Les mauvaises habitudes des Tchèques rassemblées dans une collection nationale

Gregor Johann Mendel n’est pas que le père fondateur de la génétique : c’était aussi un fumeur invétéré. Cette mauvaise habitude est le point de départ de la « Collection nationale des mauvaises habitudes » lancée par l’artiste Kateřina Šedá. 

Kateřina Šedá | Photo: Tomáš Vodňanský,  ČRo

« J’arrive toujours en avance », « Je m’épile les sourcils sans miroir », « Je vérifie trois fois que le gaz est bien éteint » : ce ne sont que quelques-unes des 5560 petites manies recensées à ce jour sur le site Internet de la Collection nationale de mauvaises habitudes récemment ouverte par l’artiste tchèque Kateřina Šedá. Un projet qui a vu le jour à l’occasion de l’anniversaire de la naissance de Gregor Johann Mendel, comme l’explique l’artiste :

Mendel youtubeur, footballeur ou acteur ?

Gregor Johann Mendel | Photo: Wikimedia Commons,  public domain

« A l’occasion des 200 ans de la naissance du père de la génétique Gregor Johann Mendel, on m’a proposé de créer un projet visant à le présenter au public. J’ai fait des recherches de terrain et dans les écoles, et j’ai réalisé qu’il était vraiment très peu connu, et que beaucoup d’élèves pensaient par exemple qu’il s’agissait d’un youtubeur, d’un joueur de foot ou encore d’un acteur ! J’ai donc cherché une passerelle pour réussir à le faire connaître du plus grand nombre, tous âges et toutes origines sociales confondus. J’ai réfléchi à notre expérience de la génétique au quotidien ; il se trouve que les mauvaises habitudes sont vraiment quelque chose du quotidien ; sans cesse on nous rappelle de qui nous les tenons, ou bien on nous demande d’où nous les tenons. »

Mendel chercheur et… gros fumeur

« Par ailleurs, Mendel n’était pas seulement un grand scientifique : c’était aussi un gros fumeur. Cette mauvaise habitude m’est apparue comme une bonne voie pour le présenter au public. »

Photo: Archive de Kateřina Šedá

Fumeur invétéré, donc, Mendel est né en 1822 à Hynčice et mort à Brno en 1884. Biologiste, généticien, apiculteur, mathématicien, botaniste et naturaliste, ce moine catholique de langue allemande est surtout reconnu pour sa découverte des lois de l’hérédité. Dans les locaux de l’abbaye augustinienne de Brno, il avait installé un laboratoire à ciel ouvert, où il a étudié l’hybridation de différentes espèces, dont les petits pois. Ses recherches lui ont permis de définir la manière dont les gènes se transforment de génération en génération.

Photo: J.G. Mendel,  OSA  (1822-2022)

« Mais Mendel était avant tout un homme, avec ses vertus et ses vices », rappelle le site de la Collection nationale des mauvaises habitudes, avant d’ajouter : « Tant qu’il y a aura des êtres humains, il y a aura des mauvaises habitudes, car elles font partie de notre ADN ». Cadeau d’anniversaire au père de la génétique, donc, cette collection de mauvaises habitudes classées dans quatre catégories : « Ma mauvaise habitude », « Mauvaise habitude de quelqu’un d’autre », « Mauvaise habitude familiale », et aussi… « Mauvaise habitude nationale ». Kateřina Šedá :

« A l’origine, je n’avais pas du tout prévu cette catégorie, mais je l’ai ajoutée parce qu’il s’est avéré que les gens enregistraient dans la catégorie ‘Mauvaise habitude de quelqu’un d’autre’ des mauvaises habitudes qui ne se rapportaient pas à un individu concret, mais à toute la nation tchèque. Comme s’ils avaient besoin de dire ‘Nous tous, nous faisons ceci ou cela’. »

« Des chaussettes Nike dans des baskets Adidas »

Photo: Miloš Turek,  Radio Prague Int.

