Leoš Janáček, le plus célèbre des enfants de Moravie-Silésie
Né dans le petit village de Hukvaldy, au pied des monts Beskides, et mort à Ostrava, le grand centre industriel de la région, le compositeur Leoš Janáček, dont les opéras sont joués dans les plus grands théâtres du monde entier, est indéniablement une des personnalités les plus marquantes originaires de Moravie-Silésie.
« Pour moi, c’est un personnage inimitable, inégalé, comme compositeur, comme homme, comme nature humaine. Il y a de bons côtés, très enthousiasmants, des côtés aussi un peu plus contestables, mais Janáček est un homme qui est d’une telle vérité qu’on veut le prendre comme modèle et qui peut servir de modèle surtout aux autres compositeurs. En France, on ne connaissait pas l’œuvre de Janáček il y a vingt ou vingt-cinq ans. Maintenant, de jeunes compositeurs s’intéressent à lui, parce qu’il a su garder, conserver, inventer sa propre personnalité et raison d’être. Et, justement, les jeunes créateurs d’aujourd'hui sont à la recherche de leur propre vérité. Voilà la leçon de Janáček : la vérité est en vous, travaillez avec elle ! »
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Ainsi s’enthousiasmait le musicologue et historien français Guy Erismann au micro de Radio Prague International en... 2007, quelques mois avant sa mort. Spécialiste de la musique tchèque, Guy Erismann a publié les biographies des plus grands compositeurs tchèques : d’Antonín Dvořák à Bedřích Smetana en passant par Bohuslav Martinů et, donc, Leoš Janáček. Un livre intitulé « Leoš Janáček ou la passion de la vérité », mais qui aurait aussi pu s’appeler « Janáček ou la passion de la Moravie et de la Silésie ».
Cette région située à la frontière de la Moravie et de la Silésie historique est devenue un centre d’extraction de charbon et de production d’acier pendant la révolution industrielle. Mais lorsque l’on cherche une personnalité qui en est originaire et qui est devenue célèbre au-delà des frontières de la région la plus à l’est de la Tchéquie, c’est dans un tout autre domaine qu’on la trouve. Leoš Janáček, né en 1854, est considéré comme l’un des compositeurs les plus marquants du XXe siècle.
Auteure d’un ouvrage intitulé « Janáček – Opéras, mode d’emploi », la musicologue et traductrice Marianne Frippiat s’est d’ailleurs installée en Tchéquie et a appris le tchèque, au début des années 2000, spécialement pour se rapprocher d’une œuvre longtemps resté mal connue, mais aussi d’un personnage qui la fascine et dont elle explique les origines profondément moraves :
« Sa vie commence dans le nord de la Moravie, dans le petit village de Hukvaldy, où il a passé son enfance et qui restera un havre de paix, un lieu de création dans ses dernières années. Il est le fils d’un instituteur, donc issu d’un milieu d’intellectuels. Son père est mort très tôt, donc Janáček a été confié à la fondation des Augustins, à Brno, où il a passé son enfance, sous la conduite d’un ancien élève de son père, Pavel Krížkovský. La fondation des Augustins se trouvait dans le monastère des Augustins. De cette époque, Janáček a développé une hantise pour tout ce qui est religieux. Dans sa vie d’adulte, il ne supportait plus tout souvenir du milieu monastique, il avait horreur de mettre le pied dans une église. Ce qui est important, c’est qu’à la fois dans son milieu familial et dans le monastère du vieux Brno, il a été plongé dans un milieu complètement patriote et russophile. Ce sont deux orientations qui ont marqué Janáček pendant toute sa vie. »
Plus encore peut-être qu’un compositeur tchèque, Leoš Janáček est d’abord un compositeur très attaché à ses origines moraves. Devenue célèbre principalement grâce aux opéras Jenůfa et Káťa Kabanová, aux œuvres orchestrales et vocales Messe glagolitique, Sinfonietta ou encore au poème symphonique Taras Bulba, l’œuvre de Janáček reflète les motifs folkloriques des régions moraves, notamment de la Slovaquie morave (Slovácko) et de la Lachie (Lašsko).
Professeur à l’Institut de musicologie de l’Université Masaryk de Brno, grand spécialiste de sa vie et de son œuvre, Jiří Zahrádka précise les raisons pour lesquelles Janáček n’a jamais été très attiré par Prague :
« Janáček a tout simplement trouvé sa femme à Brno, il vivait ici, il avait ses amis ici, il était occupé ici avec notamment son école d’orgue. Il n’était pas attiré par Prague pour de nombreuses raisons. Tout d’abord, il était le premier à Brno, ce qui n’aurait pas été le cas à Prague. De plus, Janáček s’est fait beaucoup d’ennemis à Prague, parce qu’il critiquait un peu l’œuvre lyrique de Bedřich Smetana, ce qui lui a d’ailleurs valu de nombreux problèmes ensuite. Il n’a donc jamais vraiment eu la volonté de percer à Prague. Il était très attaché à la Moravie. En 1904, quand on lui propose le poste de directeur du conservatoire de Varsovie, il refuse d’ailleurs. »
Si Janáček n’était donc pas spécialement attiré par Prague, l’inverse était vrai aussi. C’est ainsi qu’il fallut attendre 1916, soit douze ans après sa première à Brno, pour que Jenůfa (Její pastorkyňa, en tchèque), une de ses œuvres majeures, soit enfin présentée par le Théâtre national au public pragois. Pour un authentique triomphe ! Aujourd’hui joué dans sa version originale tchèque, ou plus précisément dans le dialecte de la Slovaquie morave, après que sa traduction en allemand a longtemps été préférée, Jenůfa fait désormais partie du répertoire des plus grands théâtres dans le monde. L’œuvre lyrique de Janáček est même devenue un des deux à trois opéras tchèques préférés dans le monde.
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Il y a quelques années, alors qu’il était directeur de l’Opéra national du Rhin à Strasbourg, qui mettait précisément Janáček à l’honneur, Marc Clémeur nous avait expliqué pourquoi il était si important, à ses yeux, de présenter les compositions de Janáček, longtemps restées ignorées hors des frontières de Bohême et de Moravie, dans leur version originale :
« Il a un langage musical qui n’est pas facile quand on sait qu’à la même époque il y avait encore Puccini et Strauss qui composaient. Deuxièmement, la langue tchèque a longtemps posé problème. En Allemagne, on a longtemps joué Janáček dans la traduction allemande de Max Brod. Mais moi, je pense que c’est une erreur de faire Janáček en traduction parce que la langue est tellement liée au langage musical, au rythme tchèque spécifique, qu’il faut le faire en tchèque. Mais aujourd’hui, avec les sur-titres, ce problème a disparu. »
Et c’est ainsi qu’au fil du temps Leoš Janáček est devenu l’un des compositeurs d’opéras parmi les plus marquants non seulement du XXe siècle mais plus généralement de toute l’histoire moderne.
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