Le grand exilé Pavel Tigrid aurait fêté ses 100 ans
Pavel Tigrid, journaliste, écrivain et homme politique décédé en France en 2003, a été une des grandes figures de l'exil tchécoslovaque au XXe siècle. En Allemagne, il a participé à la création de la rédaction tchèque de Radio Europe Libre. Aux Etats-Unis, et ensuite en France, où il s'est installé une fois pour toutes en 1960, il éditait sa fameuse revue culturelle et politique Témoignage, dont les 20 000 exemplaires ont été transportés, chaque trimestre, en Tchécoslovaquie communiste. Pavel Tigrid est né il y a cent ans de cela, le 27 octobre 1917, et Radio Prague vous propose à cette occasion son portrait.
En écrivant cette biographie, Pavel Kosatík cherchait à aborder la personnalité de Pavel Tigrid avec le maximum d’objectivité :
« Si j’avais écrit ce livre il y a vingt ans, il aurait été complètement différent et cela m’effraie un peu. Je ne dis pas que ce livre aurait été naïf ou tributaire de cette époque-là et je ne dis pas non plus que Pavel Tigrid ait commis quelque chose de blâmable ou se soit rendu responsable de ce que nous sommes devenus au cours de ces dernières vingt années, mais j’ai perdu l’euphorie du début des années 1990 et je vois cette époque différemment. Il faut rendre hommage à tous ceux qui se sont battus contre le communisme, mais il me semble que la lutte contre le communisme n’est plus révélatrice en ce qui concerne nos problèmes d’aujourd’hui. Nous luttons contre les traits de caractère de gens qui pendant une certaine période couvrant presque tout le XXe siècle, ont porté le nom du communisme. Et le fait que le communisme se soit effondré en 1989, nous incite à penser que nous sommes parvenus aujourd’hui plus loin, plus haut et que nous sommes meilleurs. Ce n’est pas vrai et nous le voyons. Nous avons retrouvé la liberté et avec elle, des problèmes beaucoup plus compliqués sont arrivés. »Pendant plus d’un demi-siècle, Pavel Tigrid a personnifié en quelque sorte l’exil tchèque. Pavel Schönfeld, qui a pris le pseudonyme Tigrid, a émigré deux fois. Jeune homme, il quitte pour la première fois son pays en 1939 juste après l’arrivée de l’occupant nazi. Sa mère, qui est d’origine juive, reste à Prague et mourra dans un camp de concentration. Pendant la guerre Pavel Tigrid travaille dans la section tchécoslovaque des émissions internationales de la BBC à Londres et collabore avec Jan Šrámek, premier ministre du gouvernement tchèque en exil. C’est sous l’influence de ce dignitaire de l’Eglise catholique devenu homme politique que Pavel Tigrid se convertit au catholicisme.
Après la guerre, il revient dans la Tchécoslovaquie libérée, collabore avec le Parti populaire tchécoslovaque et devient rédacteur en chef de la revue Obzory qui prend une position très critique vis-à-vis du communisme. C’est sur les pages de ce périodique que Pavel Tigrid s’oppose fermement aux traitements inhumains auxquels sont exposés au lendemain de la guerre les habitants tchécoslovaques d’origine allemande. En 1947 il se marie avec sa secrétaire Ivana Myšková. Il ne sait pas encore que son deuxième exil approche rapidement.
