Le ministre de l'Intérieur tchèque a-t-il voulu marchander avec la Russie ?
Ministre de l’Intérieur et vice-Premier ministre, Jan Hamáček a-t-il eu l’intention, en avril dernier, de se rendre à Moscou pour marchander la livraison de vaccins Spoutnik V et l’organisation à Prague d’un sommet Biden-Poutine contre le silence de la République tchèque concernant l’implication des services russes dans les explosions de Vrbětice en 2014 ? Mis en cause dans un article publié sur le site Seznam Zprávy, Jan Hamáček s’en défend. Mais la police a ouvert une enquête.
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Il y a seulement un an, au cœur de la première vague de l’épidémie de coronavirus, Jan Hamáček était probablement le politique le plus populaire en République tchèque. A l’époque, le ministre de l’Intérieur dirigeait la cellule de travail au sein du gouvernement chargée de la gestion de la crise sanitaire. Une gestion qui, ailleurs en Europe, a souvent valu à Prague d’être citée comme un exemple à suivre.
Un an plus tard, tout cela est oublié. Non seulement la République tchèque est entretremps devenue un des pays européens les plus frappés par le Covid, mais l’affaire dite de Vrbětice, qui a débouché sur une grave crise diplomatique entre Prague et Moscou, est aussi passée par là. Dans le cadre de celle-ci, le gouvernement tchèque accuse des agents secrets russes d’avoir orchestré deux explosions d’un dépôt de munitions en 2014 dans l’est du pays.
Cette accusation, le Premier ministre Andrej Babiš l’a faite le samedi 17 avril, deux jours donc avant le voyage de Jan Hamáček à Moscou, qui avait été annoncé quelques jours plus tôt. Officiellement, l’objet de ce voyage était de négocier la livraison de doses du Spoutinik V au cas où les autorités européennes autoriseraient le vaccin russe. Sauf que selon Janek Kroupa, journaliste d’investigation bien connu du site Seznam Zprávy, les choses se seraient en réalité passées tout à fait différemment :
« Nous avons découvert que Jan Hamáček, le 7 avril - alors qu’il n’était encore que ministre de l’Intérieur, et non pas ministre des Affaires étrangères, qu'il est devenu plus tard temporairement après avoir démis Tomáš Petříček de ses fonctions - a appelé l’ambassadeur de République tchèque en Russie. Il l’a fait par téléphone, sans mandat pour cela. Les ministres ne peuvent pas appeler des ambassadeurs par le biais de leurs ministères comme ils le veulent, c'est un non-sens, ce n'est pas comme ça que les choses se passent. Puis, alors qu'il savait déjà qu’il y aurait l’affaire de Vbětice, Jan Hamáček a annoncé, le 14 avril, qu’il se rendrait en Russie. »
Et toujours selon Janek Kroupa avec l’intention de proposer un accord gagnant-gagnant à la Russie :
« Le 15 avril, Jan Hamáček a rencontré les chefs de deux services secrets - le renseignement militaire et le renseignement étranger. Mais il n’a pas convié le BIS, le service de contre-espionnage, à cette réunion, alors que c’est pourtant celui-ci qui a le plus travaillé sur l’affaire de Vrbětice. Le président de la police était là, l’ambassadeur tchèque en Russie aussi, et plus tard dans la soirée, Pavel Zeman, le procureur général de la République, s'est joint à eux. Jan Hamáček a présenté son plan aux participants de cette réunion, à savoir se rendre en Russie pour proposer un marché consistant à ce que la République tchèque atténue les conséquences de l’affaire Vrbětice, voire même les élimine ou les passe sous silence, et reçoive en échange un million de doses de Spoutnik et le sommet Biden-Poutine à Prague. »
L’article dans lequel Jan Hamáček est soupçonné d’avoir voulu braver l’interdit a été mis en ligne sur le site Seznam Zprávy le 4 avril. Le même jour, le ministre de l’Intérieur se défendait en ces termes sur la chaîne d’information en ligne DVTV :
« J’ai la conscience tranquille. Croyez-moi, tous ceux qui ont assisté à cette réunion savent comment les choses se sont passées. Bien sûr, d’autres théories vont maintenant apparaître et on prétendra qu’elles sont vraies, mais je sais comment les choses se sont passées et je n’ai à aucun moment compromis les intérêts de sécurité de la République tchèque. »
Tel un boxeur envoyé par son adversaire dans les cordes du ring, Jan Hamáček se défend comme il peut. Et force est de reconnaître que, souvent, maladroitement, ses déclarations ne respirant ni la sérénitié, ni la tranquillité d’esprit. Alors que la semaine dernière, cinq partis de l’opposition ont annoncé avoir recueilli suffisamment de signatures pour organiser prochainement le vote d'une motion de censure contre le gouvernement, Jan Hamáček est attaqué non seulement dans les médias, mais aussi par ses adversaires politiques. Récemment, Pavel Žáček, député du parti conservateur ODS, s’était ainsi déclaré choqué par les révélations relatives à ce vrai-faux voyage à Moscou :
« C’est complètement absurde ! Si tout cela s’avère vrai, cela dépasse l’entendement. Nous voulons savoir qui a eu cette idée, qui a organisé ce voyage, avec qui en Russie les négociations devaient être menées et savoir si cette initiative est liée aux explosions de Vrbětice. Ce sont là des questions légitimes, et si le ministre Hamáček n’y répond pas très clairement, alors il devrait abandonner ses fonctions. »
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Finalement, selon le site Seznam Zprávy, contre lequel Jan Hamáček a porté plainte, ce sont les chefs des services secrets et la police, « effarés par cette idée insensée » selon le journaliste, qui auraient dissuadé le ministre de se rendre à Moscou. L’affaire suit néanmoins son cours puisque, lundi, la Centrale de lutte contre le crime organisé (NCOZ) a confirmé s’intéresser de près aux circonstances de ce voyage finalement annulé. Ses soupçons portent sur deux délits : l’atteinte à des informations classées secret défense et l’abus de pouvoir.