Les Tchécoslovaques dans la bataille de Tobrouk

Tobrouk

Il y a 72 ans, le 10 décembre 1941, le siège de Tobrouk a pris fin. Un chapitre moins connu de l'histoire tchèque, c'est la participation du 11e régiment d'infanterie tchécoslovaque à la défense de cette ville portuaire de l'est de la côte libyenne durant la Seconde Guerre mondiale. Le régiment tchécoslovaque comptant 643 hommes a été inclus dans le dispositif des unités britanniques et australiennes défendant le port assiégé par les forces italo-allemandes. Pour certains historiens, Tobrouk était la plus importante campagne militaire de nos soldats au Proche-Orient et en Afrique du nord au cours de la Seconde Guerre mondiale.

Tobrouk
Au début de la Seconde Guerre mondiale, Tobrouk devient un enjeu stratégique, vu la proximité de la frontière entre la Libye, alors colonie italienne, et l'Egypte où se trouvaient de nombreuses troupes britanniques, protégeant le canal de Suez. Le siège de Tobrouk débute le 11 avril 1941 par les attaques des forces italo-allemandes du général Erwin Rommel et se poursuit pendant 240 jours. En automne 1941, le 11e régiment d'infanterie tchécoslovaque commandé par le lieutenant-colonel Karel Klapálek vient renforcer les unités britanniques et australiennes défendant le port. Arrivé à bord de contre-torpilleurs australiens, le régiment débarque à Tobrouk le 21 octobre 1941. Jusqu'au 10 décembre, les soldats tchécoslovaques au nombre de 643 défendront un secteur long de six kilomètres du périmètre défensif autour de la ville, qui atteint au total 50 kilomètres, avec des fossés antichars, des ouvrages bétonnés et des champs de mines. Un souvenir est fourni par le commandant Klapálek, grâce aux archives sonores de la Radio tchèque qui ont conservé sa voix :

« Nos soldats sont partis du port d'Alexandie vers la forteresse de Tobrouk assiégée de tous les côtés par les forces italo-allemandes, à une exception près : la mer. Arrivés en deux étapes, à bord de contre-torpilleurs australiens, les soldats ont dû débarquer en vitesse, entre deux raids aériens car le port était bombardé jour et nuit. »

On a appelé « les rats du désert », les soldats qui ont tenu obstinément la ville assiégée pendant huit mois, entre le 11 avril et le 10 décembre 1941. Karel Klapálek se souvient des conditions extrêmement dures de la guerre du désert :

« Les rations d'eau ont été limitées à quatre litres par jour par personne. Lorsque nous y sommes arrivés, les canons antichars faisaient défaut. La seule solution était de ramasser des épaves sur le champ de bataille. En quelques jours, nous avons réussi à composer avec deux ou trois canons brisés un nouvel appareil qui a assez bien marché. »

Tomáš Jakl,  photo: Alžběta Švarcová,  ČRo
Le 11e régiment d'infanterie tchécoslovaque a été formé de soldats fuyant le protectorat de Bohême-Moravie pour rejoindre l'armée tchécoslovaque étrangère. Via la Turquie et le Proche-Orient, les soldats ont voulu arriver jusqu'en France, mais ils sont restés coincés en Syrie et sur le territoire britannique de la Palestine, où le régiment tchécoslovaque commençait à se former, en été 1940, ainsi que le raconte l'historien Tomáš Jakl, de l'Institut d'histoire militaire :

« Tout d'abord, ils se dirigent vers la France où naissent les germes de la future division tchécoslovaque. Or après la défaite française en 1940, les soldats qui n’avaient pas réussi à rejoindre la France, ont été coupés de la division tchécoslovaque qui, entre-temps, a été évacuée en Grande-Bretagne. A ce moment même, on ignorait si le commandement français au Levant allait rester avec de Gaulle. Compte tenu de ces faits, le consul tchécoslovaque en Palestine a convenu avec les Britanniques de l'évacuation de nos recrues en Palestine et c'est ici qu'un régiment tchécoslovaque au Proche-Orient commençait à se former. »

Les Tchécoslovaques dans la bataille de Tobrouk,  photo: Free Domain
Le régiment livre ses premiers combats en Syrie. Paradoxalement, c'est la Légion Etrangère française fidèle au régime de Vichy qui est la première unité affrontée par les Tchécoslovaques. Et la première grenade tirée contre leurs positions vient d'un artilleur tchèque au service de cette légion. Ceci dit, Tomáš Jakl détaille les circonstances de la formation du 11e régiment tchécoslovaque :

« La genèse de cette formation est relativement longue, vu les conditions géographiques et géopolitiques dans lesquelles le régiment était né. Les Tchécoslovaques partis en France ont d'abord formé le 4e régiment d'infanterie qui faisait partie de notre division en France. Néanmoins, de plus en plus de volontaires du Protectorat affluaient au Proche-Orient. Parmi eux, des refugiés juifs et des Tchécoslovaques installés en Israël. Plus tard, le contingent tchécoslovaque au Proche-Orient a été renforcé d'anciens combattants de la légion tchécoslovaque engagée dans la campagne polonaise et internés en Union soviétique. Ainsi donc, en automne 1940, le 4e régiment d'infanterie est remanié en un régiment de combat qui s'appellera dorénavant le 11e régiment d'infanterie, afin de le distinguer des dix autres bataillons tchécoslovaques formés en Grande-Bretagne. »

Un cimetière militaire de Tobrouk,  photo: gordontour,  CC BY-NC-ND 2.0
Les soldats tchécoslovaques au Proche-Orient ont été jour et nuit confrontés à toutes sortes de dangers : tirs de mortier et mitraillades intenses, raids d'avions ennemis et champs de mines, tout particulièrement dangereux pour les gardes de nuit. On écoute Tomáš Jakl :

« Les mines terrestres étaient omniprésentes à Tobrouk. Des examens effectués à la fin des cours pour tankistes consistaient à nettoyer un terrain de mines. Ceux qui y sont parvenus ont réussi les examens, ceux qui ont fait déclencher les mines par le passage involontaire du char n'ont pas passé... »

La bataille de Tobrouk | Photo: public domain
A la fin du siège de Tobrouk, le régiment tchécoslovaque déploraient plus de 80 blessés grièvement et 15 morts. Les soldats qui ont laissé leur vie sont inhumés au cimetière tchèque de Tobrouk, qui comporte aussi des cimetières militaires français, britannique, allemand, australien et polonais.

Pour Tomáš Jakl, la bataille de Tobrouk a été la première opération étrangère de nos soldats digne d'estime. Avant cela, deux régiments d'infanterie ont été engagés dès le mois de juin 1940 dans la bataille de France. Un total de près de 50 000 combattants tchécoslovaques ont servi pendant la Seconde Guerre mondiale aux côtés des forces alliées. Les soldats tchécoslovaques débarqueront en Normandie, et s’engageront dans la bataille de Dunkerque. 2200 pilotes, dont certains se sont illustrés dans la bataille de France, intègreront la Royal Air Force britannique.

La guerre terminée, les combattants de Tobrouk, de même que ceux des fronts ouest, ont connu les persécutions, les prisons communistes et les condamnations à mort. Beaucoup de soldats ont émigré, beaucoup ont dû quitter l'armée.

Après un long silence qui a régné sur l'engagement des Tchécoslovaques à Tobrouk, un film de guerre « Tobrouk » de Václav Marhoul sorti en 2008 retrace la fameuse bataille en se focalisant sur les destins de quelques soldats devant confronter leur courage aux dures réalités du désert africain.