Le « Ravin de Karel Čapek »

Strž de Karel Čapek, photo: Vojtěch Ruschka
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Le village de Stará Huť était un des endroits préférés de l’écrivain emblématique de la littérature tchèque Karel Čapek. L’auteur notamment de R.U.R., une pièce de théâtre, dans laquelle apparaît pour la toute première fois le mot « robot », y vient souvent vers la fin de sa vie, pour passer des vacances dans une maison désignée comme le « Ravin » (« Strž »), un nom qui lui a été donné d’après un étang situé dans son voisinage. Dans cette maison, aujourd’hui transformée en musée consacré à la vie de l’artiste, Karel Čapek a écrit également plusieurs de ses chefs-d’œuvre.

Strž de Karel Čapek,  photo: Vojtěch Ruschka
Stará Huť, qui se trouve près de la ville de Dobříš, dans la région de Bohême centrale, à une quarantaine de kilomètres au sud de Prague, est à première vue un village tout à fait ordinaire. Pourtant, cet endroit a enchanté l’écrivain, journaliste, dramaturge, traducteur de poètes français, tels que Charles Baudelaire ou Guillaume Apollinaire, et grand intellectuel de son temps, Karel Čapek. A tel point que son ancienne maison de campagne à Stará Huť est devenue après sa mort, à la demande de sa femme Olga Scheinpflugová, un mémorial officiel dédié à ce génie de la première moitié du XXe siècle. La directrice de l’établissement, Kristina Váňová, en dit davantage sur son histoire :

« La maison de Karel Čapek était à l’origine une usine de traitement du fer. Donc, aucun château, aucune villa. Karel Čapek y séjournait depuis 1935, l’année de son mariage avec la comédienne tchèque Olga Scheinpflugová. Le couple a reçu le droit d’utiliser à vie cette maison comme un cadeau de mariage. Karel Čapek passait à Strž tous ses étés et tout son temps libre. La maison lui a servi non seulement comme un lieu de repos, mais il venait aussi pour faire du jardinage, ce qui l’aidait à surmonter ses problèmes de santé à la colonne vertébrale qui lui compliquait la vie depuis sa jeunesse. Ici, dans son cabinet de travail, il a écrit tous ses chefs-d’œuvre datant de la période 1935-1938. »

Strž de Karel Čapek,  photo: Vojtěch Ruschka
C’est donc à cet endroit qu’est né par exemple le roman « La Guerre des salamandres », les pièces de théâtre « La Maladie blanche » et « L’Epoque où nous vivons » (publiée sous le nom « La Mère » en tchèque) ou le roman inachevé « La vie et l’œuvre du compositeur Foltýn ». Son « Ravin » ne lui servait toutefois pas seulement de lieu de travail. La maison était aussi un centre culturel vivant. Kristina Váňová :

« De nombreux amis fréquentaient Karel Čapek dans sa maison à Strž. Il s’agissait notamment de ses amis journalistes, parmi lesquels le plus souvent Ferdinand Peroutka. Quant à Olga, elle invitait des comédiens. Certains jours, il y avait donc vraiment beaucoup de monde. Ils faisaient des balades dans les environs de la maison, ils allaient à la recherche des champignons. Ils se rendaient aussi assez souvent au château Osov, situé pas très loin de Stará Huť, où habitait Václav Palivec, le vrai propriétaire de la maison de Karel Čapek. »

Un musée au milieu de la nature

Strž de Karel Čapek,  photo: Vojtěch Ruschka
L’histoire du Mémorial de Karel Čapek est assez tourmentée. Si après la mort de son mari en 1938, Olga veut transformer la maison en un musée, la première exposition n’est ouverte qu’en 1963. Sa créatrice doit en effet faire face à de nombreux problèmes, comme le confirme Kristina Váňová :

« Pendant le régime communiste, Karel Čapek n’était pas très bien accueilli. Seule une partie de son œuvre pouvait paraître et on l’a interprété uniquement par son engagement dans la lutte contre le fascisme. Si le premier musée a été créé il y a cinquante ans de cela, les débuts ont été assez dramatiques. Olga a été invitée, à plusieurs reprises, à quitter la maison qui aurait dû être transformée à un centre de loisir pour les employés d’une usine de fabrication de gants située dans le voisinage. Mais elle se battait pour faire de la maison un mémorial en l’honneur de Karel Čapek. Le projet a réussi, un peu paradoxalement, après l’intervention du professeur et historien de la littérature soviétique Sergueï Nikolski, qui appréciait justement le côté antifasciste de l’œuvre de Karel Čapek. Cela a donc permis de créer enfin une première exposition. »

