L’adoption de l’euro : l’expérience slovaque

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Cette semaine, le ministre de l’Industrie et du Commerce, le social-démocrate Jan Mládek, a annoncé que la République tchèque pourrait adopter l’euro d’ici cinq à sept ans. Rien ne semble plus hypothétique que cette déclaration puisque cinq à sept ans, c’était précisément le délai invoqué par Pavel Štěpánek en 2004, quand il était directeur exécutif de la Banque nationale tchèque (ČNB). En 2007, le ministère des Finances tablait lui sur une adoption de l’euro en 2012… Pourtant, à un mois des élections européennes, le débat prend une certaine ampleur et Radio Prague a décidé de s’en faire l’écho à travers une série d’articles sur le sujet.

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Un récent papier de l’hebdomadaire Respekt remarquait que les Tchèques étaient peu au fait de l’expérience de leur voisin slovaque, pays qui a laissé tomber sa couronne slovaque pour l’euro en janvier 2009. Qu’est-ce que la République tchèque peut retirer du choix fait par Bratislava ? C’est la question à laquelle Radio Prague a d’abord tenté de répondre.

C’est au prix de la poursuite d’une politique de rigueur budgétaire que la Slovaquie, sous l’égide de son Premier ministre social-démocrate Robert Fico, adopte la monnaie commune européenne. En 2009, la crise économique mondiale frappe depuis plusieurs mois et l’euro est vu par certaines élites slovaques comme un moyen de faire face aux difficultés nouvelles. C’est ce que constate l’économiste Vladimír Bartovic, du laboratoire d’idées pragois Europeum :

« Pour les économistes et les hommes politiques slovaques, l’euro signifiait la protection au moment de l’arrivée de la crise. La Slovaquie était protégée par une monnaie forte et n’était pas sujette à des fluctuations des devises comme celles qu’a connues la couronne tchèque. Cette dernière est passée de 24 à 29 couronnes en cette année de crise. Cela correspond à une perte de valeur de 20%. Tandis que la nouvelle monnaie en Slovaquie est restée relativement stable. L’adoption de l’euro est ainsi perçue comme un avantage par de nombreux économistes slovaques. »

Pas par tous les économistes cependant qui pensent justement que des pays disposant de leur propre monnaie ont mieux réagi face à la crise. Et Juraj Karpiš, analyste auprès de l’INESS, cité en mai 2011 dans un article de l’hebdomadaire Týždeň, pose en exemple… la République tchèque. D’autres considèrent que l’euro a bouleversé la structure de l’économie slovaque tournée vers les exportations et notamment le secteur automobile. Vladimír Bartovic estime ainsi que la nouvelle monnaie a permis d’attirer certains investisseurs. Il explique :

Vladimír Bartovic,  photo: Site officiel d'Europeaum
« Volkswagen a par exemple placé toute sa production de petites voitures urbaines en Slovaquie à cause de l’euro même si le plan originel était de l’implanter en République tchèque. L’euro a joué un rôle dans cette décision parce que cela signifiait pour cette multinationale une plus grande stabilité, une meilleure projection dans l’avenir et la baisse des coûts de transactions. »

Exit par exemple l’obligation pour les entreprises exportatrices de s’assurer contre les fluctuations des devises. Cependant, les économistes, quel que soit leur bord politique, s’accordent pour dire que ces avantages n’ont eu qu’un impact très limité voire insignifiant sur le développement économique de la Slovaquie. La croissance soutenue de ce pays, déjà bien avant l’adoption de l’euro, lui a permis progressivement de rejoindre le niveau de la République tchèque, où l’économie a plutôt stagné ces cinq dernières années. Directeur de la section monétaire et des statistiques de la Banque centrale européenne, Tomáš Holub développe :

« Concernant la croissance économique, il n’est pas possible, dans les pays de la zone euro, y compris la Slovaquie, de détecter un effet clair de l’adoption de l’euro. Certains chiffres montrent une certaine hausse du commerce extérieur. Mais les raisons qui expliquent que l’économie slovaque était dans un meilleur état que l’économie tchèque ces dernières années sont à chercher ailleurs que dans l’adoption de l’euro. Par exemple la politique budgétaire en Slovaquie était moins restrictive qu’en République tchèque. »

Tomáš Holub,  photo: ČNB
Cependant, Tomáš Holub précise qu’il n’y a pas eu non plus réellement de conséquences négatives de l’adoption de l’euro. En dépit des craintes de voir les prix augmenter de façon importante, l’inflation a largement été maîtrisée. Vladimír Bartovic salue d’ailleurs l’action du gouvernement de Robert Fico en la matière :

« A l’époque, le premier gouvernement de Robert Fico a introduit un tas de mesures et a organisé une campagne massive pour empêcher une hausse des prix. Concrètement, ils ont demandé à ce que tous les prix soient affichés dans les deux monnaies six mois avant l’adoption de l’euro, puis encore quelques mois après. Cela a permis de comparer facilement les prix. Surtout, l’Etat a récolté et rendu publiques des informations sur les entrepreneurs qui ont profité du changement de monnaie pour augmenter les prix. »

Cela confirme les conséquences limitées de l’euro sur l’économie slovaque. Pourtant l’adoption de l’euro est conditionnée aux respects de règles drastiques qui ne sont pas neutres. Les Etats, s’ils les respectent, n'ont que très peu de marge de manœuvre pour effectuer des politiques de relance par la demande et privilégient donc des mesures de dumping social dans une course à la compétitivité les uns avec les autres.