Cinquante ans plus tard, la personnalité et le sort de cet éternel exilé éveilleront l’intérêt de l’écrivain Pavel Kosatík, auteur des biographies de plusieurs personnalités importantes de la politique et de la culture tchèques. Le projet d’écrire un livre sur Pavel Tigrid a longtemps mûri dans sa tête :« Je n’ai rencontré Pavel Tigrid qu’en 1998, donc relativement tard, lors du tournage d’un film documentaire sur Jan Masaryk et il s’est longtemps entretenu avec nous. Le réalisateur du film a mis les cassettes vidéo de ces entretiens à ma disposition et je les ai souvent regardées. J’y ai perçu une profonde mélancolie de Pavel Tigrid, un vieil homme qui avait beaucoup souffert, qui avait mené beaucoup de combats et avait reçu beaucoup de coups. Et c’était cette sorte de mélancolie bien spéciale, pas comme les autres, qui m’a beaucoup impressionné. Il était un homme de « la vieille école ». Quand quelque chose l’agaçait, il ne le disait pas, il appartenait à cette race d’hommes qui ne se plaignent jamais, quand ils vont mal, parce que cela n’apporte rien de positif. Aujourd’hui nous nous plaignons toujours, et nous n’apportons rien de positif aux autres. »
Plusieurs fois dans sa vie, Pavel Tigrid a échappé à de grands périls qui le menaçaient. Lors du Coup de Prague en 1948 et la prise de pouvoir dans son pays par les communistes, il est en voyage et se trouve en Allemagne. Il décide donc de s’exiler pour la deuxième fois. Sa femme le rejoindra un peu plus tard après avoir passé quelques mois dans les prisons tchécoslovaques. En 1951, Pavel Tigrid est chargé de la direction de la station américaine Europe libre qui émet vers les pays du bloc communiste mais ce n’est qu’un engagement de courte durée.
Après avoir passé plusieurs années aux Etats-Unis, il revient en Europe et s’établit en 1960 à Paris où il continue à publier la revue Svědectví – Témoignage, fondée dès 1956 en réaction à la révolution hongroise brutalement réprimée par l’Union soviétique. Sous sa direction, la revue Témoignage devient le périodique le plus important de l’exil tchécoslovaque. Elle est distribuée clandestinement aussi en Tchécoslovaquie et n’arrête pas de susciter la colère des autorités communistes. Pavel Tigrid poursuivra ces activités après l’invasion des armées du pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie en 1968 et les dirigeants communistes le considèreront comme le représentant le plus dangereux de l’exil tchécoslo« Mon pays me tient beaucoup à coeur. C'est peut-être parce que je n'y ai pas vécu. »vaque. Sa revue publie entre autres les textes de Václav Havel, dramaturge dissident et futur président de la République.Outre ses activités journalistiques et politiques, Pavel Tigrid écrit également plusieurs livres dont certains sont traduits en français. Il écrit notamment « La chute irrésistible d’Alexander Dubček », ouvrage sorti aux éditions Calmann-Lévy, « Le Printemps de Prague » paru aux éditions du Seuil ou bien un essai intitulé « Amère révolution » chez Albin Michel. Nous lui devons également le livre qu’il a intitulé « Le guide d’une femme intelligente à travers son propre destin », son ouvrage le plus populaire dans lequel il retrace avec pertinence et humour l’histoire de son pays au XXe siècle.
Le grand exilé ne revient dans sa patrie qu’après la Révolution de velours et la chute du régime arbitraire en 1989. Dans les années 1990, il est collaborateur et conseiller du président Václav Havel et accepte le portefeuille de ministre de la culture dans le cabinet du premier ministre Václav Klaus. Il assumera cette fonction entre 1994 et 1996. Les dernières années de sa vie sont assombries par la maladie et il décide de hâter sa fin. Il meurt en 2003 après avoir cessé de prendre ses médicaments.
« Mon pays me tient beaucoup à coeur. C'est peut-être parce que je n'y ai pas vécu. »
Dans ses commentaires, publiés régulièrement dans la presse nationale, Pavel Tigrid posait souvent la question de l'avenir de la République tchèque. Un jour, il a écrit :
« Mon pays me tient beaucoup à coeur. C'est peut-être parce que je n'y ai pas vécu. Ce qui me préoccupe, ce n'est pas tellement la politique, mais des choses, disons, plus générales : comment les Tchèques vont-ils ? Comment le pays évolue-t-il dans l'histoire ? Je pense que nous avons toutes les chances pour réussir. Il ne faut surtout pas qu'un jour nous soyons de nouveau obligés de 'faire nos valises', comme on dit. Je l'ai vécu deux fois et ça ne doit plus se reproduire. Evidemment, dans un pays démocratique, cela ne devrait pas arriver... Mais la démocratie n'est qu'une façon de gouverner. Et parfois, la majorité au pouvoir peut aussi avoir tort, voilà le malheur. »