Tout au long de l’ère dite de « Normalisation », depuis l’écrasement du Printemps de Prague en 1968 jusqu’à la Révolution de velours en 1989, le musée est néanmoins soumis à des restrictions idéologiques du régime. C’est la raison pour laquelle il est totalement renouvelé à la fin du XXe siècle. Aujourd’hui, ce mémorial, situé à l’écart des habitations du village, au milieu de la nature, retrace sur deux étages la vie de l’artiste depuis sa naissance en 1880, en passant par ses études à la Faculté des lettres de l’Université Charles, ainsi qu’aux universités de Berlin et de Paris, jusqu’à son départ de Stará Huť, à l’automne 1938, et à sa mort peu de temps après, suite à une pneumonie. Les visiteurs peuvent se familiariser avec de nombreuses idées de l’écrivain grâce à des extraits de ses textes, mais peuvent aussi découvrir des manuscrits de plusieurs de ses œuvres ou encore l’endroit où celles-ci ont été écrites :

« Ce cabinet de travail est conservé dans son état original. Il s’agit de la plus belle pièce de la maison. La lumière y entre par trois grandes fenêtres. Le meuble est aussi original. Voici par exemple la table de Karel Čapek. L’équipement est assez simple, composé de choses qui n’avaient plus d’utilité dans la villa officielle de Karel Čapek à Prague. »

Strž de Karel Čapek,  photo: Vojtěch Ruschka
La maison possède encore un troisième étage qui est dédié à la carrière artistique d’Olga Scheinpflugová, ainsi qu’à un grand ami de Karel Čapek, le « père du journalisme tchèque » Ferdinand Peroutka. Kristina Váňová précise :

« Au grenier, il y a une exposition consacrée à Ferdinand Peroutka. Il s’agit également des locaux authentiques dans lesquels Ferdinand Peroutka séjournait réellement pendant ses visites. Dans les années 1937 et 1938, il venait assez souvent, il possédait donc sa chambre à lui. Mais il venait assez souvent aussi après la mort de Karel Čapek. Il empruntait des clés d’Olga et il venait tout seul pour y écrire. »

A la découverte des endroits préférés de Karel Čapek

Olga Scheinpflugová et Karel Čapek,  photo: MZV
Selon le modèle de Karel Čapek et son épouse Olga, le mémorial se veut également un centre ouvert, qui organise différents expositions, concerts et représentations théâtrales, préparés par des artistes locaux et d’autres passionnés de la culture. De plus, un sentier éducatif a été créé en 2012, en collaboration avec des étudiants du lycée de Dobříš, pour présenter au public les alentours de la maison à Strž. Kristina Váňová poursuit :

« Karel Čapek était enchanté non seulement par la maison, mais également par la nature qui l’entoure. C’est une nature typiquement tchèque, il y a un grand étang tout près de la maison, il y a des forêts, il y a un ruisseau… Karel y avait donc deux circuits préférés, un plus petit et l’autre plus grand, qu’il changeait selon le temps libre qui lui restait après le travail. Nous avons fait de ces circuits un sentier éducatif, avec des panneaux d’informations, pour que les visiteurs puissent découvrir par exemple les endroits préférés de Karel Čapek ou les lieux où il cherchait des champignons, etc. »

Lors de leur promenade, les touristes sont en plus accompagnés par une héroïne, très célèbre notamment auprès des jeunes lecteurs de Karel Čapek, la chienne Dášenka. Ce guide leur pose différentes questions auxquelles ils peuvent chercher les réponses sur des panneaux informatifs et les noter ensuite dans des questionnaires qu’ils obtiennent dans le musée.

Une autre curiosité de ce sentier éducatif consiste en une prairie appelée la « Française ». Ce nom lui a été donné suite à la guerre de Succession d’Autriche, qui a opposé, au XVIIIe siècle, Marie-Thérèse d’Autriche d’un côté et les armées prussiennes, bavaroises et françaises de l’autre. Et lors de leur expédition dans les pays tchèques, les soldats français ont campé, pendant plusieurs mois, justement dans le voisinage du village de Stará Huť.

La ville de Dobříš et son jardin français

Château de Dobříš | Photo: Vojtěch Ruschka
Enfin, notre balade nous emmène à Dobříš, une ville située à deux kilomètres seulement du Mémorial de Karel Čapek. Dobříš est célèbre notamment grâce à son château bâti au milieu du XVIIIe siècle, dans le style rococo, et à ses deux grands jardins. Le premier, construit au XIXe siècle selon le modèle anglais, ressemble à un parc ou à une forêt, sa végétation n’étant que très peu entretenue par l’homme. L’autre est tout le contraire. Ce jardin à la française se classe parmi les plus importants de ce type en République tchèque. Outre nombreux ornements végétaux, il comporte un grand nombre de statues baroques du célèbre sculpteur František Ignác Platzer. Parmi ces œuvres, la plus remarquable est la décoration d’une grande fontaine située au fond du jardin représentant une scène de la mythologie grecque, « L’abreuvement des chevaux d’Hélios ».

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