L’état d’urgence est mort, vive l’état d’urgence !

Andrej Babiš, photo: ČTK/Vít Šimánek

Malgré le refus, jeudi dernier, de la Chambre des députés, l’état d’urgence, qui devait s’achever dimanche, a bien été prolongé de quatorze jours supplémentaires. Confrontés à une situation sanitaire qui ne s’améliore pas, le gouvernement et les présidents des régions ont trouvé un accord permettant la poursuite de l’application de la majorité des mesures de restriction jusqu’au 28 février.

En République tchèque, comme ailleurs en Europe, nombreux sont les parlementaires, très partagés à droite comme à gauche, à dénoncer une forme de banalisation de l’état d’urgence. La majorité d’entre eux critiquent le recours, abusif à leurs yeux, à ce régime particulier qui, en des circonstances exceptionnelles, doit permettre au gouvernement de répondre avec promptitude à un danger qui menace le pays, en évitant de longues procédures parlementaires. Sauf que, au fil de ses reconductions, c’est précisément son caractère exceptionnel que cette mesure a fini par perdre.

Pourtant, à en croire le Premier ministre Andrej Babiš lors de la conférence de presse qu'il a donnée dimanche, le maintien de cet état d’urgence, en vigueur ce lundi en République tchèque pour le 133e jour consécutif, demeure, encore et toujours, une nécessité quasi absolue :

« La situation n’est pas bonne. Le variant britannique du Covid très contagieux se propage en Tchéquie, et nous voyons qu’il en est de même en Autriche avec le variant sud-africain, et même avec un variant brésilien au Portugal, ce qui est une souche du virus encore plus agressive. La fin de l’état d’urgence aurait signifié lâcher du lest, la levée de la plupart des mesures, et c’est là quelque chose que nous ne pouvons pas nous permettre dans l’état actuel. Je regrette que nous ne soyons pas parvenus à trouver un terrain d’entente à la Chambre des députés, mais j’ai déjà lancé une invitation aux présidents des partis de l’opposition pour que, dès ce mardi, nous nous retrouvions pour reprendre les négociations que nous n’avons malheureusement pas réussi à mener à bien la semaine dernière. »

Une manifestation,  photo: ČTK/Michaela Říhová

Comprenez par là que les deux semaines supplémentaires à venir ne constituent rien de plus qu’un court répit. Aucun indicateur ne laissant augurer une amélioration de la situation sanitaire dans les semaines à venir, il convient dès à présent pour le gouvernement de remettre l’ouvrage sur le métier dans l’optique, déjà, d’une énième reconduction de cet état d’urgence. Dans l’idéal de trente jours supplémentaires, sinon au moins jusqu’à la mi-mars. D’ici-là, à charge pour le gouvernement de penser un nouveau cadre législatif, un projet de loi dite « pandémique », qui permettra de gérer la crise sanitaire sans plus avoir à recourir à l’état d’urgence.

En attendant, Andrej Babiš, chaque jour un peu plus critiqué pour sa gestion jugée chaotique de la crise, est parvenu à ses fins dimanche, au bout de trois jours d’intenses négociations avec les présidents des régions :

« Je suis heureux que le bon sens ait prévalu sur les petits jeux politiques dont nous avons été les témoins à la Chambre des députés. Je tiens donc à remercier tous les présidents de régions qui ont compris qu’il était important que nous coopérions et que nous fassions le maximum pour protéger les vies de nos concitoyens. »

Réunis en une association nationale, les présidents des treize régions qui composent la République tchèque, auxquelles il convient d’ajouter Prague comme quatorzième région indépendante, ont estimé, eux aussi, que le maintien des mesures de restriction, qui ont été rétablies à la fin du mois de décembre, restait une nécessité dans l’état actuel des choses.

Photo: ČTK/Slavomír Kubeš

En Bohême du Nord et de l’Est notamment, où trois districts font l’objet de certaines interdictions de déplacement depuis vendredi dernier, la rapide diffusion du variant britannique du virus et l’engorgement des hôpitaux sont des sources de profondes inquiétudes.

Celles-ci ont d’ailleurs conduit l’Allemagne voisine à fermer hermétiquement ses frontières et à ne plus autoriser aucune entrée sur son territoire en provenance d’une République tchèque considérée comme un pays à très haut risque. Seuls les travailleurs transfrontaliers dont les professions sont considérées comme stratégiques par les autorités allemandes, font figure d’exception.

Mais puisque reconduire l’état d’urgence à l’échelle nationale n’était plus possible en raison du refus des députés, c’était donc aux régions qu’il appartenait de faire la demande de son renouvellement auprès du gouvernement, cette fois à l’échelle locale. C’est ce qui a finalement été fait, comme s’en félicitait Martin Kuba, président de l’Association des régions et président de la région de la Bohême du Sud :

Martin Kuba,  photo: Archives d’ODS,  CC BY 2.0

« On peut considérer que, dans la mesure du possible, les négociations ont été fructueuses. Ce qu’il est important de souligner, c’est que toutes les régions ont fait preuve de solidarité. Nous ne voulions pas d’un pays à deux vitesses. La fin de l’état d’urgence dans certaines régions aurait permis la réouverture des commerces et des services, la levée des restrictions, alors que d’autres régions sont confrontées à une situation sanitaire très préoccupante. Nous avons donc convenu de demander à ce que l’état d’urgence soit reconduit dans chaque région sans exception. Ce n’était pas une évidence, car les présidents des régions, du mouvement ANO jusqu’aux Pirates, représentent tous différents partis politiques, ce qui était très problématique. »

Une manifestation,  photo: ČTK/Václav Šálek

Avant de satisfaire le gouvernement, les régions ont néanmoins posé leurs conditions. Parmi les principales d'entre elles figure la réouverture progressive des écoles à compter du 1er mars, alors que certains élèves en République tchèque ont déjà passé les deux tiers de l’année écoulée (depuis mars 2020) loin de leurs bancs et en mode d’enseignement distanciel. Une triste réalité qui a conduit l’hebdomadaire Respekt à publier en une de son numéro de cette semaine une photo d’un jeune garçon chez lui avec le titre « Ce qu’en disent les enfants »... Sachez donc qu’ils en pensent et en disent bien des choses et que beaucoup en ont, eux aussi, toujours un peu plus gros sur le cœur.