« Au début, ce sont les choses bien connues qui y sont apparues, comme par exemple ‘les Tchèques pensent être les meilleurs au monde en tout’ et des clichés de ce genre. Mais l’une des mauvaises habitudes les plus récurrentes est celle des chaussettes Nike dans des chaussures Adidas, c’est-à-dire l’association de différentes marques. Ou encore le fait de rapporter des pierres de l’étranger, ou ce genre de choses que nous connaissons tous sans pour autant réaliser qu’il s’agit d’une mauvaise habitude. »

« C’est ce qui est le plus étonnant à propos de cette collection : les gens ont l’impression qu’il s’agit tout simplement d’habitudes, voire de bonnes habitudes. Mais à partir du moment où ils commencent à y penser, à réfléchir à ce que cette habitude provoque sur eux-mêmes ou les autres, ils réalisent qu’il s’agit d’une mauvaise habitude. »

La Collection nationale des mauvaises habitudes définit ce type de vices de la façon suivante :

« Une mauvaise habitude est le comportement d’une personne ou d’un groupe de personnes qui se répète constamment et qui dérange les autres. Ce que certaines personnes considèrent comme des mauvaises habitudes peuvent être vues comme de bonnes habitudes par d’autres. C’est par exemple le cas de la fréquence du ménage à la maison. »

Chocolat noir et absence d’autocritique

Photo: Archive de Kateřina Šedá

Ne pas pouvoir s’empêcher de ramasser les choses derrière les autres, c’est d’ailleurs une des mauvaises habitudes avouées de l’autrice du projet, Kateřina Šedá. Tout sauf moralisatrice, elle liste humblement plus de 30 de ses mauvaises habitudes sur le site de la collection nationale. Elle y avoue donc aussi « manger du chocolat le soir » ou encore « ne pas faire preuve d’autocritique ».

Réputée à l’international pour avoir exposé en 2011 à la Tate Modern Gallery de Londres, en République tchèque, on connaît Kateřina Šedá pour ses projets à la frontière de l’art et de l’activisme social. En 2018, elle avait par exemple recruté des familles pour vivre à Český Krumlov, destination touristique tchèque par excellence, pour rendre la ville plus authentique et plus animée. Entre autres projets « d’architecture sociale », elle a également rédigé un guide touristique à propos d’un quartier difficile de Brno.

Tableau de Mendel des mauvaises habitudes

Photo: Archive de Kateřina Šedá

Quant à son projet le plus récent, s’il est intitulé « collection nationale », il n’est pas limité aux Tchèques : les étrangers ayant un lien avec le pays peuvent également y contribuer en enregistrant leurs petites ou grosses mauvaises habitudes, honteuses ou avouées. Mais au final, à quoi va servir cette collecte amusante, dont on peut consulter quelques morceaux choisis sur le site ? Kateřina Šedá :

« Je prévoyais à l’origine que ce projet dure un an, mais pour l’instant, je laisse la collection ouverte. Plusieurs dates clés sont à venir : à l’automne, une première classification, avec comme objectif 10 000 mauvaises habitudes enregistrées. Elles seront ensuite classées sous forme d’un tableau qui s’appellera ‘tableau de Mendel des mauvaises habitudes’. Il s’agirait de trouver une façon de les classer, pas seulement d’un point de vue génétique, à savoir de qui on a hérité de cette mauvaise habitude, mais en prenant également en compte, par exemple, le lieu ou encore l’âge à laquelle cette mauvaise habitude a commencé à se manifester. Et c’est sur cette base que nous travaillerons ensuite de façon à ce que les participants à la collection puissent se rencontrer au festival de Mendel [qui a lieu tous les étés à Brno, ndlr] l’an prochain. Pour résumer, mon objectif n’est pas uniquement de recenser et de publier une collection de mauvaises habitudes, mais également de parvenir à une rencontre en personne de ceux qui ont ces mauvaises habitudes. »

Photo: Národní sbírka zlozvyků

Lion à double queue... et à portable

Logo de cette collection originale, le lion à double queue du blason de la République tchèque, avec une spécificité toutefois : il tient entre ses pattes un téléphone portable, illustrant ainsi une des mauvaises habitudes fréquemment citée par les contributeurs à la collection : « Je suis tout le temps sur mon portable ».