Le palais Koruna, couronne de la place Venceslas
Classé Monument culturel depuis 1983, le palais Koruna a été construit en 1911-1912 à l’angle de la place Venceslas et de la rue Na příkopě.
L’architecte Radomíra Sedláková nous emmène à la découverte de cet imposant bâtiment, autrefois connu sous le nom de « Automat Koruna ».
Commençons par l’aspect fonctionnel du palais Koruna. Il s’agirait de l’un des premiers édifices multifonctionnels ; est-ce vraiment le cas ? Et d’où est venu ce besoin de bâtiments polyvalents ?
« Au début du XXe siècle, le plan des villes, avec les emplacements des places et des rues, était déjà établi. Il n’y avait plus beaucoup de place au centre-ville. Néanmoins, les fonctions que la ville était censée assurer se multipliaient : une fonction socioculturelle, une fonction d’hygiène... Quant à la fonction commerciale, elle avait également évolué avec des boutiques désormais spécialisées. Sans oublier la restauration collective, qui s’imposait de plus en plus dans les villes : autrefois destinée uniquement aux gens de passage, elle s’offrait désormais également aux citadins. »
« Les fonctions étaient donc nombreuses et l’adaptation des bâtiments existants n’était pas satisfaisante pour les assurer. Pour cette raison, on a commencé à utiliser les parcelles de terrain libres pour y rassembler plusieurs de ces fonctions en un même endroit. Rappelons également l’émergence d’une nouvelle fonction : l’administration destinée aux particuliers, et plus seulement aux entreprises et aux fermes. Les banques, les assurances avaient de nouveaux besoins. Et le palais Koruna était en mesure d’y répondre. »
Il paraît qu’on y trouvait des bains et même une piscine ?
« Tout à fait. Il faut réaliser qu’avant la Première Guerre mondiale, peu d’appartements à Prague avaient l’eau courante et une salle de bain. Pour se laver, on se rendait aux bains. Et au palais Koruna, il y avait donc également une piscine. Car les gens avaient désormais conscience de l’importance du sport comme de l’hygiène. Il y avait également des bains de vapeur. C’était un centre aquatique de sport et bien-être, en quelque sorte. »
« En termes de construction, le début du XXe siècle était très avancé et se distingue par le caractère imposant du style. La place intérieure du passage en est un bel exemple. Le palais Koruna se compose en fait de deux passages. Lors de la construction, il a fallu composer avec le bâtiment voisin, Dům koberců (Maison des tapis), un beau bâtiment de la seconde moitié du XIXe siècle qui ne pouvait être rasé. Il a donc fallu le contourner. Pour cette raison, le plan du palais Koruna a la forme d’un L. Là où les deux ailes se rejoignent, se trouve donc une place aux immenses vitrines, de trois étages, ornée de vitraux et surmontée d’un dôme vitré. »
La décoration du passage est extrêmement riche...
« Oui, c’est un passage très orné. C’est grâce à sa structure en béton armé que le bâtiment peut être si imposant et disposer de surfaces vitrées si importantes. Les couloirs qui s’ouvrent sur la place sont monumentaux. Même s’ils ont été rénovés, ils respectent la structure Art nouveau d’origine. Ils sont surmontés de vitraux au décor très fin : pas de luxuriante végétation Art nouveau, mais des motifs géométriques très délicats et apaisants. »
Est-ce également le cas de la façade du palais Koruna ?
« La façade Art déco ne comporte que très peu d’éléments décoratifs : des fenêtres en encorbellement encadrées d’ornements, plusieurs loges assez inattendues, et tout en haut, des statues. L’ornementation est très discrète, ce qui est intéressant en soi : à Prague, lorsque l’on dit ‘Art nouveau’, on pense en général à Obecní dům (Maison municipale). Pourtant, l’Art nouveau pragois est plutôt modéré, suivant le modèle de Peterkův dům (maison de Peterka), qui se trouve juste en face. »
« En effet, selon l’architecte de ce bâtiment, Jan Kotěra, d’un point de vue architectural, Prague était déjà si riche qu’essayer d’y insérer un bâtiment à l’aspect exubérant serait allé à l’encontre de l’esprit de la ville. Comme la majorité des bâtiments construits avant la Première Guerre mondiale, le palais Koruna a sa tour d’angle. Prague n’est-elle pas surnommée la ville aux cent tours, ou aux cent clochers ? Tous les bâtiments de cette époque ont leur tour. Mais celle du palais Koruna est exceptionnelle, car elle est bordée de statues de Stanislav Sucharda, des statues qui soutiennent la couronne à son sommet. Cette magnifique couronne est géométrique et entremêlée de luminaires de forme ronde. A l’angle, au troisième étage, se trouve également une jolie terrasse en pergola. »
L’un des premiers restaurants self-service en Europe
L’un des endroits de référence du palais Koruna était le fameux Automat Koruna, qui a définitivement fermé ses portes en 1992. Il a ouvert en 1931, ce qui en faisait l’un des premiers restaurants en self-service en Europe. Ce lieu se distinguait-il d’une façon ou d’une autre en termes d’architecture ?
« Tout à fait. De style fonctionnaliste, œuvre de Ladislav Machoň, cet ‘Automat’ était si remarquable pour l’époque qu’il a servi de décor à de nombreux films tchèques. L’accent y était mis sur l’hygiène : tout était en acier inoxydable, présenté dans des vitrines en verre, et on savait depuis combien de temps la nourriture était exposée. Un grand soin était apporté à la propreté, la transparence et l’économie : car avec les distributeurs automatiques, pas besoin de payer des serveurs, des cuisiniers ni des plongeurs. C’était le début d’une tendance qui a largement dégénéré... Mais à Automat Koruna, il ne s’agissait pas de boissons ni de plats à emporter : les gens consommaient sur place. C’était un véritable phénomène : les gens de toutes les classes sociales s’y rendaient à toute heure de la journée. Je trouve vraiment dommage qu’aujourd’hui ce soit une boutique classique qui occupe les locaux d’Automat Koruna. »