Le Codex de Vyšehrad, livre fondamental du royaume de Bohême

vysehradsky_kodex.jpg

Une longue file d’attente s’est formée les 31 janvier et 1er février derniers devant la Salle des glaces de la Bibliothèque nationale de Prague où a été exposé le Codex de Vyšehrad. Pendant deux jours seulement les amateurs d’histoire et de vieux livres ont eu une occasion unique de voir ce manuscrit lié à la naissance de l’Etat tchèque et qui est considéré comme faisant partie des joyaux de la Couronne du Royaume de Bohême. Avant d’être exposé, le précieux volume a été confié aux soins de restaurateurs qui lui ont fait subir une cure de rajeunissement.

Le Codex de Vyšehrad, appelé parfois l’Evangéliaire du roi Vratislav, est un livre de 108 feuilles de parchemin. Le directeur de la Bibliothèque nationale Tomáš Böhm évoque la longue histoire de ce livre vénérable :

« Le Codex de Vyšehrad est un manuscrit qui a été créé à l’occasion du sacre du roi tchèque Vratislav Ier. Le prince de Bohême Vratislav II a été couronné roi en 1085 et à cette occasion il a obtenu ce manuscrit. Dans le livre il y a aussi une description des règles de la cérémonie du couronnement. Un mystère plane encore aujourd’hui sur les origines de ce livre. Nous ne savons pas qui est son auteur et où il a été créé. Nous supposons qu’il a été calligraphié dans un ‘scriptorium’, c’est-à-dire dans une salle de calligraphie d’un couvent en Allemagne. C’était soit en Allemagne, soit en Pologne, ou bien peut-être en Bohême. Nous ne le savons pas. »

Le Codex de Vyšehrad
Vratislav Ier, qui a vécu approximativement entre 1033 et 1092, a été d’abord prince de Bohême. Allié fidèle d’Henri IV, empereur du Saint-Empire germanique, Vratislav obtient en récompense de ses loyaux services la couronne royale de Bohême. Cependant, le titre de roi n’est pas encore héréditaire. Le souverain est couronné le 15 juin 1085 au château de Prague par Egilbert, archevêque de Trèves, et devient ainsi le premier roi de la dynastie des Přemyslides. Il reçoit en même temps le titre de roi de Pologne. C’est à cette occasion solennelle que lui est offert un somptueux évangéliaire de couronnement qui entrera dans l’histoire sous le nom du Codex de Vyšehrad.

L’évangéliaire est un livre qui réunit des extraits des évangiles qui sont lus le dimanche et à l’occasion des fêtes religieuses. Le Codex de Vyšehrad est écrit en latin et il est richement orné par des enluminures qui le classent parmi les manuscrits les plus précieux du XIe siècle en Europe. La grande majorité du texte a été calligraphiée par un seul copiste. Les dernières recherches suggèrent qu’il a été créé probablement dans une école conventuelle de Bavière et que ses auteurs ont subi les influences de l’art de l’enluminure de Ratisbonne, de Reichenau et d’Echternach. Certaines études situent le lieu de naissance du manuscrit dans le scriptorium de Ratisbonne appelé Emmerames. Les chercheurs supposent que c’était un des couvents tchèques entretenant des contacts avec des bénédictins bavarois qui a offert ce livre précieux au roi Vratislav à l’occasion de son sacre. Le directeur de la Bibliothèque nationale Tomáš Böhm retrace l’existence du codex au cours des siècles :

Tomáš Böhm,  photo: Martina Schneibergová
« Le manuscrit, considéré comme un objet de très grande valeur, était déposé dans le chapitre de Vyšehrad à Prague. Il a été créé à l’occasion du couronnement et pour cette raison il était perçu comme un des joyaux de la couronne tchèque. Difficile de dire aujourd’hui cependant dans quelles conditions il a été conservé pendant des siècles. Après la fondation de la bibliothèque universitaire de Prague en 1773, il a été admis dans les fonds de cette institution devenue par la suite Bibliothèque nationale. »

Ajoutons qu’au début du XVIIe siècle le livre a été caché à la campagne parce qu’il fallait le protéger contre les iconoclastes calvinistes et il est passé en 1728 dans les fonds du séminaire de l’archevêché de Prague. C’est à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle qu’il est déposé au Klementinum, ancien couvent des jésuites, qui abrite aujourd’hui la Bibliothèque nationale tchèque. Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, le manuscrit quitte cependant une fois de plus Prague et passe les années de la guerre au château de Karlštejn construit au Moyen Âge par l’empereur Charles IV pour protéger la couronne impériale.

