Le Dragon ne dort jamais : « Une histoire médiévale tchèque à résonance universelle »
N’était encore une fois le coronavirus qui en plus de bouleverser les vies, a aussi réussi à chambarder tous les agendas culturels, les éditions Casterman avaient prévu de sortir le 18 mars dernier une bande-dessinée tchèque originale intitulée Le Dragon ne dort jamais. La maison d’édition française a récemment fait savoir qu’elle reportait la sortie du livre, comme d’autres ouvrages d’ailleurs. Mais avant cela Radio Prague Int. s’était entretenu avec son éditeur, Gaëtan Akyuz. Avant d’évoquer ce qui l’avait séduit dans cette bande-dessinée sortie en tchèque sous le titre de Drak nikdy nespí, il est revenu sur son histoire :
« Pendant une bonne partie de l’histoire, le seigneur est affaibli : dans des cauchemars effrayant, il va revoir un homme dont il a ordonné la décapitation. Certains vont essayer de profiter de lui et de sa situation de faiblesse : un marchand qui lui promet monts et merveilles par exemple. Là, les auteurs se sont même autorisé à imaginer le futur depuis le XXIe siècle puisqu’on y voit même une sorte de grand centre commercial comme on a aujourd’hui en Occident. »
Rappelons en effet que l’intérêt de cette histoire, c’est aussi le fait qu’il s’agit de la légende d’une ville qui n’existait pas alors, mais qui existe bel et bien aujourd’hui. C’est le récit de la fondation de la ville de Trutnov...
« C’est l’histoire de la fondation de cette ville et d’une légende locale avec cette peau de dragon. Sans trop spoiler, il faut quand même dire que le dragon va finalement être vaincu. Il y a cette peau de dragon qui est offerte à une ville, Brno, et où se trouve encore aujourd’hui cette peau de dragon. Vous connaissez peut-être l’histoire qui veut qu’il semblerait qu’il s’agisse en réalité d’une peau de crocodile ! Cela ne sont évidemment que de vilaines légendes colportées et il nous plaît à croire qu’il s’agit bien d’une peau de dragon ! »« Pour revenir à l’histoire, il y a plusieurs choses qui nous ont intéressées : il y a toute une réflexion sur les religions, les croyances puisque intervient un prêtre itinérant accompagné d’une soi-disant vierge qui va se retrouver à manipuler ce seigneur, affaibli, et déjà la victime d’escrocs. Ce qui nous a paru intéressant c’est de voir toute la dimension politique de cette histoire. »Ce que vous voulez dire, c’est que cette légende du passé a quelque chose à nous dire aujourd’hui...
« Oui, elle a des résonances très contemporaines. Il y a de toute évidence un discours politique : qu’est-ce c’est le collectif ? Qu’est-ce que l’héroïsme, le courage ? Ou au contraire la couardise ? Dans l’histoire, les personnages sont traversés par des émotions très différentes : faut-il affronter le dragon, le fuir ? Métaphoriquement, qu’est-ce que la vie en collectif ? C’est une chose qui nous paraissait importante : le livre revisite la notion d’héroïsme. Les plus courageux ne sont pas toujours ceux qu’on croit et les plus peureux peuvent aussi s’armer de courage pour affronter le mal. »
Vous parlez de ce qui vous a séduit au niveau de l’histoire : qu’est-ce qui vous a séduit dans le trait et le dessin ?
« C’est évidemment par cela que tout a commencé. Le livre a été publié en Tchéquie en 2015. Nous avons tout de suite été séduits par un trait d’une très grande finesse et beauté, qui n’est pas sans rappeler l’auteur italien Gippi avec Notes pour une histoire de guerre. Et puis il y a évidemment la couleur directe, la mise en couleur à l’aquarelle qui est absolument magnifique, qui montre cet automne triste et en même temps très frais. Il y a ces teintes oranges, marron, très maîtrisées par le dessinateur Jiří Grus. »C’est très flamboyant : un rappel de ce qui sort de la gueule du dragon...
« Tout à fait. L’automne, la couleur orange, le feu. Nous avons tout de suite trouvé qu’il y avait une très grande maturité graphique. Dans ce genre de cas, pour un sujet étranger, la question qui se pose à l’éditeur est : est-ce que l’histoire supporte culturellement l’importation ? Évidemment tout est traduisible. On a la chance en bande dessinée comme en littérature, en sciences humaines, d’avoir un vrai dynamisme, une curiosité qui se vérifie dans tous les champs. On a beaucoup d’œuvres étrangères publiées. Au-delà de la traduction, il y a le décalage culturel ou non. Avec le traducteur, Benoît Meunier, on s’est interrogés là-dessus. Assez vite il nous a dit qu’il avait une grande admiration pour le livre et qu’il n’y avait pas pour lui de décalage culturel qui rendrait problématique l’assimilation de l’histoire par un lecteur français. Et il avait raison : au-delà de la légende locale, de l’histoire de la fondation de Trutnov, et de cette histoire tchèque médiévale, il y a une résonance universelle évidente. Nous trouvons tout à fait logique que le livre puisse paraître en français. »
Au-delà de cet aspect universel qui, comme vous le dites, est nécessaire pour trouver un lectorat français, y a-t-il quelque chose qui distingue cette production livresque, de bande-dessinée tchèque d’une production française ou anglo-saxonne ? Quelque chose qui donnerait une patte spécifique à ce livre pour des lecteurs français ?
« Forcément, les noms sont moins familiers à un lecteur français : avec Pavel, Mikuláš, on pense tout de suite à quelque chose de slave. A cet égard, il nous semblait important de conserver le texte final qui revient sur l’histoire du livre et le contexte de la légende. Mais passé ce décalage culturel qui est important parce que – j’ose le mot – il donne quelque chose d’exotique, on en revient à quelque chose d’universel : la bande-dessinée, un art qui existe dans des cultures très différentes, cette notion de séquences, d’images qui se suivent et qui forment une histoire. Le langage universel de la bande-dessinée résonne dans Le Dragon ne dort jamais. »Radio Prague Int. vous informera de la sortie du Dragon ne dort jamais aux éditions Casterman. Le livre a vu le jour dans les mains de Džian Baban, Jiří Grus et Vojtěch Mašek. Il a été traduit en français par Benoît Meunier.