Le souvenir de Václav Havel toujours vivace avec l’anniversaire de la Révolution dite de velours

Václav Havel, photo: archive of Czech Radio

A l’approche du 25ème anniversaire du début de la Révolution dite de velours, le 17 novembre, l’heure est aux bilans. L’ex-président tchèque Václav Klaus s’est par exemple adonné à cet exercice dans un entretien pour la presse. Nous vous présenterons quelques-unes réactions qu’il a provoquées en évoquant son prédécesseur, Václav Havel. Comment Havel est-il vu aujourd’hui par les représentants politiques ? Un site a lancé une enquête sur ce thème, dont nous avons retenu les grandes lignes. « Notre pays appartient à l’Occident ». C’est ce que déclare dans un entretien pour la presse le récent lauréat du prix Templeton, Tomáš Halík, dont nous vous présenterons également un bref extrait. Et quelques mots enfin au sujet de l’égalité entre hommes et femmes en Tchéquie qui est, comme le prouve une nouvelle étude internationale, loin de s’améliorer.

Václav Klaus et Václav Havel,  photo: Archives de ČRo
Dans un entretien pour l’édition de samedi dernier du quotidien Mladá fronta Dnes, l’ex-président Václav Klaus porte un regard rétrospectif sur les vingt-cinq années écoulées. Une nouvelle occasion pour lui de dénoncer l’évolution de la politique tchèque et de critiquer notamment la prétendue influence qu’exercent dans le pays les médias, les organisations non gouvernementales et les tribunaux. Ce sont pourtant ses paroles à l’adresse de son prédécesseur, Václav Havel, lequel aurait été selon lui, « mentalement, un communiste réformateur », qui ont donné lieu à de vives réactions dans la presse. Erik Tabery, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Respekt, écrit par exemple :

« Václav Klaus mérite la pitié. Depuis un certain temps déjà, il ne maîtrise pas son départ dans l’insignifiance politique : il injurie qui il peut, se lie à de drôles de nationalistes, admire la Russie peu démocratique et autoritaire, collabore avec des gens qui prônent des théories conspirationnistes... L’entretien que Klaus a accordé au quotidien Mladá fronta Dnes prouve que l’esprit de Havel ne cesse de le hanter, ce qui se répercute dans sa condition. »

Selon Klaus, Václav Havel détestait les partis politiques et refusait l’économie de marché, « tout en en tirant un grand profit ». A ce sujet, Erik Tabery écrit :

« Il va de soi que Václav Havel n’était ni communiste ni un communiste réformateur. La chose remarquable chez lui est justement que, bien qu’il ait eu sa propre idée sur une société idéale, il était capable d’accepter que la réalité était tout simplement différente. Voilà pourquoi il a vite abandonné l’idée selon laquelle on aurait pu fonctionner sans les partis politiques. Havel était capable d’admettre qu’une de ses thèses était intenable. En revanche, Klaus ne l’a jamais été et ne le sera jamais. Seul compte pour lui le système dans lequel il a une position dominante. »

Sur le site aktuálně.cz, Martin Fendrych a également réagi aux propos que Václav Klaus a prononcés dans l’entretien cité. Il écrit :

« Les paroles de Klaus trahissent son profond scepticisme. En ce sens, il ressemble à Havel. Son mandat présidentiel une fois achevé, ce dernier était également assez sceptique et mécontent. Mais chez Havel, ce mécontentement avait d’autres motivations, car provoqué par le développement d’un système clientéliste et par l’absence d’une puissante opposition civique... En démocrate classique, Havel n’avait rien contre les partis politiques. Ce qu’il dénonçait, c’était leurs pratiques qui ont permis une corruption sans précédent... Un autre motif du scepticisme de Havel : tandis que sa vision d’une puissante société civique échouait, ses deux principaux rivaux, Václav Klaus et Miloš Zeman, continuaient à dominer la politique. »

Václav Havel tel qu’il est vu 25 ans après

Václav Havel | Photo: Archives de ČRo
Il n’est point étonnant qu’à la veille du 25ème anniversaire de la Révolution de velours, une attention particulière dans les médias soit tournée vers la figure emblématique de cet événement, Václav Havel. Le site echo24.cz a lancé une enquête auprès des représentants politiques tchèques pour savoir ce que celui-ci représentait pour eux. Les réponses réunies témoignent d’une opinion sur Havel plutôt mitigée. D’un côté, les politiciens constatent que Havel a ouvert un espace à la démocratie et à la liberté, améliorant l’image de la Tchéquie à l’étranger et, d’un autre côté, ils estiment qu’il avait des idées politiques peu réalistes et qu’il prêtait oreille à de mauvais conseillers. L’ancien ministre des Finance, Miroslav Kalousek a tenu dans ce contexte à souligner :