Le Codex de Vyšehrad
En 2005, le Codex de Vyšehrad est classé monument culturel national. Son prix est évalué à un milliard de couronnes, quelque 36 millions d’euros. Il ne sort de son coffre-fort que tout à fait exceptionnellement. Vers la fin des années 1950, il est exposé à Paris et en 1969, le public peut le voir au Klementinum pendant une seule journée dans le cadre de l’exposition « L’Histoire de la littérature tchèque ». La dernière exposition, celle des 31 janvier et 1er février 2015, a été préparée longtemps. Les préparatifs ont commencé il y a presque 30 ans. Les spécialistes ont d’abord simulé tous les travaux de restauration sur des répliques de matériaux historiques pour élaborer une méthode de restauration absolument sûre et inoffensive. En novembre dernier, le codex, étroitement surveillé par le service de sécurité, est transporté en cachette du Klementinum dans un laboratoire où les spécialistes procèdent à sa restauration. L’intervention des restaurateurs ne sera finalement nécessaire que sur douze feuilles de parchemin car le manuscrit est étonnamment bien conservé. La restauratrice Jana Dřevíkovská constate que les travaux ont été réalisés avec le maximum de précision et sous le contrôle de chimistes:

Jana Dřevíkovská,  photo: Martina Schneibergová
« Ce sont les techniciens en chimie qui contrôlent toute l’opération et au cas où une intervention de restaurateurs produirait un effet un peu différent de celui qui est prévu à la suite des centaines de tests réalisés, ils relancent aussitôt le débat sur un éventuel changement de technologie. »

Cependant, une telle situation ne s’est pas produite et les interventions des restaurateurs ont été aussi discrètes que possible. Jana Dřevíkovská conclue qu’une restauration plus importante n’était pas nécessaire :

« Vu le fait que le Codex de Vyšehrad est là depuis presqu’un millénaire, les enluminures sont très bien conservées. Evidemment, il y a beaucoup de petites lésions que ce soit au niveau de la reliure, du parchemin, ou au niveau de la peinture elle-même, mais le manuscrit est toujours là et il est conservé en bon état. Les points les plus faibles sont sans doute l’état des couches de couleurs et une déformation du parchemin, mais ce ne sont pas les problèmes qui doivent être résolus aujourd’hui. Cela peut attendre encore cinquante ou cent ans. »

Pendant deux jours le livre-monument a donc été exposé aux regards du public avant de regagner son coffre-fort climatisé dont l’emplacement précis est tenu secret. Ces précautions se justifient en raison du prix du volume et de son rôle historique. L’historien Vít Vlnas résume l’importance du Codex de Vyšehrad en le plaçant dans le contexte de l’histoire et de la culture tchèque :

« Les collègues de la Bibliothèque nationale n’exagèrent pas quand ils disent que son importance est immense. C’est le premier manuscrit enluminé, le livre le plus ancien lié au milieu tchèque. S’il n’était pas créé directement sur commande venant du milieu tchèque, il a au moins été adapté à ce milieu au cours de sa création. Et il peut être situé assez exactement dans le temps, parce qu’il est évident que sa version définitive se rapporte au sacre de Vratislav, premier roi tchèque, en 1085. »

Actuellement le public peut voir une copie fidèle du Codex de Vyšehrad dans le manège du palais Wallenstein à Prague dans le cadre d’une importante exposition sur l’ordre des Bénédictins intitulée « Ouvre le jardin paradisiaque ».