Le mirage Napoleonien

Napoléon Bonaparte
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Comme chaque année à partir du 2 décembre, Slavkov verra bientôt se dérouler la reconstitution de la légendaire bataille plus connue sous le nom d'Austerlitz. Mais cette fois-ci, la cuvée est spéciale puisqu'il s'agit du bicentenaire. L'occasion de revenir sur l'épopée napoléonienne et sur sa réception en Bohême-Moravie.

Napoléon Bonaparte
En 1799, Napoléon Bonaparte est retenu en Egypte. En France, des critiques de plus en plus intenses fusent contre le régime dictatorial et les Habsbourg croient la conjoncture favorable pour attaquer la France. Erreur stratégique qui débouchera, en 1801, sur le traité de Lunéville. Celui-ci entraîne la perte, par l'Autriche, des Pays-Bas et de la Lombardie ainsi que le rattachement de la rive gauche du Rhin à la France.

En août 1805, François II croit à nouveau le vent tourner. Et c'est une nouvelle erreur ! Cantonnées à Boulogne dans le cadre d'un débarquement en Angleterre, les troupes françaises font route vers la Souabe et, après la capitulation d'Ulm, occupent Vienne au mois de novembre. Au même moment, des troupes françaises font leur apparition en Bohême du sud, le gros de l'armée se dirigeant vers Brno. La défaite austro-russe à Slavkov (Austerlitz), le 2 décembre, aboutit au traité de Presbourg.

Outre l'impressionnante victoire tactique, la bataille d'Austerlitz porte en elle les prémices de l'Europe contemporaine. En 1806, Napoléon impose à François II la dissolution du Saint Empire Romain Germanique, survivance du Moyen-Age et système caduque depuis la fin de la guerre de Trente Ans en 1648. Bonaparte préfère, pour des raisons stratégiques, une confédération germanique aux liens lâches à une fédération unie et donc plus dangereuse. Quant à François II, il renonce à son titre pour redevenir empereur héréditaire d'Autriche. Il s'était attribué le titre d'Empereur Romain Germanique en 1804, au moment où Bonaparte s'était fait couronner Empereur des Français ! Conséquence importante sur la carte de l'Europe : l'Autriche se rabat sur l'Europe centrale et se voit rayée des territoires allemands et italiens. Puissance exclusivement danubienne, la monarchie perd une bonne partie de son prestige.

On serait tenté de penser que les armées napoléoniennes, annonciatrices d'une possible indépendance tchèque, furent accueillies en libérateurs par les Tchèques. Il n'en fut rien. Si les guerres ont accéléré le remaniement de la carte de l'Europe, on est encore loin de la relation franco-tchèque de la fin du siècle.

Certes, la noblesse de Bohême, à l'image de celle d'Autriche, accueille avec ferveur les idées des Lumières françaises tout au long du XVIIIème siècle. La francophilie en Europe centrale est alors incontestable. Mais la situation change avec la Révolution française, dont la noblesse tchèque ne partage pas les idéaux démocratiques. Elle relaiera ainsi la propagande anti-napoléonienne diffusée par l'Autriche dans tous les pays de la Couronne.

Il faut dire que, de l'autre côté, les quelques Français qui visitent alors les Pays tchèques n'oeuvrent pas vraiment pour la connaissance du pays en France. L'exemple de Madame de Staël est à cet égard emblématique. Deux ans après son passage en Bohême en 1808, elle achève "De l'Allemagne", une réflexion personnelle sur le protestantisme. Dans cet essai, l'écrivaine semble situer Prague... en Allemagne !

Citons un passage du chapitre VI : " C'était chez les Allemands qu'une révolution opérée par les idées devait avoir lieu, car le trait saillant de cette nation méditative est l'énergie de la conviction intérieure. (...) En lisant les détails de la mort de Jean Hus et de Jérôme de Prague, les précurseurs de la réformation, on voit un exemple frappant de ce qui caractérise les chefs du protestantisme en Allemagne, la réunion d'une foi vive avec l'esprit d'examen. (...)Partout en Allemagne on trouve des traces des diverses luttes religieuses (...). On montre encore dans la cathédrale de Prague des bas-reliefs où les dévastations commises par les Hussites sont représentées (...)".

Dans ses "Lettres", Madame de Staël n'évoquera pas non plus les Frères Moraves, qu'elle a rencontré en 1812 en Moravie. Sous sa plume, la nation tchèque semble ne pas exister.

A la place de la francophilie, c'est la russophilie qui se développe en Bohême en ce début de XIXème siècle. L'alliance austro-russe de 1799 a en effet permis aux Tchèques d'entrer en contact avec les Russes, les troupes du maréchal Souvorov ont installé leur quartier général à Prague. La russophilie est alors encouragée par la propagande autrichienne ! Et elle connaîtra un âge d'or avec la première génération de patriotes tchèques et slovaques : Josef Jungmann, Antonin Marek et Jan Kollar.

Les conséquences économiques des guerres napoléoniennes ont pu aussi jouer un rôle dans le rejet du modèle impérial à la française. Le blocus continental imposé par Bonaparte à l'Angleterre cause d'énormes dommages à l'industrie du verre en Bohême. Il isolera aussi en partie la toilerie tchèque des marchés mondiaux. Afin de parer au manque de café et de sucre de canne, les Tchèques inaugurent la culture de la chicorée et de la betterave à sucre, dont la première usine fonctionne dès 1801 à Horovice. Envers de la médaille : la fin de la concurrence anglaise profite au commerce du drap et à la sidérurgie en Bohême.

Le personnage de Bonaparte aura tout de même fasciné de nombreux Tchèques et l'épopée napoléonienne a sans doute participé à la naissance du romantisme en Bohême dans les années 1820. Or c'est bien du romantisme que naîtra le mouvement de l'Eveil national.