L’héroïsme au quotidien des éditeurs de samizdat

L'exposition Samizdat - la force créatrice de la résistance, photo: Bibliothèque nationale

Samizdat, mot étranger qui a été adopté par beaucoup de langues, exprime une riche activité qui a été d’une importance vitale pour la culture et la politique de nombreux pays souffrant sous des régimes arbitraires. Ce sont les textes publiés en samizdat, c’est-à-dire loin de l’œil vigilant de la censure et souvent dans la clandestinité, qui apportaient un souffle de liberté et de courage aux gens coupés d’informations et livrés à la propagande officielle du pouvoir totalitaire. Une exposition intitulée « Samizdat – la force créatrice de la résistance », que les Pragois peuvent voir ces jours-ci à la Bibliothèque nationale, présente de nombreux aspects de ce phénomène salutaire pour la survie de l’esprit indépendant.

La revue Vokno,  photo: Site officiel de VONS
En Tchécoslovaquie, les livres et périodiques publiés en samizdat, souvent dans des conditions tout à fait rudimentaires, sont devenus une partie importante de la culture non officielle et les germes du renouveau politique et spirituel du pays. Commissaire de l’exposition, Petr Pospíchal explique l’origine du mot qui apparaît dans le contexte tchèque après l’occupation de la Tchécoslovaquie par l’armée soviétique en 1968, au début de la période entrée dans l’histoire comme celle de la « normalisation » :

« Samizdat est à l'origine un mot russe qui signifiait ' publier par soi-même '. Cela voulait dire publier un texte, même si ce n'était pas possible officiellement, ce qui avait une longue tradition en Russie, mais le mot est si joliment slave qu'il a été très facilement adopté dans le milieu tchèque ainsi qu’ailleurs. Il a donc été utilisé pour ce genre de littérature déjà, si ma mémoire ne me trompe pas, dans les années 1970. »

La tradition du samizdat est cependant beaucoup plus ancienne et il faut situer ses débuts en Russie dans la période de la révolution bolchévique. Le mot samizdat n’y apparaît cependant que dans les années 1950, bientôt repris et utilisé aussi dans les pays occidentaux pour désigner la production littéraire qui ne peut être publiée officiellement et dont les auteurs recopient leurs textes à la machine à écrire. Petr Pospíchal constate que ce genre de littérature clandestine existait déjà à cette époque-là aussi en Tchécoslovaquie :

L'exposition Samizdat - la force créatrice de la résistance,  photo: Bibliothèque nationale
« Des textes ont été publiés de cette façon dès les années 1950, pendant la guerre et même dans les périodes antérieures. Mais dans la forme telle que nous la connaissons, dans une telle ampleur et avec une telle richesse d' informations, ce sont les années1970 et 1980 qui sont les plus typiques pour ce phénomène, et c'est donc surtout la création de cette période que notre exposition cherche à présenter dans toute son étendue. »

Au début des années 1970, à la suite de l’introduction d’une censure sévère dans la politique et dans la culture tchécoslovaques, les gens commencent à ressentir le manque d’informations libres. Le samizdat prend alors une ampleur considérable malgré les représailles par lesquelles le régime cherche à punir tous ceux qui osent braver l’interdiction. La création de périodiques non officiels est une réaction à la censure omniprésente, à la chasse aux journalistes et écrivains indépendants et au bannissement de milliers de personnes en marge de la société. Parmi les éditeurs de samizdat figurent en premier lieu des écrivains et journalistes interdits de publication, mais aussi d’anciens hommes politiques et membres expulsés du Parti communiste qui refusent d’être inactifs et se lancent dans la dissidence. Le troisième groupe est formé par les membres de diverses Eglises qui désirent s’exprimer librement, ce qui est impossible dans la presse officielle. A partir de la moitié des années 1970, ces trois groupes commencent à coopérer, à fusionner et à former un seul mouvement de résistance contre l’arbitraire.

L'exposition Samizdat - la force créatrice de la résistance,  photo: Bibliothèque nationale
Après le lancement de la Charte 77, document par lequel les intellectuels réunis autour du philosophe Jan Patočka et du dramaturge Václav Havel, appellent le régime à respecter les droits de l’homme et à honorer ses engagements internationaux, le samizdat devient un lien entre les divers organismes de la dissidence et un moyen d’information sur les représailles auxquelles les dissidents sont exposés. Malgré l’oppression sévère, malgré la vigilance de la police politique, la tristement célèbre STB, les années 1970 et 1980 deviennent donc l’âge d’or du samizdat. Petr Pospíchal présente les principaux périodiques non officiels de ces années difficiles :

