Le boom des « chaty » synonyme de nouvelles habitudes urbaines

Depuis les premières mesures prises par le gouvernement tchèque pour faire face au virus du Covid-19, le pays constate, comme ailleurs dans le monde, un intérêt accru pour l’achat de maisons de campagne. Une tendance qui ne mettra sans doute pas un terme à l’urbanisation de la société tchèque, mais qui pourrait changer durablement certaines de ses habitudes. Le regard d’une géographe sociale sur la situation.

Avec les mesures antipandémiques, dès le printemps 2020, le marché de l’immobilier tchèque a constaté une hausse de la demande de résidences secondaires au vert. Une demande accrue entraînant une hausse des prix jusqu’à 100 % dans certains cas, d’après le directeur de l’agence immobilière Next Reality Robert Hanzl. D’autant que l’offre n’est pas élastique, et le nombre de propriétés disponibles à la vente finalement assez limité.

Des propriétés qui n’auraient autrefois intéressé personne

Par conséquent, les acheteurs potentiels ont moins le choix, et l’état des propriétés n’est pas leur préoccupation première, comme l’a constaté l’agent immobilier Tomáš Plaček à la radio tchèque :

« Bien souvent, c’est plus l’emplacement, la vue et l’environnement alentour qui sont décisifs, plutôt que la valeur réelle de cette propriété. »

Dana Fialová | Photo: Marián Vojtek,  ČRo

Interrogée par le journal en ligne Aktuálně.cz, Dana Fialová, de l’UFR de géographie sociale et développement régional de la faculté des sciences naturelles de l’université Charles de Prague, explique que contrairement à ce que l’on pourrait penser, les personnes actuellement intéressées par l’achat de « chaty » ne sont pas uniquement des gens vivant au quotidien en appartement, mais également des propriétaires ou locataires de maisons individuelles. Il semblerait qu’avec le Covid-19, les Tchèques déjà amateurs de loisirs en pleine nature ont pleinement pris conscience du bien-être physique et mental procuré par un changement d’air, ne serait-ce que ponctuel. Le côté romantique de la petite « chata » spartiate et perdue en pleine nature attire même les habitués d’une vie quotidienne autrement tout confort, les amateurs de loisirs onéreux et de séjours à étoiles, et toutes les personnes en mal de retour à l’essentiel et d’éloignement occasionnel de la civilisation, voire – plus concrètement – de déconnexion du monde numérique.

Autre argument plus terre-à-terre évoqué par Dana Fialová : pour beaucoup, l’achat d’une maison de campagne constitue également une garantie de sécurité financière face à l’inflation. Cet achat immobilier est par ailleurs un investissement que l’on peut espérer léguer à ses enfants. Sans parler du fait que la « chata » est, en pratique, un lieu qui peut rapprocher les différentes générations en leur permettant de passer du temps ensemble, et ce à une époque où les foyers comptant plusieurs générations d’une même famille sont de moins en moins nombreux.

Photo: Barbora Němcová,  Radio Prague Int.

Dana Fialová rappelle que l’évolution du phénomène de « chataření » – le fait de posséder une résidence secondaire à des fins récréatives – se fait par vagues, qui sont liées non seulement aux générations, mais également à la situation politique ou économique. Ainsi, sous le régime communiste, les « chaty » offraient une certaine bouffée de liberté ; au début des années 1990, à l’inverse, l’intérêt pour ces maisons de campagne a diminué, les Tchèques étant alors avides de voyages à l’étranger. Le phénomène a ensuite connu un nouveau boom après la crise économique de 2008-2009, car les gens n’avaient alors pas les moyens de voyager à l’étranger.

Horní Bečva | Photo: Harold,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0

Exemple parmi tant d’autres, la petite commune de Horní Bečva, dans la région de Zlín, est confrontée à un nombre important de requêtes de personnes en recherche de propriétés immobilières à acheter. Son maire, Rudolf Bernát, déplore cependant le fait que des maisons enregistrées en tant que résidences secondaires n’apportent rien à la commune, et ne contribuent pas à son développement. Le maire se réjouit donc plutôt lorsque les nouveaux propriétaires – ou les héritiers des propriétaires initiaux – font de leur nouvelle propriété leur résidence principale :

« Nous n’avons malheureusement aucune prise sur la façon dont les héritiers ou les descendants des anciens habitants décident de gérer une propriété. Mais nous sommes toujours très heureux lorsque leurs enfants ou leurs petits-enfants décident de revenir y vivre, rejoignant ainsi notre commune et s’impliquant dans son avenir. »

Le « home office » n’est pas pour tout le monde

Photo illustrative: Yasmina H,  Unsplash,  CC0 1.0 DEED

La démocratisation du télétravail en tant que mesure de lutte contre la propagation du virus du Covid-19 peut donner l’impression que tout le monde pourrait se permettre de travailler à distance et – accessoirement – depuis une résidence secondaire. Mais c’est loin d’être le cas : Dana Fialová rappelle que nombre de métiers impliquent une présence physique sur le lieu de travail, et aussi que les parents d’enfants d’âge scolaire sont limités dans leur mobilité géographique pour la bonne et simple raison que leurs enfants sont inscrits à une école donnée.

Par ailleurs, certaines entreprises rechignent à lâcher prise sur le contrôle des horaires de travail de leurs employés. Selon Dana Fialová, il faudra encore un peu de temps avant que tous les chefs d’entreprise acceptent que l’important n’est pas le nombre d’heures passées par le salarié devant son ordinateur, mais le produit de son travail ; que le salarié peut être plus efficace lorsqu’il décide lui-même de l’organisation de son emploi du temps personnel et professionnel.

Après l’enthousiasme, le désenchantement

Photo: Magdalena Kašubová,  Radio Prague Int.

L’attrait actuel pour les maisons de campagne serait-il le début de la fin de l’urbanisation de la société tchèque ? Il est vrai qu’après avoir goûté à la vie rurale de façon ponctuelle, certains pourraient être tentés de faire de leur résidence secondaire leur résidence principale, si leur métier ou leur situation le leur permet. Cependant, la pérennité de cette tendance de retour aux plaisirs simples, domestiques et nationaux reste à démontrer : Dana Fialová souligne le fait qu’une fois passé l’enthousiasme premier, les nouveaux propriétaires de « chaty » peuvent rapidement déchanter lorsqu’ils prennent conscience de l’engagement et des investissements réguliers que leur nouvelle propriété implique.

La fin de l’exode rural n’a pas sonné

Photo illustrative: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.

Ainsi, Dana Fialová nuance : la crise du Covid va certainement modifier les habitudes en termes de recherche de logement, y ajoutant comme facteur de sélection décisif la facilité de mobilité non seulement au sein d’une zone urbaine, mais également pour sortir de celle-ci. Ainsi la tendance à l’urbanisation en République tchèque ne va sans doute pas prendre fin pour le moment, mais elle concernera désormais sans doute plus les jeunes que les familles. A moins qu’au contraire, les jeunes traditionnellement attirés par la vie citadine en aient assez de celle-ci, et lui préfèrent un environnement plus rural. Au final, c’est une décision avant tout individuelle, conclut Dana Fialová.