« Je ne comprends pas pourquoi ceux qui avaient à l’époque des opinions différentes des siennes, l’attaquent quand il n’est plus de ce monde. Havel demeure le symbole et l’icône de l’évolution de la société après novembre 1989. Affronter les icônes désormais défuntes n’est l’apanage que de ceux qui souffrent d’un complexe d’infériorité. »

Le ministre de la Défense, Martin Stropnický (ANO), considère qu’à l’heure actuelle, Havel aurait du mal à s’imposer dans la politique, précisant :

« Pour moi, Václav Havel représente une personnalité marquante et forte. Un homme exceptionnel qui avait à la fois la chance de pouvoir harmoniser son entrée dans la politique avec une époque exceptionnelle, où la majorité de la population tchèque était capable d’accepter sa personnalité. Si tel était le cas aujourd’hui, le 17 novembre 2014, je pense que cela se passerait, hélas, tout à fait autrement. Hélas ».

Rappelons que Václav Havel, qui est mort le 18 décembre 2011 à l’âge de 75 ans, a été élu président de la Tchécoslovaquie un mois après les événements de novembre 1989 pour devenir, entre 1993 et 2003, le premier président de la République tchèque.

Tomáš Halík : la Tchéquie fait partie de l’Occident

Tomáš Halík,  photo: Martina Schneibergová
Rapportant le déroulement de la « journée dite de velours » qui s’est déroulée ce jeudi à l’Université d’Oxford en Grande-Bretagne, le quotidien Lidové noviny de ce vendredi a publié un entretien avec un des participants à cet événement, Tomáš Halík, prêtre et enseignant universitaire, récent lauréat du prestigieux prix Templeton. Connu pour avoir été lié d’amitié avec Václav Havel, il dit notamment :

« Selon mon intime conviction politique et culturelle, notre pays appartient par son essence à l’Occident, pas à l’Est. Je suis également convaincu que non seulement l’idéologie délétère du panslavisme, mais aussi l’utopie d’après-guerre d’Edouard Beneš, basée sur l’idée d’un « pont entre l’Est et l’Ouest » ont été très dangereuses... Pour moi, le fruit le plus important de la chute du régime communiste en 1989 a été notre adhésion à la communauté européenne et à l’alliance atlantique. »

S’agissant de la situation en Tchéquie 25 ans après l’éclatement du régime communiste, Tomáš Halík estime :

« Il me semble que beaucoup de gens voient l’état de la société, subjectivement, pire qu’il ne l’est en fait. Il y a bien sûr beaucoup de choses négatives dans la sphère publique, beaucoup d’agressivité et de vulgarité dans les relations humaines. Mais comparé aux atrocités qui se passent ailleurs, il faut être reconnaissant de pouvoir vivre ici. Il faut cependant être vigilants, car la démocratie est une chose fragile. »

A quand le débat sur l’égalité entre hommes et femmes en Tchéquie ?

Photo: Commission européenne
Selon un article publié dans l’hebdomadaire Respekt, déjà cité, il existe un domaine dans lequel la Tchéquie a un grand retard à rattraper, celui de l’égalité entre hommes et femmes. Un domaine que les Tchèques ne veulent toujours pas considérer comme un indicatif du niveau de civilisation du pays. Son auteur, Lucie Hrstková, précise :

« Les résultats d’une nouvelle étude du Forum économique mondial analysant le fossé entre hommes et femmes et concernant 140 pays révèlent que la Tchéquie se situe derrière la majorité écrasante des pays européens. L’éducation, la santé, l’économie et la politique, autant de secteurs qui ont été examinés dans cette étude qui a dévoilé que, depuis l’an 2006, la Tchéquie a chuté d’une quarantaine de places... Or, tandis que dans les pays voisins, la situation commence au fur et à mesure à s’améliorer – la Pologne a par exemple une deuxième femme chef de gouvernement depuis la chute du communisme - la Tchéquie suit une orientation inverse. »

La faible représentation des femmes tchèques dans la haute politique, aussi flagrante soit-elle, n’est pas l’unique signe de ce phénomène. Lucie Hrstková donne d’autres exemples :

« Dans les plus grandes sociétés qui sont présentes sur le marché tchèque, les hommes représentent 96% des cadres dirigeants. Les femmes sont absentes à la tête des banques. Les rédacteurs en chef des grands quotidiens nationaux sont notamment des hommes, et ces derniers dirigent, aussi, les médias publics. »

En conclusion, l’auteur du texte constate :

« Le débat sur la position égale en droits de la femme dans la société tchèque oscille entre un désintérêt total et l’hystérie qui accompagne les tentatives de mettre cette égalité en valeur non seulement de jure, mais aussi dans la vie réelle. Ainsi, la question des quotas pour les femmes dans les structures de décision des firmes, un but à atteindre en l’an 2020, est généralement considérée comme un thème suspect. »