Le nom de Jan Palach parle à toutes les générations
Le tombeau de Jan Palach au cimetière de Prague-Olsany est recouvert de fleurs et de bougies allumées. 39 ans se sont écoulés depuis le 16 janvier 1969, lorsque, en haut de la place Venceslas, l’étudiant en histoire de la faculté de Lettres Jan Palach, âgé alors de 21 ans, s’est immolé par le feu en signe de protestation contre l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’armée soviétique. Trois jours plus tard il a succombé aux brûlures. Ses obsèques, le 25 janvier, se sont transformées en une manifestation pour la liberté. Par son acte, Jan Palach a voulu réveiller la nation et l’inciter à une résistance. Le défi, a-t-il été relevé ? Retour sur l’événement avec Miroslav Vanek de l’Institut d’histoire moderne de l’Académie des sciences tchèques.
« A mes yeux, c’était de la part de Jan Palach un acte héroïque. Son sacrifice, il l’a apporté en réaction à l’écrasement du Printemps de Prague par les chars soviétiques : l’occupation du 21 août 1968 a déclenché une vague de résistance, non-violente, mais active de la société – on n’a pas lutté, mais les artistes, les étudiants, les ouvriers ont fait grève, on a protesté dans les rues… Or dès le mois de novembre, l’intensité de ces activités a été étouffée… De nouveaux politiciens pro-Moscou avec à leur tête Gustav Husak occupent les postes dirigeants, la direction entreprend les purges dans la société ainsi qu’au sein du parti, les groupes staliniens se mobilisent. Dans ce climat de bouleversements politiques et de résignations individuelles, un étudiant jusqu’alors inconnu, Jan Palach, s’arrose d’essence et s’enflamme… C’était un acte inouï, absolument étranger à la tradition du pays, connu des actes de moines bouddhistes protestant contre la guerre du Vietnam, qui a choqué et chagriné l’ensemble de la société et attisé le feu de l’opposition, du désir de ne pas capituler... Le défi de Jan Palach était clair : essayer d’arrêter la politique de concessions, de collaborationnisme. C’est ce qu’on trouve aussi dans la lettre qu’il avait écrite avant de s’enflammer et où étaient formulées les revendications concernant la censure, la limitation de la liberté de la parole et la soviétisation progressive de la société. »
Dans la lettre trouvée sur le lieu de son sacrifice, devant la fontaine du Musée national marqué aujourd’hui par une croix en bronze qui sort du trottoir, Jan Palach écrivait:« Puisque nos nations se sont retrouvées au bord du désespoir, nous avons décidé de manifester notre désaccord substantiel avec les concessions faites par le régime devant l'occupant et d'inciter le peuple à ne pas se soumettre. Notre groupe est composé de plusieurs volontaires prêts au sacrifice ultime. J'ai eu l’honneur d'être le premier. Tant que nos revendications, dont la suppression de la censure ne seront pas acceptées, d'autres torches suivront. »
Jan Palach avait raison: d’autres torches ont suivi: le 21 janvier 1969, soit cinq jours plus tard, Miroslav Malinka l’imite et s’immole par le feu, et la même journée, l’étudiante Blanka Nachazelova se donne la mort, avec le même message – la vie sans la liberté est pire que la mort. Quarante jours après Jan Palach, le 25 février 1969, une seconde torche vivante flambe sur la place Venceslas : Jan Zajic, étudiant de 18 ans dans une école professionnelle de cheminots de Sumperk. Le 4 avril de la même année, un ingénieur de 40 ans, Evzen Plocek, s’enflamme sur la place de Jihlava. Ces noms sont moins connus que celui de Jan Palach qui, puisqu’il était le premier, est devenu leur symbole.
Quelle a été la réaction du pouvoir communiste au geste de Jan Palach, pouvait-il changer quelque chose, influencer l’évolution politique du pays ? On écoute l’historien Vanek :
« Je pense que même le pouvoir communiste a été choqué par cet acte. Mais peu de temps après, pendant la période dite de normalisation, tout était fait pour que le nom de Jan Palach soit effacé de la mémoire de la nation : il s’agissait aussi de supprimer son tombeau au cimetière d’Olsany dans le cadre d’une opération de la police secrète communiste, la StB ce qui était sans précédent : les cendres de Jan Palach ont été transférées dans le caveau de sa famille à Vsetaty et seulement en 1990, grâce à Vaclav Havel, elles sont retournées à Prague. Pendant plus de 20 ans, on n’a pas parlé de Jan Palach. La société ne l’a pourtant jamais oublié. Même dans les années d’étouffement et de normalisation la plus dure, le souvenir reste vivant, ce qui se manifeste au cours de la dite semaine Palach, en 1989, lorsque les étudiants du même âge que Jan Palach au moment de son acte, manifestent sur la place Venceslas. La semaine d’action sur cette place fournit un témoignage de ce que le pouvoir communiste n’est pas parvenu à effacer le nom de Jan Palach de la mémoire. »
Miroslav Vanek s’occupe également de l’histoire orale, c’est-à-dire de la recherche de témoignages auprès des témoins directs d’événements de 1968. Le nom de Jan Palach apparaît-il souvent dans leurs souvenirs ?
« Le nom de Jan Palach parle à toutes les générations : il en est ainsi pour les étudiants de 1989 pour lesquels il était un grand symbole, il en est ainsi aussi pour les personnes qui ont vécu cette période, pour les dissidents, bien entendu, de même que, par ex. pour certains fonctionnaires communistes qui avaient un problème avec son nom. Il ne me semble pas réel que Jan Palach puisse être oublié, son défi sera porté au travers des générations, vers l’avenir. Son acte était sans précédent et il est même difficile de l’intégrer dans l’histoire tchèque car apporter le sacrifice volontaire de soi-même, le sacrifice ultime, n’a pas d’équivalent dans ce pays. »