La Tchéquie - la Russie : le pragmatisme à la place des antagonismes
La visite du président russe, Vladimir Poutine, ces mercredi et jeudi, à Prague, a incité la presse tchèque de ces derniers jours à se pencher sur les multiples facettes des relations tchéco-russes, aujourd'hui et dans le passé. Un passé qui représente pour toute une génération des Tchèques l'un des chapitres les plus sinistres du pays.
Aujourd'hui, toujours pour ce journal, la situation se présente autrement. Les nouveaux riches russes dépensent leur argent à Prague ou à Karlovy Vary, fameuse ville d'eau de Bohême occidentale, tandis que les Tchèques recommencent à apprendre, de leur propre fait, le russe. On rappellera que sous le régime communiste, le russe était la première langue étrangère que l'on apprenait à l'école et que c'était une langue obligatoire aussi pour les étudiants du cycle secondaire. Guère étonnant donc, qu'après la chute du régime, en 1989, l'enseignement du russe ait presque disparu des écoles tchèques.
Pour illustrer l'état actuel, Lidove noviny cite le directeur d'un lycée de la ville d'Opava, en Moravie du nord, qui dit : « C'est depuis quatre ans que nous pouvons constater un intérêt accru pour la langue russe. Je dirais même qu'apprendre l'alphabet russe est en vogue, chez les enfants ».
Il semble que le lycée mentionné ne fasse pas figure d'exception. On voit augmenter le nombre d'écoles secondaires et de lycées où le russe est proposé comme la deuxième langue obligatoire. En ce qui concerne les écoles privées, le russe s'y situe en troisième position, juste après l'anglais et l'allemand. Les motifs de cet intérêt seraient purement pragmatiques. « Les étudiants réalisent bien que le commerce avec la Russie offre d'énormes possibilités », explique le journal Lidove noviny.
Le quotidien économique Hospodarske noviny écrit que, en dépit des regrets « moraux » pour l'invasion soviétique en 1968, formulés par Vladimir Poutine à Prague, plusieurs points d'interrogation ne cessent de marquer les relations entre la Russie et la Tchéquie. Evoquant le sort d'un millier de Tchèques qui, après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ont été entraînés vers des camps de concentration et de travail en Russie, il cite Vladimir Bystrov du comité « Ils étaient les premiers » :« Outre des enlèvements d'anciens immigrés russes, il s'agissait de ceux de personnes considérées comme hostiles au régime... Selon la doctrine soviétique, en vigueur à l'époque, l'URSS était autorisée à poursuivre ses ennemis partout, à tout moment et sur n'importe quel territoire... Pour la Russie, le sort des citoyens tchèques ne constitue pourtant qu'un détail historique négligeable ».
Et Bystrov de faire un parallèle entre cette doctrine et la loi antiterroriste actuellement en vigueur dans le pays de Poutine.
Le journal estudiantin Babylon relate dans sa dernière édition l'histoire du général Jan Babinec, ancien membre de la résistance tchécoslovaque, qui s'était retrouvé dans un camp du goulag, déjà, pendant la guerre. Voici un extrait de sa confession:
« Le 18 mars 1939, j'ai franchi clandestinement la frontière pour rejoindre l'unité tchécoslovaque qui se formait en Pologne. Ensuite, fuyant les Allemands, nous nous sommes retirés en Ukraine du sud. Dès que les services secrets soviétiques ont su que j'étais originaire de la Russie subcarpatique, on m'a traité d'ennemi et d'espion, histoire de m'acheminer vers un camp du goulag... Nous étions quelques soixante-dix à être entassés, pendant plusieurs jours, dans un wagon à bestiaux qui nous transportait à Archangelsk. Puis vers Mourmansk et des mines à Vorkuta. Etre emprisonné avec des assassins et des récidivistes fut un véritable enfer. Des baraques en bois, le travail dans la forêt et sur les chantiers. En 1940, l'hiver était particulièrement rude, les températures descendaient jusqu'à moins 50 degrés. On volait tout - manteaux, chaussures. En été, des nuées de moustiques nous agressaient... Aujourd'hui encore, cette horreur indescriptible me revient dans mes rêves ».Jan Babinec a eu finalement de la chance : en 1943, il a pu échapper au goulag en entrant dans l'unité tchécoslovaque qui se formait près de Buzuluk et qui a participé à la libération du pays.
Dans les pages du quotidien Hospodarske noviny, déjà cité, des historiens tchèques indiquent qu'il existe dans les relations entre les deux pays un autre point délicat: le vol des archives tchécoslovaques qui aurait eu lieu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Butin de guerre pour les autorités soviétiques, les documents concernés continuent d'être considérés comme tels, aussi, par les autorités russes. Dans cette logique, cette question n'a que peu de chance d'être soulevée, lors des négociations.D'un point de vue historique, c'est toutefois l'ouverture restreinte des documents russes qui est particulièrement mal vue, par la partie tchèque. Oldrich Tuma, directeur de l'Institut de l'histoire contemporaine :
« J'estime que la partie tchèque a le droit moral d'exiger que la partie russe lui permette un accès à ses archives, soit aux documents concernant le sort des Tchèques et des Slovaques qui avaient été entraînés vers la Russie ou bien se rapportant à tout ce qui se passait autour du Printemps 1968. C'est là justement que s'ouvre un espace pour les négociations futures entre les représentants politiques tchèques et russes. »« 38 ans après l'occupation de la Tchécoslovaquie, les relations entre les deux nations s'améliorent, sans être toutefois loin de se présenter comme idylliques », titre le quotidien Lidove noviny de ce jeudi. Dans la page qui est entièrement consacrée à ces relations, il est constaté que « la perception idéologique de la Russie s'estompe au fur et à mesure »... D'un autre côté, les sondages révèlent que les Tchèques continuent à évaluer la Russie beaucoup plus négativement que leurs pays voisins ou l'ensemble des pays de l'Europe occidentale.