Les professeurs de tchèque en France, un monde à part à découvrir...

Ambassade tchèque de Paris, photo: auteur
0:00
/
0:00

Aujourd'hui, Culture sans frontières nous conduira à Paris, plus précisément à l'ambassade tchèque où s'est tenue, le 17 septembre, une première rencontre de professeurs de tchèque en France. Ce séminaire était consacré à leurs problèmes pédagogiques et didactiques. Trois d'entre eux, un linguiste, une historienne et un professeur de littérature vous parleront de leur travail, des motivations de leurs étudiants à apprendre le tchèque, ainsi que de leur propre parcours de vie.

Ambassade tchèque de Paris,  photo: auteur
Martin Petras, un ancien exilé tchécoslovaque, est professeur à l'université de Lille, un des nombreux établissements d'enseignement supérieur en France qui propose à ses étudiants des cours de tchèque.

« A Paris, le tchèque est enseigné comme 'formation complète' à la Sorbonne et à l'INALCO (Institut National des Langues et Civilisations Orientales), tandis que dans les universités régionales, le tchèque n'est qu'une langue d'option. L'avantage, c'est que les étudiants sont motivés, le désavantage, c'est que l'enseignement ne peut pas être suffisamment approfondi. »

Qu'est-ce qui pousse les jeunes Lillois à apprendre le tchèque ? Martin Petras:

« Leurs motivations sont diverses... Il s'agit de linguistes qui étudient plusieurs langues, ou alors de politologues et historiens. Il y a maintenant un grand intérêt pour le tchèque de la part des politologues lillois, nous collaborons avec l'Institut des études politiques. Et puis, il y a des étudiants qui choisissent le tchèque pour des raisons personnelles, affectives - c'est ce que l'on a appelé, lors de ce séminaire à Paris, 'des partenariats tendres'. »

Dans la plus belle salle de l'ambassade, au cour d'un apéritif qui a clôturé le séminaire, Marie-Elisabeth Ducreux s'est mise à me parler, dans un tchèque parfait, de ses attaches personnelles et professionnelles à Prague. Enfin, nous sommes quand même passées au français...

Paris
« Au départ, je suis historienne et je me suis spécialisée au moment de ma thèse sur l'histoire de la Bohême. J'avais appris le tchèque, parce que j'avais été extrêmement frappée par les événements de 1968. J'étais très jeune, mais ça m'avait beaucoup marquée. J'ai donc appris le tchèque, ce qui était d'ailleurs complètement déconnecté de mes études. Mais au moment de choisir un sujet de thèse, j'ai pensé qu'il fallait combiner les deux. Je l'ai fait et depuis, je suis donc historienne de la Bohême. Par la suite, j'ai élargi mes intérêts à l'Europe centrale toute entière, mais mes travaux personnels sont toujours nourris par l'histoire tchèque. »

Quelles sont les périodes de l'histoire tchèque auxquelles vous vous intéressez en particulier ?

« Quand on est historienne de la Bohême en France, on est obligé de tout enseigner, de parler de tout, ce qui n'est pas très agréable, parce que on atteint vite son niveau d'incompétence. Donc on m'a souvent demandé d'intervenir sur des problèmes contemporains, sur les nationalistes, les identités etc. Mais mon propre domaine, c'est l'histoire de la formation de l'Etat habsbourgeois et en particulier les problèmes de la recatholicisation, la question de la monarchie confessionnelle au XVIIe siècle... »

Vous donnez des cours d'histoire d'Europe centrale à l'Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris...

« Jusqu'à cette année, notre école ne prenait que des étudiants en doctorat ou en DEA, mais maintenant, on commence avec un enseignement de master, donc de quatrième année. Certains de mes étudiants sont très attirés par l'histoire de l'Europe centrale, mais la plupart du temps, ils ne sont pas suffisamment formés... Donc il faut trouver un moyen pour leur transmettre un enseignement en contournant le fait que beaucoup d'entre eux n'ont pas réellement la formation nécessaire pour pouvoir se consacrer à une recherche pointue dans ce domaine. » Marie-Elisabeth Ducreux a créé, en 1991, à Prague, le très actif Centre français de recherche en sciences sociales (CEFRES).

« Je viens très souvent à Prague, parce que le ministère tchèque de l'Education nationale m'a nommée en 1997 membre d0une commission d'accréditation d'enseignement supérieur. Je viens souvent pour des réunions et j'en profite pour suivre l'actualité, voir ce qui est paru en livre, rencontrer mes collègues tchèques et travailler aux archives. »

Après l'histoire et les recherches sociales, place à la littérature tchèque, enseignée à l'université de la Sorbonne par Xavier Galmiche. On l'écoute.

« Je suis tombé dans la soupe centre-européenne par hasard. J'ai eu la chance de pouvoir faire le service militaire ou plutôt le service civil à Prague en 1985-1986. »

Ce n'est pas tout à fait courant...

« Si, à l'époque on pouvait faire le service civil dans les services diplomatiques. On pouvait aller dans des pays communistes et c'est ce qui m'a un peu attiré. »

Ne me dites pas que ce séjour vous a fait tomber amoureux du pays !

« Non, c'était horrible (rires)! C'était tellement horrible que c'était intéressant. C'était tellement pervers comme système sur un substrat culturel qui était évidemment formidable... On oublie ça, mais le spectacle de la Tchécoslovaquie socialiste, c'était très émouvant, parce qu'on voyait que ça avait été beau et que c'était en train de disparaître. Pour un esprit décadent, ça marche. Et puis, j'ai mis très longtemps à comprendre que ce qui manquait, c'était le multiculturalisme en Tchécoslovaquie, ce pays homogène... »

Vous enseignez la littérature tchèque, combien d'étudiants avez-vous ?

« Peu. »

Comment ça se fait ?

« Ce n'est pas que les étudiants ne soient pas-là, mais la tendance des études contemporaines est de faire du pratique et du professionnel. Donc les étudiants désertent les cours de culture, au profit du commerce et de la gestion. C'est une tendance de fond, contre laquelle je suis impuissant. Je peux dire quand même que la littérature reste l'une des belles motivations de certains Français pour apprendre le tchèque. Je dois dire aussi, pour être tout à fait juste, que j'ai fondé un Centre de recherche sur les cultures centre-européennes, pour retrouver cette espèce de profondeur transnationale et transculturelle. Et c'est formidable, ça marche bien. »

Vous venez de temps en temps à Prague ?

« Dès que je peux, je suis en République tchèque, mais je suis le moins possible à Prague. Il y a beaucoup de magnifiques trous perdus en Bohême... »

Auteur: Magdalena Segertová
lancer la lecture