Léandre-Alain Baker, raconteur d’histoires

c/festivaly/tvurci_afrika/nemeckova_baker

Rencontre aujourd’hui avec Léandre-Alain Baker, auteur congolais de passage à Prague dans le cadre du festival Afrique en création et du salon Le Monde du livre. Au micro de Radio Prague, il est revenu sur ses pièces de théâtre, ses films, mais aussi sur le regard qu’il porte sur l’Afrique ou le cinéma africain.

Lucie Němečková et Léandre-Alain Baker,  photo: Facebook de Nad Prahou půlměsíc
Léandre-Alain Baker, bonjour. Vous êtes écrivain, poète, cinéaste, acteur, dramaturge. Vous avez beaucoup de cordes à votre arc…

« Plusieurs casquettes en effet, mais je ne mène pas tout cela de front. Un coup je fais l’acteur, un coup je fais le cinéaste, mais j’essaye d’écrire tous les jours en tout cas. »

C’est important pour vous de varier les plaisirs ?

« Oui, mais je pense qu’il y a une forme de continuité entre jouer la comédie, écrire, faire des films. Je pense que cela participe de la même chose : raconter des histoires. Je me définis plus comme un raconteur d’histoires. »

Ce sera cela qui chapeauterait tout votre travail, le conte, le fait de raconter…

« Exactement. Car je viens d’une culture de l’oralité. Pour moi écrire de la poésie, un film, ou jouer, cela participe de cette oralité. »

Est-ce que dans votre famille on racontait des histoires ?

« Je pense que dans toutes les familles africaines, il y a cette fonction de raconter des histoires. Je pense que depuis leur tout jeune âge, les Africains sont ‘soumis’ à écouter des histoires. Ils baignent dedans. L’éducation des enfants se fait par les contes, les légendes, par des histoires drôles. »

C’est peut-être quelque chose qu’on a perdu en Occident… Le conte était pourtant important autrefois pour sa valeur éducative…

« L’Occident l’a en effet perdu, mais je crois que cela vient de la préséance du livre, de la littérature et de la chose écrite. L’Occident va plus vers la lecture que vers l’écoute de choses colportées çà et là de bouche en bouche. »

Vous êtes à Prague dans le cadre d’Afrique en création qui revient après cinq ans d’absence. Vous étiez déjà présent en 2006. Est-ce important pour vous de revenir à Prague après plusieurs années, de faire un lien entre ces deux visites et de voir un public qui a peut-être changé ?

« En tout cas je suis très heureux de revenir parce que la première fois, il s’est passé quelque chose de très intéressant que m’a raconté Lucie Němečková, l’organisatrice d’Afrique en création. J’avais projeté deux films sur des écrivains congolais. Il y avait un jeune homme présent au cours du débat. Il est à moitié tchèque, à moitié congolais. Ce jeune homme est devenu écrivain parce que lors de cette manifestation sur le Congo, il a eu envie de partir sur les traces de son père. Il a écrit un livre et depuis, il a retrouvé son père. Je suis ravi de me retrouver ici, en raison de cette histoire qui m’a ému. »

Vous avez dit quelque part que c’est dans l’exil que vous arriviez à parler de l’Afrique et du Congo. En quoi le déracinement est-il générateur de création ?

« Je ne pense pas que ce soit un déracinement, je pense qu’en étant loin de chez soi, on est plus habité par le chez-soi d’où l’on vient. On a un pays mental, lointain, qui vous porte et qui vous aide à vivre l’exil de la meilleure façon qui soit. »

En quoi votre regard sur l’Afrique et le Congo a-t-il changé au fil des ans ?

« Mon regard a changé car il est plus acerbe, plus critique. De loin, j’observe ce qui se passe là-bas et je ne suis pas toujours content. Vivant là-bas, il y a des choses qu’on ne voit pas. C’est en prenant de la distance qu’on perçoit les choses avec un œil bien plus critique. »

A Prague, vous présentez plusieurs choses, dont votre dernier film Les fiancés d’Imilchil. C’est une histoire de Roméo et Juliette marocains… Comment est né ce film qui est en fait un documentaire joué ?

'Les fiancés d’Imilchil'
« L’idée me vient d’une femme qui a produit le film, qui a vécu au Maroc et allait souvent à Imilchil où se déroule le Festival des fiançailles. Cette histoire lui a tellement plus qu’elle a cherché quelqu’un qui pourrait l’écrire et en faire un film. Elle avait déjà vu mon film Ramata et cherchait quelqu’un qui raconterait l’histoire de la même façon. Elle m’a donc contacté. De l’écriture à la finition, ça a mis quatre ans à se faire. »

Parlez-nous de ce film ? Qui sont ces fiancés d’Imilchil ? Il y a un aller-retour entre cette légende de Roméo et Juliette marocains et une histoire de fiançailles à l’heure actuelle…

