Le sang de Bohême du Sud

Foto: Verlag Host
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« ‘Sang de poisson’ est mon roman le plus épais, et les personnages et les épisodes de ce roman sont les plus accomplis. Je le considère comme mon meilleur livre », dit l’écrivain Jiří Hajíček, dont l’avis est aussi celui de beaucoup de lecteurs et de nombreux critiques. Le jury du prestigieux prix littéraire Magnesia Litera le partage sans doute aussi puisqu’il a décerné à cet ouvrage le titre du Meilleur livre de l’année 2013. Une fois de plus, l’auteur amène le lecteur en Bohême du Sud, région où il est né et où il a grandi, région qui l’a formé, qui lui a inspiré ses meilleurs œuvres et où il vit jusqu’à aujourd’hui.

Jiří Hájíček,  photo: CT
La Bohême du Sud est une région aux innombrables étangs qui donnent un caractère particulier au paysage. La pisciculture est une activité typique pour cette région et la carpe en est le symbole. Tout cela se reflète dans le titre que Jiří Hájíček a donné à son roman profondément ancré dans sa région natale :

« Je m’amuse à être un auteur régional parce que j’ai l’impression que la connaissance d’un milieu local permet à l’auteur de construire le récit d’une portée générale. Pourquoi chercher à éviter les motifs locaux et s’efforcer de ne pas être ‘régional’ ? Au contraire, tout cela m’amuse et je pense que cela profite à mon travail littéraire. »

La couleur locale est donc un des traits importants de ce roman qui met en scène plusieurs personnages confrontés aux changements profonds que subit leur pays et pris dans l’engrenage de l’histoire. Jiří Hájíček explique que le caractère spécial des gens de la région se reflète aussi dans le titre de son roman :

« On dit que les habitants de Bohême du Sud ont du sang de poisson. Pour moi, c’est une espèce de métaphore de la Bohême du Sud et de ses habitants, d’une certaine lenteur, d’une certaine mélancolie, d’une certaine retenue. J’ai intitulé ce livre comme ça, bien que ce ne soit pas un livre sur les poissons ou sur la pêche. Je pense que celui qui lira ce livre jusqu’à la fin absorbera à sa lecture un peu de la nature des Tchèques de la Bohême du Sud et comprendra aussi son titre. »

'Le Sang de poisson' | Photo: Host
C’est une jeune fille, Hana, qui est la narratrice du roman « Sang de poisson ». L’auteur amène le lecteur dans la Bohême du Sud des années 1980, période de grands changements, d’espoirs et de déceptions. Hana habite un de ces villages destinés à disparaître pour céder la place à la construction de la centrale nucléaire de Temelín. Elle refuse de se laisser faire et se joint à la poignée de villageois qui décident de lutter contre le monstre nucléaire pour sauver leurs maisons et leurs villages. Hana espère que le nouveau régime démocratique qui s’installe au pouvoir avec la chute du communisme en 1989 sera plus sensible aux revendications des villageois qui risquent d’être chassés de leurs maisons et de leurs terres, mais elle perdra progressivement ses illusions.

« Je choisis mes thèmes selon leur localité. Chaque thème de mes textes me touche personnellement dans une certaine mesure. Je ne suis pas le genre d’auteur qui invente un thème à sa table de travail et qui, en écrivant, le développe avec son imagination. Cela se développe toujours à partir de ce que j’ai vécu ou d’une expérience, de l’endroit où j’ai vécu et où je vis. Dans ce cas concret aussi, j’ai choisi un thème qui m’accompagne depuis mon enfance. Le thème de la construction de la centrale de Temelín est tellement fort que peu de ceux qui vivent dans les environs des villes de Týn et de České Budějovice n’ont pas été touchés. »

Temelín
L’auteur n’avait pas l’intention d’écrire un pamphlet anti-nucléaire. Il voulait faire revivre les gens de la région, évoquer leur vie de tous les jours, leurs soucis, leurs passions, leurs espoirs, leur monde qui disparaît avec une rapidité vertigineuse. Les héros du roman, Hana, son ami Petr, le chroniqueur et militant contre la centrale Tušl, n’ont pas une opinion arrêtée sur le nucléaire. Peu leur importe si l’énergie est fabriquée par la réaction nucléaire ou dans des centrales thermiques ou hydrauliques. Ils ne veulent que protéger leurs maisons et leurs villages, ils refusent de sacrifier leur passé. Ils résistent jusqu’à la fin dans leur village perdu au milieu d’un paysage déjà déserté de la majorité de ses habitants et dominé par les gigantesques tours de refroidissement de la centrale. Ils refusent d’admettre qu’ils n’ont aucune chance de vaincre dans ce combat inégal. Leurs illusions s’effondrent et cela se répercute jusque dans leur vies intimes, sur leurs relations amoureuses qui ne reposaient probablement aussi que sur les illusions. Hana, jeune fille qui a voulu sauver sa maison, se retrouve seule. Déçue et meurtrie, elle part à l’étranger pour se bâtir un autre avenir.

Jiří Hájíček a pu évoquer ce monde voué à disparaître avec une force de détails parce qu’il a fait partie de ce monde pendant la première étape de sa vie. Néanmoins, il a puisé aussi dans d’autres sources :

'Le Baroque paysan',  photo: HOST
« Dans ce cas, c’est une combinaison de souvenirs personnels, d’expériences, du vécu et des recherches dans les archives. Dans mon roman précédent, ‘Le Baroque paysan’, j’ai beaucoup puisé dans des chroniques parce que je n’avais pas vécu la période que j’évoque dans ce livre. Mais le sujet du roman ‘Sang de poisson’ m’était familier et j’ai écrit ce livre aisément. La période allant de la moitié des années 1980 à la moitié des années 1990, c’est une période que j’ai vécue, et dans le roman je laisse raconter cette histoire à une jeune fille qui est pratiquement ma contemporaine. Donc les souvenirs, l’atmosphère, les histoires des gens de la campagne sont souvent basés sur ce que j’ai vécu, sur mes expériences et sur ce qu’on m’a raconté. »

En écrivant le livre, Jiří Hájíček a cependant aussi combiné son vécu avec d’autres sources. Il a cherché des documents dans les archives et a également puisé dans deux livres du publiciste Antonín Pelíšek consacrés à cette période dramatique pour beaucoup d’habitants de Bohême du Sud. L’autre source de documents et d’inspiration a été pour lui le livre de souvenirs de Jan Bartůška, originaire du village de Březí, une des communes sacrifiées à la construction de la centrale de Temelín. Jiří Hájíček apprécie beaucoup le style de chronique que Jan Bartůška a donné à son livre, qui réunit de nombreuses informations et évocations de la vie des villageois.

« Je dirais que cet exemple concret de la centrale de Temelín et la liquidation de villages au tournant des années 1980 et 1990 peut être perçu aussi comme une métaphore d’une valeur générale. Il évoque ce désenchantement que beaucoup parmi nous ont vécu en 1989 et après la révolution qui a entraîné la chute du communisme, lorsque nos espérances se sont avérées être naïves. Les gens se sont rendu compte de la réalité et ont été souvent déçus. L’histoire concrète de la résistance contre la construction de la centrale de Temelín est donc sur beaucoup de points une histoire d’une valeur générale. »