L’avenir des musées se dessine à Prague
Depuis le 20 août, Prague accueille plus de 3 000 professionnels muséaux du monde entier. Le Conseil international des musées (ICOM) tient en effet sa vingt-sixième conférence générale jusqu’au 28 août, une conférence dont le thème est « La puissance des musées ». Y sont discutés, au palais des Congrès, des sujets sur l’avenir des musées tels que le rôle de la société civile, les nouvelles technologies, la protection du patrimoine dans des zones de conflits et le développement durable. Radio Prague International y a rencontré Sébastien Soubiran, invité en tant que conférencier pour la table ronde « Durabilité : les musées et la capacité de surmonter les crises ». Le directeur du Jardin des Sciences de l’Université de Strasbourg revient pour nous sur l’intérêt d’une telle rencontre internationale et sur la façon dont il conçoit l’avenir des musées.
« Je pense qu’un musée, c’est aussi un lieu où nous mettons les choses en action. C’est un lieu d’expérience, aussi bien pour avoir des expériences que pour faire des expériences. Je crois que ce genre de congrès nous permet vraiment de nous enrichir, de faire un pas de côté, d’échanger, d’entendre des critiques, de nous apercevoir que certaines choses que nous faisons ne vont peut-être pas dans le sens que nous pensions et que d’autres font peut-être différemment, et s’inspirer de ce qu’ils peuvent faire. Les musées aujourd’hui sont vraiment des institutions qui existent dans le monde entier, dans des cultures et visions particulières. »
Confrontation de visions du musée
« Confronter sa propre vision du musée – moi en tant que Français, européen – avec celle de collègues africains, sud-américains, indiens, australiens et nord-américains, permet de nous rendre compte que nous n’avons vraiment pas les mêmes visions même si nous cherchons une définition commune. C’est cela qui est génial avec ICOM, et nous l’avons vu il y a trois ans à Kyoto avec le débat sur la définition d’un musée. Cela a généré des tensions, des crispations et des discussions importantes, mais nous avons réussi à rebondir en proposant une définition qui devrait être votée à la prochaine assemblée générale. Je ne sais pas si elle fait consensus, mais c’est une définition que tout le monde peut s’approprier dans le monde entier. »
Quel rôle peuvent jouer les musées pour participer à la croissance du développement durable ? Qu’est-ce qui peut concrètement être mis en place ?
« Il y a beaucoup de choses qui peuvent être mises en place. C’est vrai que la table ronde à l’ICOM s’est beaucoup focalisée sur des choses assez génériques et peut-être moins pratiques. Mais il faut savoir qu’ICOM France a un groupe ‘développement durable’ avec une publication qui est disponible, et qui fait un bel état des lieux de la façon dont les musées peuvent s’impliquer dans une société plus durable. »
Musées et développement durable
« Une collègue a pointé du doigt la question de la formation. La formation est importante : la formation continue, mais aussi la formation initiale des personnes qui vont travailler dans les musées pour les sensibiliser sur des aspects très concrets. Le développement durable, cela porte à la fois sur la conservation, sur les technologies, sur la façon de gérer un musée de façon plus durable, mais c’est aussi – quand on regarde l’Agenda 2030 des Nations Unies – qu’est-ce qu’on fait pour lutter contre la pauvreté, contre le changement climatique, comment on fait pour avoir une société plus juste, plus éthique. Il y a quand même 17 points dans lesquels les musées peuvent s’impliquer d’une manière ou d’une autre. Personnellement, je travaille dans un musée universitaire et c’est vrai que pour la question de l’accès au savoir, les musées peuvent être un forum. »
Sur la question du développement durable, il semble que les jeunes générations soient les plus engagées, notamment avec le mouvement « Friday for Future ». Or, ce ne sont pas toujours celles qui côtoient le plus les musées. Comment faire pour les inclure ? Existe-t-il un conflit générationnel à ce sujet ?
