Le cœur en souffrance des coureurs amateurs du marathon de Prague
Il en va de la course à pied comme des autres activités physiques. Certes, courir est bon pour la forme. Mais courir trop, ou en étant mal entraîné, est dangereux, notamment pour le cœur et le foie. Pour certains coureurs amateurs, le marathon est même une épreuve qui peut coûter la vie. Les résultats d’une étude menée sur près de 100 participants à l’édition 2019 du marathon de Prague confirment la chose.
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Marathon (42 kilomètres), semi-marathon (21 kilomètres), trail et autres courses de fond sur des distances plus ou moins longues… Derrière le vélo et la marche, la course à pied fait partie des activités physiques préférées des Tchèques. Aujourd’hui, environ deux millions de Tchèques affirment chausser (plus ou moins) régulièrement leurs baskets pour aller courir. En mai dernier, un peu plus de 10 500 participants ont pris le départ du marathon de Prague, le plus important événement de course à pied organisé en République tchèque.
Pourtant, soumettre son corps à de tels efforts peut s’avérer dangereux pour les amateurs, notamment au niveau cardiaque. C’est ce que confirme une étude menée par l’Institut de médecine clinique et expérimentale (IKEM) à Prague. S’il est notamment le plus grand centre de transplantation d’organes en Europe, IKEM est plus généralement un des plus grands centres de recherche clinique et scientifique spécialisés de la République tchèque, axé aussi sur le traitement des maladies cardiovasculaires, la diabétologie et le traitement des troubles métaboliques.
Les chercheurs d’IKEM ont donc analysé les performances de 97 participants du dernier marathon de Prague, qui ne peuvent donc pas être considérés comme de simples sportifs du dimanche, comme on les désigne parfois en France. Comme l’explique Eva Kieslichová, présidente de la Clinique d’anesthésiologie, de réanimation et de soins intensifs, cette étude était devenue une nécessité en raison de la multiplication des cas de coureurs victimes d’ennuis de santé, notamment au niveau du cœur, du foie ou des reins :
« De nombreux troubles du rythme cardiaque peuvent apparaître, mais nous avons été confrontés ces dernières années à la clinique à plusieurs coureurs amateurs qui étaient dans un état critique, qui souffraient d’hyperthermie, de troubles de la conscience, de crampes et de graves lésions des organes. Deux d’entre eux, dont un jeune homme de 16 ans, ont aussi subi une greffe du foie. Et parmi les sept cas les plus graves, deux sont morts. Cela peut sembler peu, mais imaginez un homme de 30 ans qui pense être en bonne santé, qui part courir et qui ne revient plus chez lui… »Les résultats des tests effectués ont démontré qu’une grande majorité des coureurs n’étaient pas suffisamment bien préparés pour participer à une épreuve aussi extrême que peut l’être un marathon. 70 % des coureurs dont la performance a été analysée, présentaient ainsi un dysfonctionnement cardiaque après la course. Le foie avait également souffert de l’intensité de l’effort dans 25 % des cas.
La très grande majorité des coureurs qui ont accepté de participer à l’étude, avaient indiqué être ou se sentir en très bonne santé, en tous les cas ne souffrir d’aucun problème particulier, sans même avoir passé préalablement de visite médicale. Alors qu’il est donc généralement supposé que les coureurs de marathon sont des individus en bonne santé, sans facteurs de risque qui pourraient les prédisposer à un événement cardiaque pendant ou après une course, il s’est même avéré que certains d’entre eux étaient cardiaques ou asthmatiques.
Lui-même coureur très régulier qui a participé à de nombreuses reprises notamment au marathon de Prague jusque dans un passé très récent, Jan Pirk, 71 ans, est le directeur du Centre cardiologique d’IKEM. Il affirme que l’étude en question sert davantage de mise en garde que de recommandation à ne pas pratiquer la course à pied :« Nous ne sommes bien entendu pas là pour effrayer les gens, leur dire de ne pas courir et de rester allongés chez eux sur leur divan. Nous voulons seulement faire comprendre que si courir est une bonne chose et que s’il est bien qu’un nombre croissant de gens pratiquent la course à pied, il faut aussi savoir être conscient de ses propres limites et avoir un entraînement approprié. Oui, courons, mais courons de façon responsable, c’est-à-dire en n’exagérant pas, en ne surestimant pas nos forces et en ne sous-estimant pas les risques que nous encourons. Ce n’est que comme ça que nous serons en bonne santé. »
Concrètement, l’étude en question a révélé que la tension du muscle cardiaque était dans la plupart des cas trop importante par rapport à la distance parcourue. Les taux de deux protéines - la troponine I et la troponine T - étaient plus élevés, tout comme d’autres biomarqueurs du stress cardiaque. Auteur de l’étude, le docteur Marek Protuš précise toutefois qu’il s’agit là d’un constat relativement prévisible, puisqu’il n’est pas supposé qu’une personne courra précédemment un marathon lorsque sont déterminées les taux considérés comme normaux de ces troponines.
Si la libération de troponines cardiaques après l'exercice n’est donc pas nécessairement le signe d'un dysfonctionnement cardiovasculaire, sa concentration plus élevée après le marathon reflète en revanche un stress cardiaque supérieur à cette distance de course. Autrement dit, seule une baisse de cette concentration proportionnelle à l’effort produit est un signe de bonne santé. A Prague, pour la majorité des coureurs, les taux étaient revenus à des valeurs normales le lendemain du marathon. Mais pour les autres, ce n’était pas le cas et leur cœur était donc menacé…Bref, pour participer à un marathon, il est indispensable d’être bien et systématiquement entraîné et de bien connaître son réel état de santé de façon à être en mesure de parcourir la distance sur un rythme de course le plus régulier possible. Avis donc aux amateurs, auxquels il est également recommandé de ne pas hésiter à abandonner la course plutôt de vouloir franchir la ligne d’arrivée coûte que coûte.