Les Corps : l’histoire d’une mère qui se sent inutile

'Corps'

« L’amour maternel est le plus terrible de tous les sentiments », dit Marie, une veuve d’une soixantaine d’années, qui cherche désespérément à se faire aimer de sa fille et n’arrive pas à se résigner aux ravages que l’âge a infligé à son corps. Marie, une femme qui pense que la vieillesse entraîne inévitablement une perte de la dignité humaine, est la protagoniste du roman que son auteure Klára Vlasáková a intitulé Těla - Les Corps. Le roman est sorti aux éditions Listen. 

Vieille et mal-aimée

Photo illustrative: Anna Shvets,  Pexels

Sa peau ridée, ses chairs flasques découragent Marie. Elle n’aime pas se regarder dans la glace, ce témoin impassible de son vieillissement, elle n’aime pas toucher son corps qui la déçoit et lui fait honte. Elle se sent vieille, mal aimée et inutile. Elle aimerait tellement satisfaire sa fille Róza mais ses tentatives de rapprochement se heurtent presque toujours à des signes d’incompréhension et d’irritation. « -Maman, s’il te plaît...- Maman, pourquoi tu as fait ça ?! -Maman, quelle idée ! » Róza ne semble presque jamais être contente de sa mère. La romancière Klára Vlasáková explique pourquoi elle a créé Marie, cette femme qui désire être aimée et qui ne s’aime pas :

« Je voulais savoir quelles sont les possibilités d’émancipation de cette femme qui se sent invisible à cause de son âge, qui se sent inutile, qui dans ses rapports avec sa fille unique se sent assez dépréciée et qui a l’impression que même son amour pour sa fille est inutile. J’ai réfléchi sur tout cela pendant plusieurs années et l’écriture de ce livre m’a pris plus de deux ans. »

Klára Vlasáková | Photo: Jakub Pavlovský,  ČRo

La confrontation de deux vies

Photo illustrative: Elina Fairytale,  Pexels

Parallèlement à la vie de Marie, l’auteure nous raconte en contrepoint aussi l’histoire de Róza. Cette confrontation de deux vies, de deux attitudes permet à Klára Vlasáková de démontrer combien d’incompréhension, combien de malentendus peuvent exister dans les relations entre deux êtres même quand ils sont très proches. Elle démontre aussi combien peuvent être complexes, fragiles et sensibles les rapports au sein d’une famille, la relation entre une mère et sa fille. Ce n’est que la maternité de Róza qui pourra apporter peut-être une forme de détente et même une relance dans la relation entre Marie et Róza. Il est évident que les deux femmes subissent l’influence de la société, qu’elles cherchent à se conformer, à ne pas dépasser les normes, ce qui se reflète dans leurs vies et déforme leurs rapports. Klára Vlasáková constate :

Photo illustrative: Elina Fairytale,  Pexels

« Je pense qu’il s’agit d’un problème plus général, Nous n’aimons pas voir dans la société des gens qui n’obéissent pas à l’attente de ce qui est courant. Nous subissons donc une immense pression qui nous oblige à être jeunes, prospères, productifs, à être en pleine forme physiquement et psychiquement, ou au moins à être capables de masquer nos problèmes. Et nous préférons ignorer les gens qui ne sont pas conformes à ces critères. »

Une femme piégée dans l’impasse du vieillissement

Un des grands thèmes de ce livre est le vieillissement. Comme si nous entendions pendant tout le récit les questions qui ne sont pas posées mais qui sont toujours sous-jacentes : la vieillesse, doit-elle entraîner inévitablement une perte de la dignité humaine ? Et avons-nous le droit de vieillir ? Marie est une femme piégée dans l’impasse de son vieillissement, dans une société qui se veut jeune et énergique et ne veut pas voir son corps, dans une société où, comme elle le constate, les vieilles femmes deviennent invisibles. Pour Klára Vlasáková, Marie est donc une femme qui personnifie un problème général :

Photo illustrative: VANII,  Pexels

« Nous espérons tous vieillir avec grâce mais peu sont ceux qui réussiront à s’accommoder aux importants changements de leur corps. Cependant, je ne pense pas que ce soit seulement la question de la vieillesse parce que le corps humain change sans cesse aussi bien chez l’homme que chez la femme. Mais le problème chez Marie, c’est qu’elle se heurte toujours à un idéal, c’est-à-dire à l’idéal d’un corps qui ne change pas et qui reste toujours le même par une sorte de discrétion et de prévenance vis-à-vis des autres, ce qui est absurde. »

Ressembler à une image qui plait aux autres

Marie répond donc tout d’abord à l’attente de la société. Elle s’efface, elle travaille pour les autres, elle cherche sans grand succès à ressembler à l’image de mère qui pourrait plaire à sa fille. Elle garde les enfants des autres et devient une nounou aimée des enfants et appréciée des parents. Et pourtant le cœur n’y est pas et elle ressent toujours un certain manque. Elle se rend compte qu’elle fait tout cela pour plaire aux autres et non pas pour répondre à son aspiration profonde qu’elle ne sait même pas définir. Klára Vlasáková cherche dans son roman les racines de cette insatisfaction :

Photo illustrative: Kampus Production,  Pexels

« Je voulais surtout connaître Marie plus profondément et chercher derrière sa facette de femme qui soigne et écoute les autres, ce qui est apprécié par son entourage, les aspects plus problématiques et moins positifs et de révéler ce qu’elle pense vraiment. Je suis aussi lectrice et spectatrice et il me manque dans la littérature et dans les médias des personnages féminins plus complexes de cette catégorie d’âge et dont nous saurions plus de choses, pas seulement quelles sont leurs relations avec le héros ou l’héroïne d’un récit. »

Les besoins complexes du troisième âge

Un jour une famille propose à Marie de garder et de soigner un vieil homme et c’est un tournant dans sa vie. Face à ce vieillard guetté par la démence, elle se sent soudain non seulement utile, mais cette nouvelle utilité lui apporte aussi une profonde satisfaction. C’est avec beaucoup de patience qu’elle soigne cet homme qui n’est pas toujours en pleine possession de ses facultés mentales mais qui n’en est pas moins un être sensible ayant besoin de chaleur humaine. Elle s’occupe de lui en étant attentive à ses besoins psychiques et physiques – et même à sa sexualité. Ainsi Klára Vlasáková aborde un sujet délicat et souvent tabou dans la société actuelle. Elle déplore que les rapports sentimentaux et érotiques entre les personnes âgées soient souvent présentés dans la littérature et aussi au cinéma comme bizarres et risibles :

Photo illustrative: Vlada Karpovich,  Pexels

« Notre approche des formes et des manifestations de l’amour est sans doute liée avec l’importance que nous attribuons à différentes étapes de la vie. Nous donnons peu d’importance aux amours enfantines et c’est pareil quand il s’agit des personnes âgées parce qu’il nous semble que ce sont des gens qui ont déjà dépassé l’étape des sentiments et de l’érotisme. Mais les grands sentiments, les amours et les amitiés peuvent survenir à n’importe quelle étape de la vie, ce qui est excellent. »

C’est donc en soignant des hommes et des femmes âgés que Marie, cette mère qui se sentait invisible et inutile, fait un premier pas pour s’assumer. Désormais, elle n’est plus utile qu’aux autres mais aussi à elle-même car elle a trouvé la force d’obéir à son impulsion intérieure.

Auteur: Václav Richter
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