se sont écoulées depuis la chute de leurs régimes totalitaires, les ex-pays communistes se comportent en bien des points autrement que les Etats démocratiques occidentaux.

L’auteur d’une analyse publiée dans le quotidien Deník N illustre son hypothèse sur l’exemple du groupe de Visegrad, ses quatre pays membres se présentant dans le cadre de l’Union européenne comme peu solidaires, hostiles à des compromis et enclins à des tendances autoriaires. De même, leurs habitants et leurs représentans politiques semblent moins ouverts à l’égard des différentes minorités. Le commentateur indique également:

« Il va de soi que certaines de ces positions peuvent s’expliquer par les spécificités historiques et par l’évolution de l’Europe centrale avant l’accès au pouvoir des dictatures communistes et lors de la période finale de la monarchie austro-hongroise. C’est ce que confirment par ailleurs certaints traits de la culture politique que les pays du groupe de Visegrad ont en commun avec l’Autriche qui, comme on le sait, n’a pas un passé communiste derrière elle. »

Ce sont pourtant, toujours selon le quotidien Deník N, les quatre décennies du régime communiste qui ont particulièrement marqué les positions politiques et les mentalités des habitants des anciens pays communistes. C’est le cas de l’Allemagne qui en donne un témoignage frappant.

On voit effectivement que le racisme et la xénophobie, par exemple, sont plus présents dans l’ancienne Allemagne communiste et que les points de vue politiques à l’est et à l’ouest du pays divergent. Le commentateur, selon lequel « le postcommunisme représente un style de penser », précise :

« Les régimes communistes ont profondément violé la nature humaine. Non seulement ils ont supprimé les pluralités civique et politique et nationalisé l’économie, mais ils ont aussi balayé la diversité humaine. Dominée par un idéologie officielle unique, la vie publique s’est fortement éloignée de la vie privée. Point étonnant donc qu’une violation aussi complexe et aussi longue de l’esprit humain se soit répercutée négativement dans les mentalités et dans la façon de penser des gens ».

Le 8 mai 2019 à la lumière du retrat du traité FNI

La libération de Plzeň | Photo: Patton Memorial Pilsen
Le 8 mai est une journée mémorable « par excellence ». Pour l’auteur d’un commentaire publié sur le site novinky.cz, il y a cependant une ombre qui plane cette année sur les festivités qui accompagnent le rappel de la fin de la Deuxième guerre mondiale, « le conflit le plus atroce dans l’histoire de l’humanité ». Il explique pourquoi:

« Cette année, les Etats-Unis se sont retirés du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire FNI qui avait été signé en 1987 avec Moscou et qui devait signer une ère nouvelle. Mais aujourd’hui, 32 ans après, l’Europe plonge de nouveau dans l’incertitude. Il est vrai que l’Union europénne qui couvre une grande partie du continent garantit l’élimination des conflits militares et permet que les malentendus soient négociés autour d’une table, pendant qu’un certain bien-être de ses pays membres est devenu une évidence. Ceci dit, une nouvelle course à l’armement n’est désormais plus à exclure. Le plus déplorable est le fait que le continent européen redevienne otage dans les négociations entre deux puissances. On ne doit pas rester indifférent au moment où les stratèges de Washington et de Moscou peuvent de nouveau transformer l’espace européen en un champ de bataille ».

D’après ce que rapporte le texte mis en ligne sur le site novinky.cz, les Etats membres de l’Union européenne ont fait preuve d’impuissance, car ils n’ont émis à ce propos que des inquiétudes, des doutes ou des appels. De même, on ne voit pas se former une armée européenne commune et capable. « Si l’on ne se réveille pas et si l’on ne trouve pas un consensus au sujet des points clé concernant la défense et la politique étrangère, ce seront les autres qui décideront de notre paix », conclut le commentateur.

Débats autour de Mai 1945

Le général Koniev à Prague,  photo: Karel Hájek,  CC BY-SA 3.0
Même 74 ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, on voit persister au sein de la société tchèque la tendance à « décrypter » la libération de la Tchécoslovaquie et l’entrée à Prague, le 9 mai 1945, de l’armée soviétique. C’est ce dont fait part le commentateur du quotidien Lidové noviny de ce jeudi qui a à ce propos écrit :

« Il suffit de lire ces jours-ci les journaux et les sites sérieux pour voir à quel point le sujet de mai 1945 demeure toujours vivant. Les débats tournent notamment autour de la question de savoir si, en fait, l’arrivée des soldats soviétiques à Prague a signifié pour la Tchécoslovaquie une véritable libération, ceux-ci ayant amené sur leurs chars un nouveau régime totalitaire. Mais un tel raisonnement est faux, car tout en ouvrant de l’espace à des goûts impériaux de Moscou, les chars soviétiques ont d’abord apporté la liberté et la vie comme telles. On peut imaginer ce qui serait advenu si l’armée allemande avait réussi à résister à la pression des chars soviétiques. Tant que la vie et la volonté de survivre représentent une priorité absolue, il y a lieu de proclamer clairement qu’en mai 1945 il s’agissait d’une libération et de rejeter toute relativisation de ces événements historiques. »

Certes, l’arrivée le 9 mai 1945 à Prague des chars soviétiques qui ont libéré une grande partie de la Tchécoslovaquie était liée, aussi, aux intentions impériales de Staline. Pourtant, comme le remarque le commentateur, la présence à cette l’époque-là des soldats russes dans un pays n’avait pas pour conséquence automatique l’instauration du communisme, comme le montrent les cas de l’Autriche et de la Finlande. Et de poser en conclusion une question suggestive : « En fait, nos aïeuls n’ont-ils pas contribué à la future évolution malheureuse du pays plus encore que les chars soviétiques ? »