La scène politique tchèque est « déjà en phase pré-électorale »
Gestion chaotique de la pandémie, remaniement ministériel tumultueux, fin du soutien tacite du Parti communiste à un gouvernement déjà minoritaire : l’actualité politique tchèque est riche en événements ces derniers jours. Pour en parler sur notre antenne aujourd’hui, Michel Perottino, politologue de l’Université Charles de Prague :
Ce qui se passe actuellement sur la scène politique tchèque est-il la phase de préparation des élections législatives prévues en octobre prochain ?
« Effectivement, on est en période pré-électorale - même à six mois de ces élections - et cette situation a un impact très important – chacun essaie de se positionner en considérant ses chances, notamment au regard des sondages d’opinion. »
Est-ce que cela explique la décision du Parti communiste de ne plus soutenir le gouvernement de coalition formée par le mouvement ANO du Premier ministre Andrej Babiš avec le Parti social-démocrate ČSSD de Jan Hamáček ?
« Ce sont sans doute des raisons électoralistes qui ont conduit le Parti communiste à rompre cet accord avec Andrej Babiš, puisque les communistes soutenaient cette coalition depuis le début sans en faire partie. L’explication officielle des communistes porte sur la rupture de certaines promesses d’Andrej Babiš, notamment concernant le budget de la Défense. »
Billard à plusieurs bandes
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, cela ne signifie pas pour autant la chute automatique du gouvernement actuel, avec la possibilité d’un statu quo jusqu’à l’échéance électorale de l’automne prochain.
« En fait plusieurs problèmes se superposent. Le premier est l’absence de loi électorale, qui doit encore être votée par les sénateurs. Ensuite, l’été approche, donc cela complique l’organisation de potentielles élections anticipées. Enfin, on joue une sorte de billard à plusieurs bandes, avec la coalition, l’opposition diverse et le président de la République, qui a déjà indiqué vouloir soutenir Andrej Babiš jusqu’à la fin de la législature. Il y a aussi une autre possibilité pas encore réellement écartée : celle d’un gouvernement de technocrates soutenu par Miloš Zeman comme cela fut le cas en 2013. »
Ce rôle de Miloš Zeman est-il le facteur décisif ? On parle de son influence accrue et de son potentiel « bouquet final » lors de la présidence tchèque de l’UE fin 2022, qui se déroulera quelques mois avant la fin de son deuxième et dernier mandat.
« Au moins sur le plan symbolique c’est évidemment très important. Il y a cependant une incertitude pratique à relever : il est physiquement très affaibli, ce qui peut avoir des conséquences sur son rôle actif en la matière. »
Les remous actuels sont-ils liés à la lutte des partis de gauche pour leur survie ?
« On voit partout en Europe les partis de la gauche traditionnelle en grande difficulté. De ce point de vue-là, le Parti social-démocrate tchèque (ČSSD) est comparable à d’autres en Europe. Il vient cependant de réussir à tenir son congrès en ligne. Le ministre des Affaires étrangères sortant, qui représentait une alternative possible, n’avait pas assez d’appuis au sein du parti et cela a entraîné, somme toute logiquement, son éviction du gouvernement. En revanche, la situation concernant son remplaçant est assez inexplicable… »
Le nouveau candidat du ČSSD en passe d’être nommé à la tête de la diplomatie, Jakub Kulhánek, est déjà la cible de critiques, notamment à cause de ses liens dans le passé avec le groupe chinois CEFC.
« Absolument. On met le doigt sur le sujet épineux et complexe qu’est le rapport entre le Parti social-démocrate et la Chine sur le long terme. Ce sont notamment ces relations qui ont permis à Jan Hamáček d’obtenir très rapidement l’année dernière des masques de Chine. »
Le Premier ministre Andrej Babiš est-il très fragilisé ou peut-il actuellement profiter des atermoiements du ČSSD, son partenaire au sein de la coalition ? Récemment, l’affaire de son passé supposé d’ancien agent de la StB a ressurgi de nouveau et la fuite de l’agenda de son bras droit Jaroslav Faltýnek n’ont pas joué en sa faveur d’autant que les sondages lui sont moins favorables qu’auparavant…
« On a vu dans le passé que les différentes affaires qui ont pu atteindre Andrej Babiš ou son parti n’avaient pas de conséquences directes sur le soutien dont il bénéficie dans l’électorat. Les récents sondages sont peut-être moins directement liés à ces affaires qu’à la gestion de la crise du coronavirus. Il est clair en revanche qu’il bénéficie d’un gros avantage avec ce partenaire faible au sein de la coalition ainsi qu’avec une opposition très divisée face à lui, qui en pratique a du mal à se mettre d’accord. On peut le voir en ce moment concernant une potentielle motion de censure. D’une certaine manière, Andrej Babiš peut bénéficier de manière efficace de cette situation politique complexe. Je pense qu’il mise sur l’amélioration de la situation épidémiologique, ce qui va lui permettre de mener pendant l’été une campagne électorale sur le terrain pour renforcer sa popularité. »
Nucléaire, présidence de l'UE : déjà-vu ?
En tant que politologue, avez vous une impression de déjà-vu avec comme problématiques majeures sur la scène politique tchèque un appel d’offres pour l’extension d’une centrale nucléaire et une présidence européenne ? C’était exactement la même chose il y a une douzaine d’années et cela s’est fini en eau de boudin, avec l’appel d’offres annulé pour la centrale de Temelín et en 2009 une première présidence tchèque de l’UE fortement perturbée par la chute du gouvernement en plein milieu…
« Dans cette perspective, c’est vrai qu’il y a une impression de déjà-vu. Mais les acteurs et les enjeux sont quand même nettement différents. On n’a pas seulement la question de l’extension de cette centrale nucléaire de Dukovany mais également tout ce qui tourne autour du vaccin russe Spoutnik V. »
Dana Drábová, la directrice de l’agence nationale de l’énergie atomique, estime que le choix du fournisseur pour cette centrale déterminera l’orientation future du pays. Qu’en pensez-vous ?
« Effectivement, on joue actuellement sur non pas quelques années mais sur plusieurs dizaines d’années et les choix qui vont être faits au niveau du gouvernement vont avoir des conséquences à très long terme. »
Certaines critiques ont déjà fait remarquer que Jan Hamáček, qui se rend lundi prochain à Moscou pour négocier de potentielles livraisons du vaccin Spoutnik V, rencontrera un des responsables russes dont le portefeuille comprend également l’énergie nucléaire. L’atome est-il le point crucial de la politique étrangère tchèque aujourd’hui ?
« Peut-être pas le point crucial, parce que l’orientation européenne ou transatlantique est tout à fait claire, mais les enjeux sont extrêmement importants. Je pense qu’aujourd’hui on a deux camps dans le pays, l’un favorable à une relation renforcée avec la Russie – notamment sur le plan nucléaire -, l’autre qui y est très opposé et qui semble actuellement majoritaire. »