« Il faut essayer d’éviter les conflits d’une façon générale, mais il ne faut pas non plus nier l’existence des conflits générationnels. Lors de la table ronde, nous avons eu l’intervention d’un étudiant qui disait : ‘votre génération nous a mis dans cet état’. Je ne pense pas que faire cela soit la bonne position. Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas faire de reproches. Mais, d’abord la génération, c’est de nombreuses personnes. Y compris dans les nouvelles générations, il n’y a pas que des personnes qui se soucient du développement durable. Il n’y a pas que des jeunes qui ont envie d’avoir une autre société et de la transformer. Il y en a qui pensent que c’est très bien comme cela et que cela peut durer, et ce dans de nombreux pays. C’est pour cela qu’il faut être un tout petit peu plus précis, et être dans la conversation, dans l’inclusivité. C’est un point important ! »
« Et oui, les musées s’adressent à des jeunes générations. La question après, c’est de savoir comment ces jeunes générations participent vraiment et ne sont pas juste des visiteurs passifs de nos institutions. Peut-être que nous avons des outils à inventer. Je pense que certains collègues ont déjà commencé à construire des outils pour faire participer des personnes d’âges différents, et notamment, tout ce qui va être dans la conversation entre des personnes d’âges différents. »
Musées et conflits de générations
« Cela ne concerne pas que les jeunes, mais aussi les personnes âgées puisque je crois que notre société exclut aussi ces personnes-là. Nous parlons de numérique, mais je suis un peu inquiet quand je vois comment mes grands-parents s’approprient ou ne s’approprient pas ces outils, comment les personnes âgées ne sont plus capables d’accéder à des services parce qu’ils ne savent pas ou ne peuvent pas utiliser des supports numériques. C’est en ce sens que je réagissais en disant : ‘attention aux conflits de générations’. Peut-être qu’aujourd’hui, nous sommes des sociétés qui se font la guerre, et ce depuis longtemps. Le terme de conflit est vraiment lié à cela. Peut-être qu’il faut que nous essayons de trouver un autre vocabulaire et que nous soyons plus dans le dialogue et dans la collaboration, même si cela fait un peu ‘paix dans le monde’ ou Miss France. En tout cas, je crois que c’est cette idée de travailler main dans la main plutôt que de reprocher aux autres et de dire : ‘c’est ta faute’. Je pense que c’est plus productif de trouver des solutions ensemble. »
Vous évoquiez pendant la table ronde que dans le cadre d’une rénovation de musée, vous n’avez pas réussi à convaincre vos collègues de mettre en place plusieurs initiatives durables. Quels sont les principaux obstacles qui peuvent affecter la transition vers plus de durabilité dans les musées ?
« Des obstacles, il y en a beaucoup puisque cette question de développement durable embrasse beaucoup de champs. Focalisons-nous d’abord sur la lutte contre le changement climatique et la réduction de l’impact carbone. En termes de conservation, nous avons la charge – et c’est un rôle important des musées – de préserver des collections, du patrimoine pour les générations futures. Mais cette préservation nécessite de l’énergie. Construire un bâtiment, cela nécessite de l’énergie. Comment nous positionnons-nous par rapport à cela ? Comment réfléchissons-nous par rapport à cela ? La préservation parfois nécessite d’avoir une climatisation dans le musée. Aujourd’hui, nous travaillons pour essayer de trouver de nouveaux systèmes plus durables que l’utilisation de climatisation dans nos musées. C’est un point assez technique. »
Diversification du public et restitution de biens spoliés
« Le deuxième point, nous n’y avons toujours pas répondu. Cela fait des années que les musées se veulent être plus accessibles et veulent s’adresser à une diversité de publics. Nous y arrivons parfois au cas par cas. Il y a énormément d’exemples de musées en Amérique du Sud par exemple, ou la table ronde que nous avons eue hier à ICOM, qui montrent comment nous pouvons travailler avec des communautés, nous pouvons travailler avec des personnes qui ne vont pas forcément au musée, comment ces personnes peuvent s’approprier le lieu ‘musée’ donc légitimer le musée. Le but, c’est que ce ne soit pas seulement et toujours destiné à une classe moyenne éduquée ou des élèves qui, par le système éducatif, sont amenés à aller dans un musée de façon un peu forcée. Je crois que c’est encore un challenge sur lequel nous devons travailler. »
« A été évoquée aussi la question de la restitution des biens spoliés. Nous devons travailler sur notre capacité à documenter, à informer, à savoir d’où viennent les collections pour être ensuite capables de dialoguer et prendre des dispositions par rapport à cette question de restitutions éventuellement. Mais au-delà d’une restitution, je pense qu’il est aussi important de pouvoir s’informer, et si nécessaire assumer l’héritage du musée dans lequel nous sommes, y compris si c’est un musée qui a des collections qui ont pu être rassemblées au XIXe siècle dans le cadre du colonialisme, et qui pourraient ou pas être restituées. Aujourd’hui, nous avons besoin de mettre cela en perspective. »