Aussi, l’adoption de l’euro pourrait avoir un impact au moins politique. En intégrant l’eurozone, un pays aurait ainsi la possibilité de participer à sa gouvernance et disposerait d’un pouvoir accru pour en modifier les règles du jeu libérales. C’est ce que pense l’économiste Vladimír Bartovic :

« Il faut voir que du point de vue politique, la Slovaquie, même si c’est un pays plus petit que la République tchèque, s’implique directement dans les processus de prise de décision dans la zone euro et contribue ainsi à déterminer la direction de l’UE. La République tchèque non. Toutes les décisions relatives à l’économie se prennent lors des réunions de la zone euro. Le ministre des Finances tchèque, bien qu’il reste à l’écart de ce système, peut vous confirmer son importance. »

La Tchéquie, sous la direction de son nouveau gouvernement mené par le social-démocrate Bohuslav Sobotka, a annoncé son intention de rejoindre le pacte européen de stabilité. Il s’agit d’un traité qui fixe de nouvelles règles de contraintes budgétaires pour les pays membres de l’eurozone, des contraintes que ceux-ci ne sont pas aujourd’hui en mesure de respecter. Dans ce cas pourtant, l’Etat incriminé, qui peut être dénoncé par un autre Etat auprès de la Cour de justice de l’UE, s’expose à des sanctions économiques.

Jiří Šteg,  photo: ČT24
La République tchèque, qui n’a pas l’euro, n’aurait de toute façon aucun pouvoir décisionnel au sein de la zone euro, dont l’Allemagne et la France représentent à eux seuls 40% du budget. Et pour Jiří Šteg, économiste au sein de l’organisation ProAlt, classée à gauche, l’impact politique de l’adoption de la monnaie commune par un pays comme la Slovaquie, qui peut donc participer à ce processus de prise de décision, est de toute façon à relativiser :

« Je ne pense pas que le dilemme se pose ainsi. Un pays peut intégrer les institutions de l’eurozone et ne pas y avoir d’influence. Je pense que la qualité de la diplomatie ainsi que la participation active dans les réunions jouent un rôle majeur. L’adoption de l’euro n’est pas la condition nécessaire pour que l’on puisse jouer un rôle déterminant dans la direction de la zone euro. »

Une autre économiste, Ilona Švihlíková, partage ce point de vue :

Ilona Švihlíková,  photo: Alžběta Švarcová,  ČRo
« Il n’est pas évident que notre influence serait radicalement différente si nous faisions partie de la zone euro. Ce sont les dilemmes d’un petit pays qui n’a pas d’alliés stables. Mais c’est la diplomatie tchèque qui porte cette responsabilité. »

Avec le passage à l’euro mais surtout avec la création en mai 2010 du Fonds européen de stabilité financière (FESF) suite à la crise en Grèce, la Slovaquie est devenue solidaire de l’aide apportée à certains pays en difficulté. Cela ne s’est pas fait sans mal. En août 2010, le Parlement slovaque, sous l’impulsion du gouvernement de centre-droit d’Iveta Radičová, a refusé de contribuer à un « plan d’aide » à Athènes au motif de la « politique budgétaire indisciplinée des Grecs ». Ce même cabinet ne voulait ensuite pas intégrer le FESF et a payé sa détermination de sa tête. Vladimír Bartovic, du think tank Europeum, revient sur cet épisode :

« Un point négatif peut-être ressenti par les Slovaques concernant l’appartenance à la zone euro est cette obligation de contribuer aux plans de sauvetage de la Grèce ou du Portugal. Le gouvernement de Radičová en a même payé le prix politique. Il est tombé parce qu’un des partis de coalition a refusé d’accepter les « plans de sauvetage ». »

Depuis mars 2010, l’UE et le FMI ont attribué un total de 206,9 milliards d’Euros pour « aider » la Grèce au prix de la paupérisation massive du peuple grec qui a notamment payé la corruption généralisée de sa classe dirigeante. Et selon la branche autrichienne de l’organisation ATTAC, plus de 77% de cet argent a bénéficié directement ou indirectement au secteur de la finance. La décision d’adopter de l’euro par un pays comme la Slovaquie ou la République tchèque va bien au-delà de la simple question monétaire. Dans de prochaines émissions, les économistes interrogés par Radio Prague s’interrogeront sur les conséquences de l’abandon de la couronne en Tchéquie mais également sur le rôle que devra jouer la Banque nationale tchèque dans cette transition.