« La légende d’Imilchil est une légende fondatrice de ce coin du Maroc. C’est l’histoire de deux jeunes gens qui s’aimaient d’un amour fou, mais dont les parents s’opposaient à leur union. Il s’est produit des drames entre les deux familles… Un sage du coin décide un jour de rassembler les gens du coin et faire en sorte que les jeunes, garçons et filles, se rencontrent plus librement. Ça a donné lieu au Festival des fiançailles qui dure trois jours. C’est un jour où les jeunes gens se retrouvent et sont mariés sous l’autorité des notables. Tout cela, c’était fait pour vivre en bonne intelligence, sans heurts ni conflits. Vous disiez que c’était un film mi-fiction, mi-documentaire. Pour moi, cela reste quand même un documentaire. La légende est une légende, donc je pouvais difficilement faire un documentaire avec une légende, il fallait la ‘fictionner’ un peu. Donc la fiction n’est là que pour soutenir cette histoire : il s’agissait de raconter d’où vient ce Festival des fiançailles. »

Puisqu’on parle de cinéma, le festival de Cannes se déroule actuellement et j’ai cru voir qu’il n’y a qu’un seul film africain, éthiopien, en compétition cette année, dans la section Un certain regard. L’an dernier, Timbuktu avait eu le Prix du jury œcuménique. Mais dans l’ensemble, il y a peu de films africains dans les festivals et dans les salles de cinéma. Pourquoi ?

« Vous nous amenez sur un terrain un peu risqué… Ce que je peux dire, c’est que le cinéma africain dans son ensemble n’est pas très compétitif. Et puis, on dit le cinéma africain, mais on ne dit pas le cinéma européen… on dit : le cinéma français, tchèque etc. Mais disons que le cinéma africain est très mal produit car pour l’essentiel, c’est un cinéma produit par l’Occident. »

Donc des coproductions ?

« Des coproductions, mais la partie africaine n’est pas vraiment décisionnaire. Le cinéma, c’est avant tout celui qui apporte de l’argent qui maîtrise la chose. Les films africains, même s’ils sont pensés en Afrique, n’aboutissent que parce que l’Occident veut bien investir de l’argent. Souvent, c’est l’Occident qui décide si ce film va sortir en salles ou pas car les diffuseurs sont occidentaux. En Afrique, il n’y a même plus de salles de cinéma ! Un film africain ne peut avoir de carrière qu’en Europe ou ailleurs, et très peu en Afrique. Je pense que c’est les dirigeants africains qui sont fautifs car il n’y a pas de vraie politique culturelle de soutien au cinéma. Quelques pays commencent toutefois à le faire comme le Sénégal, le Burkina Fasso, le Mali et récemment la Côte d’Ivoire. Mais ça viendra avec le temps… »

C’est terrible ce que vous dites. D’un côté, on a envie de dire qu’heureusement il y a des financements européens pour qu’il y ait un cinéma africain qui vive. Mais d’un autre côté, c’est une forme de néo-colonialisme culturel…

« Je ne dirais pas du néo-colonialisme, mais plutôt du paternalisme. Un jeune Africain qui veut faire un film doit satisfaire aux exigences de son producteur français, de son distributeur et des guichets de financement qui sont soit français, ou américains… Il n’est donc pas libre de ses choix artistiques. Très souvent ces films manquent parfois un peu d’âme. Sauf quand on tombe sur des réalisateurs qui n’en font qu’à leur tête et qui arrivent à faire quelque chose de bien qui plaît. »

Revenons à votre théâtre. A Prague est présentée votre pièce Les jours se traînent, les nuits aussi. N’est-ce pas un peu étrange de voir une mise en scène tchèque de votre pièce, tant d’années après ?

Photo: Site officiel du festival Afrique en création
« Sans vouloir me mesurer à Samuel Beckett, je pense que s’il était encore là, il serait ravi de voir une nouvelle mise en scène d’En attendant Godot. Je pense qu’une fois que les pièces sont là, elles peuvent être jouées pendant des années ou des siècles. Je ne pense pas que ce soit qui m’arrive. En tout cas, je suis très content d’être là et de voir ma pièce écrite en français, jouée dans une langue que je ne pratique pas. »

En discutant avec Lucie Němečková, elle m’a dit que la musique était importante dans votre création…

« Dans la plupart de mes écrits, de mes pièces ou de mes films, il y a eu part importante pour la musique. Je pense parfois à la musique avant d’écrire, ou j’écris en écoutant de la musique. Dans cette pièce, il y a un personnage qui est musicien amateur. Il joue du saxophone. Pour moi ça rythme bien la pièce qu’il y est quelqu’un qui tâtonne. Il se pense grand saxophoniste mais ne l’est pas, mais il fait ses gammes. Dans la vie, en général, on essaye aussi des choses. Comme dirait l’autre : Dieu ne nous aime pas parce que nous y parvenons, mais parce que nous essayons. J’aime bien la musique pour ça parce qu’on essaye, on essaye, et soudain, on a atteint une harmonie. »