Léandre Alain Baker à Prague : « J'en suis venu à écrire du théâtre par des frustrations de comédien »
« En écrivant, j'ai eu la sensation de jouer moi-même... Souvent, on me pose la question de savoir si je suis plutôt acteur, plutôt écrivain ou plutôt metteur en scène. Je pense que c'est plus ou moins le même métier, sauf qu'on déplace les règles. » En tant que comédien, il a collaboré avec des metteurs en scène tels que Peter Brook, Philippe Adrien ou Thierry Mennessier. On connaît de lui le roman « Ici s'achève le voyage », le recueil de poèmes « Des gifles et des caresses », des courts métrages et des documentaires. Mais surtout, plusieurs pièces de théâtre, notamment celle qui s'intitule « Les jours se traînent, les nuits aussi », prix RFI Théâtre en 1991 et présentée le 7 mars en première tchèque, sur la station de radio publique Vltava.
« Ce n'est pas une histoire personnelle, mais je me souviens que quand j'étais arrivé depuis peu en France et quand je prenais l'ascenseur par exemple, les gens ne me disaient pas bonjour. Ou alors me disaient bonjour sans vraiment me regarder. Il n'y avait pas d'accueil, de chaleur. Un jour, je me suis mis à penser : si jamais un jour, ces gens-là rentraient à la maison et trouvaient un inconnu qui s'était installé chez eux... que va-t-il se passer ? Est-ce qu'ils vont appeler la police, est-ce qu'ils vont se mettre à se parler pour savoir qui est l'autre ? Dans cette pièce, j'étais parti d'un couple de blancs, qui sont un peu dans leur cocon, dans leur quotidien. Tout d'un coup, il y a quelqu'un qui apparaît dans leur appartement, comme par miracle. On ne sait pas d'où il vient. C'est peut-être un ange ou un voisin d'en haut qui est venu passer un moment avec eux, pour ne pas être tout seul. »
Ce n'est pas un peu étrange pour vous de venir à Prague parler d'une pièce que vous avez écrite il y a plus de quinze ans ?
« C'est étrange, parce que, finalement, je l'ai oubliée, cette pièce. J'en ai écrit d'autres qui ne sont pas publiées. Entre-temps, j'ai fait du cinéma, j'ai écrit des scénarios, j'ai fait des courts métrages et des documentaires... C'est plus ou moins une pièce de jeunesse. »
Sa jeunesse, Léandre Alain Baker l'a passée au Congo-Brazzaville.
« Dans mon enfance, c'était un pays communiste. Dans les écoles, il y avait du théâtre, des animations... Au départ, je m'intéressais à la musique, mais depuis très jeune, j'étais aussi passionné par le cinéma. Pour moi, c'était un mystère. J'ai pensé que c'était un outil très important pour les pays d'Afrique, où les gens ne sont pas forcément lettrés. Il est vrai que le Congo est un pays très alphabétisé, mais quand même, les gens ne lisent pas beaucoup. Alors j'ai pensé que le cinéma était un bon moyen pour raconter nos histoires. Le théâtre, c'est pareil. Puis, dans les années 80, à l'âge de 20 ans, je suis venu en France à la faveur d'une tournée de théâtre. Comme au Congo, il n'y avait pas d'écoles de cinéma, j'ai voulu rester en France et apprendre le métier de cinéaste. »
C'était une décision pour la vie ?
« Non. De toute façon, on ne sait jamais si c'est pour la vie ou pas. Mais finalement, en France, j'ai rencontré des amis, j'ai commencé à travailler au théâtre comme acteur et puis, comme au Congo, j'écrivais de petites choses, de la poésie, je me suis dit : tant qu'à rester là, où il y a plus d'ouverture. Vous savez, au Congo, on se gagne pas sa vie en étant artiste. »
On dit tout de même, en plaisantant, que la République du Congo est le seul pays d'Afrique où on trouve le plus d'écrivains au km ...
« Alors ça, je ne sais pas d'où sa vient. Mais quand j'étais jeune, je me souviens qu'il y avait beaucoup d'émulation - des associations etc. Les gens aimaient bien écrire et partager. Ce qui est étonnant, c'est qu'il n'y avait pas de maisons d'édition, pas de bibliothèques, à part le centre culturel français, mais les gens étaient quand même passionnés par la littérature. Quand j'avais 15, 16 ans, avec un ami, Caya Makhélé, on avait monté le Cercle littéraire de Brazzaville. Ceux qui avaient envie d'écrire se rassemblaient et on se faisait passer les textes. On organisait des expositions et les gens venaient pour lire les textes qui étaient affichés sur les murs. »
On parle souvent d'une forte génération de dramaturges africains, dont certains (Koffi Kwahulé, José Pliya, Kossi Efoui) sont déjà venus à ce festival. Vous vous sentez proche d'eux ?
« Evidemment, puisque, pour la plupart, ce sont des amis. Vous savez, l'écriture dramatique a pris son essor à partir des années 1980, en Afrique surtout. C'est venu essentiellement par un écrivain qui s'appelle Sony Labou Tansi, sur qui j'ai fait d'ailleurs un documentaire et qui est mort depuis une quinzaine d'années. C'est un monsieur qui écrivait tout le temps, comme un fou, comme un boxeur... Il ne pouvait pas ne pas écrire. Son théâtre a influencé plusieurs générations. Je ne dis pas que je m'inspire de ce qu'il a fait, moi, j'ai un autre style. Mais il nous a, en tout cas, ouvert la voie au niveau international. Il a eu beaucoup de prix, il avait lui-même une compagnie de théâtre qui tournait partout dans le monde, donc ça nous a vraiment ouvert les portes. Mais moi, je me range plutôt parmi ce qu'on pourrait appeler les écrivains... il y a quelqu'un qui avait un bon mot là-dessus... les négro-politains. Les écrivains de l'exil. C'est dans l'exil que j'arrive à parler de l'Afrique et du Congo. »
Vous ne seriez pas capable si vous étiez resté dans le pays ?
« Ah si ! Mais il ne m'a jamais été donné d'écrire du théâtre sur place. Ce qui m'intéresse, moi, ce sont les rapports nord-sud. C'est la rencontre de l'autre. Comment vivons-nous ensemble, qu'allons nous faire pour être bien ensemble...C'est un théâtre métissé et non pas revendicatif, militant. Non, non. C'est plutôt psychologique. Ce sont des histoires de femmes et d'hommes, leurs souffrances, leurs difficultés à avancer dans la vie. »
« Quand j'étais en résidence d'écriture à Limoges, j'ai commencé une pièce que j'essaie de terminer maintenant. Elle s'appelle 'Dieu roulera l'univers comme une natte'. C'est peut-être ma première pièce plus engagée, un peu plus politique, avec plus de personnages que d'habitude. C'est une espèce de farce, mais sur une tragédie - les guerres civiles en Afrique. »