Ludvík Vaculík,  Český snář,  photo: Slovník české literatury
« Les périodiques les plus importants qui paraissaient dans le milieu dont nous parlons, c'étaient des revues de genre littéraire, comme par exemple ‘Kritický sbornik’ ( Le Recueil critique), dont le tirage était cependant assez restreint, ou bien la revue d’underground ‘Vokno’ (Fenêtre), qui jouissait d'une certaine influence parmi les jeunes. A Prague sortaient aussi des revues plus épaisses, trimestrielles, comme ‘Revolver revue’. D'autres magazines de ce genre paraissaient à Brno, et à partir de la seconde moitié des années 1980 dans d'autres villes tchèques et même en Slovaquie. En ce qui concerne les livres, c’est sans doute la collection de l'écrivain Ludvík Vaculík ‘Edice petlice’ (Editions Verrou) qui a été la plus importante. Dans son cadre ont été publiés quelque trois cents livres notamment d'auteurs tchèques et slovaques. »

Photo: ČT24
Parmi les auteurs figurant dans cette collection, il y a entre autres le prix Nobel de la Littérature Jaroslav Seifert, Václav Havel, Bohumil Hrabal, Ivan Klíma, Pavel Kohout, Jiří Kolář et Jan Vladislav. De même, Olga Havlová, épouse de Václav Havel, lance la collection « Edice expedice » pour faire paraître des textes d’auteurs interdits de publication. Le samizdat ne se limite pas seulement aux textes. Certains livres sont illustrés, ornés de gravures, et leur présentation est d’un haut niveau esthétique apprécié notamment par des bibliophiles. Dans le cadre du samizdat sont publiées des images et des photos de militants emprisonnés sans noms et sans commentaires, mais aussi des cassettes audio et vidéo. Des enregistrements de musique underground, qui n’est pas tolérée par les autorités, circulent sous le manteau en dizaines de milliers de copies. Malgré les conditions extrêmement modestes dans lesquelles ils sont obligés de travailler, les dissidents réussissent même à réaliser régulièrement un programme d’informations distribué sur des cassettes vidéo une fois par trimestre sous le titre « Originální videožurnál » ( Le journal vidéo original).

L'exposition Samizdat - la force créatrice de la résistance,  photo: Bibliothèque nationale
L`exposition de la Bibliothèque nationale réunit de nombreux exemplaires des textes publiés dans le cadre ou en dehors des collections et n’oublie pas non plus les périodiques et les livres parus à cette époque dans la clandestinité en Slovaquie. La production est donc étonnamment riche malgré les difficultés technologiques et financières auxquelles se heurtent ceux qui publient cette littérature clandestine. Petr Pospichal évoque les équipements rudimentaires avec lesquels les éditeurs de samizdat devaient travailler :

« Dans les années 1970, on ne publiait ces livres qu'en copies dactylographiées, puis, dans les années 1980, on s'est mis à utiliser la machine à polycopier, le cyclostyle, car il fallait imprimer notamment des périodiques d'information et culturels, comme par exemple ‘Infoch’ (Les informations sur la Charte 77), dans un tirage de plusieurs milliers d'exemplaires. Or, pour cela, une simple machine à écrire était tout à fait insuffisante. Pour ce genre de publication, on a donc utilisé cet appareil qui fait partie également des objets présentés dans le cadre de notre exposition. »

L'exposition Samizdat - la force créatrice de la résistance,  photo: Bibliothèque nationale
Publier et distribuer des ouvrages en samizdat était donc une activité difficile, compliquée et aussi dangereuse. Elle n’était possible que grâce au courage et même à un certain héroïsme des éditeurs de ce genre de littérature. Ils vivaient dans l’incertitude constante et savaient bien qu’ils pourraient finir en prison, parce qu’ils étaient pratiquement sans défense contre la furie des autorités communistes. Ils risquaient des peines allant de quelques semaines à dix ans de détention pour des activités intenses ou pour une collaboration avec des étrangers. Petr Pospíchal cherche à expliquer leur courage et leur engouement pour l’édition clandestine :

L'exposition Samizdat - la force créatrice de la résistance,  photo: Bibliothèque nationale
« Beaucoup de ceux qui ont osé publier des textes en samizdat ont été emprisonnés. Il y a eu des dizaines de ces personnes, et si nous prenions en considération les formes de répression moins sévères, il y a eu des centaines et des milliers de personnes qui ont subi des représailles pour ce genre d'activités pendant cette période-là. L'ampleur des représailles a donc été très importante, mais les éditeurs de samizdat possédaient ce qui est exprimé aussi dans le sous-titre de cette exposition – la force créatrice de la résistance. Le samizdat est donc probablement l'expression la plus marquante du potentiel créateur de ces gens qui osaient le mettre en valeur dans leur création sous cette forme malgré le risque qui les guettait. »

(L’exposition « Samizdat – la force créatrice de la résistance » restera ouverte à la Bibliothèque nationale de Prague jusqu’ au 18 avril 2014.)